Une sanction exemplaire pour envoyer un message aux joueurs?

Le jeune centre des Sénateurs d’Ottawa, Shane Pinto, a écopé d’une suspension de 41 parties, jeudi. Il est devenu le tout premier joueur à enfreindre la politique entourant le pari sportif mise de l’avant par le commissaire Gary Bettman.

«C’est un gros message qu’envoie la Ligue nationale.»


Luc Dupont, professeur à l’Université d’Ottawa, spécialiste de l’économie du sport, a été surpris quand il a pris connaissance de la suspension qui a été imposée à Shane Pinto.

Le jeune centre des Sénateurs d’Ottawa a écopé d’une suspension de 41 parties, jeudi. Il est devenu le tout premier joueur à enfreindre la politique entourant le pari sportif mise de l’avant par le commissaire Gary Bettman.

«Une demi saison, c’est une sanction très forte. Surtout qu’on ne sait pas ce qu’il a fait», souligne M. Dupont.

Dans un très bref communiqué, on a déclaré que Pinto n’a pas parié sur le résultats de matches de la LNH.

«Nous n’avons pas trouvé de preuves à cet effet, a-t-on écrit. Nous considérons que ce dossier est clos. Tant que de nouvelles informations ne seront pas disponibles, nous n’avons pas l’intention d’émettre d’autres commentaires.»

Luc Dupont pense qu’en sévissant de façon aussi sévère à l’endroit de Pinto, Bettman s’adresse aux 700 autres joueurs du circuit.

«C’est sans appel», croit-il.

On ne veut surtout pas que le public découvre que les athlètes misent des sommes sur les événements auxquels ils participent.

Tout au long de la journée, jeudi, des experts et des partisans ont noté un paradoxe. Lors de sa première saison à Ottawa, Pinto portait un casque sur lequel on avait collé des étiquettes publicitaires du casino en ligne Bet99.

Les géants du jeu sont de plus en plus présents, dans le monde du sport.

«C’est criant. Les liens qui existent entre la LNH et l’industrie du pari sportif sont plus serrés que jamais. On se pose souvent la question à savoir pourquoi les ligues sportives majeures n’étaient pas présentes à Las Vegas, dans le passé. Il suffit pourtant d’y penser pendant cinq secondes. Dans le passé, il y avait toujours cette peur de poser un geste qui aurait laissé croire qu’il y avait comme une reconnaissance du pari sportif. La réalité a commencé à changer lorsque de nombreux États américains ont légalisé le jeu», explique M. Dupont.

En 2021, le Canada a emboîté le pas lorsque le projet de loi C-218 a modifié le Code criminel pour autoriser les paris sportif sur un seul match.

La LNH a été la première ligue sportive majeure à s’implanter à Vegas. La NFL, qui avait autrefois été très frileuse, a ensuite permis le déménagement des Raiders d’Oakland dans le désert du Nevada. Les Ligues majeures de baseball pourraient sous peu autoriser la relocalisation des Athletics d’Oakland. La NBA suivra. Ce n’est qu’une question de temps.

«La pandémie a eu le dos large. Lorsque les ligues professionnelles ont pu reprendre leurs opérations, ses dirigeants ont dit qu’il fallait trouver une façon de multiplier les sources de revenus. Cette situation a ouvert la porte aux écussons publicitaires sur les chandails. Ça explique aussi le rapprochement avec l’industrie du pari sportif. C’est quand même très délicat. La beauté du sport est dans l’imprévisibilité. Encore faut-il que les amateurs y croient. S’il fallait que les gens cessent d’y croire, ça pourrait faire très mal», pense M. Dupont.

Pinto peut donc servir d’exemple. Sa longue suspension pourrait ramener d’autres athlètes sur le droit chemin.

Techniquement, Shane Pinto sera éligible à effectuer un retour au jeu vers la fin du mois de janvier.

Un fléau

Dans une déclaration transmise par les Sénateurs, Pinto semble regretter ses gestes.

«Je veux présenter mes excuses à la LNH, aux Sénateurs d’Ottawa, à mes coéquipiers, aux partisans et à la Ville d’Ottawa. Je veux surtout présenter mes excuses aux membres de ma famille. Je suis responsable de mes actions. J’ai hâte de retrouver mes coéquipiers, sur la patinoire.»

À New York, quelques heures avant le match opposant son équipe aux Islanders, l’entraîneur-chef D.J. Smith a déclaré qu’il était prêt à se montrer indulgent. Pinto a fait une erreur et la direction du club sera prête à le soutenir dans les prochains mois. «Nous serons là pour lui. Nous serons prêts à lui ouvrir les portes du vestiaire quand il sera prêt à retrouver sa place parmi nous. Nous allons tout faire. Il fait partie de la famille»

Techniquement, Pinto sera éligible vers la fin du mois de janvier.

Les experts et les partisans ont aussi noté que Pinto est en quelque sorte victime de son époque.

L’industrie du pari sportif gagne en popularité. Les jeunes adultes, qui assistent à des événements sportifs en groupe, avec leurs portables scotchés dans leurs mains. Selon un reportage diffusé au début du mois par Radio-Canada, Loto-Québec aurait réalisé des ventes de 36,1 millions de dollars grâce aux paris sur événement durant la saison 2021-22.

Le problème n’est pas exclusif à l’Amérique du nord. Cette semaine, La radio publique France Info révélait que la moitié des parieurs sportifs en France sont âgés de 25 ans ou moins. «Les chiffres montrent que les paris sportifs sont la seule forme de jeu d’argent et de hasard en progression. Les montants misés par les joueurs ont par ailleurs plus que doublé en cinq ans», révèle le reportage.

En Europe, on commence à parler d’un enjeu de santé publique.

«Ce qu’on sait, quand il est question de jeux de hasard et d’argent, c’est que le cercle se développe – comme toute dépendance, d’ailleurs – grâce à la croyance qu’on peut gagner», souligne le Professeur Stéphane Bouchard, de l’Université du Québec en Outaouais (UQO).

Détenteur de la Chaire de recherche du Canada en cyberpsychologie clinique, M. Bouchard a remarqué l’explosion de messages publicitaires liés à l’industrie des paris sportifs, à la télévision. Les messages sont particulièrement intrusifs lors des émissions présentées dans les heures de grande écoute, sur les chaînes spécialisées sportives.

«On peut penser que les sommes investies par les entreprises visent, entre autres, à accrocher les jeunes. On n’a qu’à penser à Bet99. Le produit qu’on montre, à la télévision, il est gratuit. Ceux qui veulent accéder au vrai site, qui est plus intéressant, doivent payer. Quand tu paies, tu peux gagner gros. Tu peux aussi perdre gros. Et les études nous montrent que ceux qui sont pris dans l’industrie, du côté des consommateurs, essuient des pertes de plus en plus grandes.»

«Dans tous les jeux, on a l’impression qu’on peut battre le hasard. Tout d’un coup, quand tu gagnes, tu as l’impression d’avoir fait quelque chose de pas pire. Avec le sport, le parieur peut avoir l’impression qu’il y est pour quelque chose. Après tout, on connaît les joueurs. On s’imagine qu’on connaît la game… Si c’était aussi simple, il n’y aurait pas autant d’entreprises prêtes à se tenir de l’autre côté du pari», souligne M. Bouchard.

«Il y a une certaine probabilité de gains. Le système est effectivement fait pour que ce soit payant. Il n’est pas fait pour que ce soit payant pour bien des gens… Sauf pour celui ou celle qui fait la mise.»