Avant de voter sur les nouvelles frontières de l’aide médicale à mourir

Combien de députés se lèveront au salon Bleu pour s’opposer à l’un ou l’autre des élargissements proposés dans le nouveau projet législatif sur l'aide médicale à mourir? demandent les auteurs de cette lettre d'opinion.

POINT DE VUE / D’ici le 9 juin, les députés de l’Assemblée nationale du Québec seront invités à voter sur le projet de loi 11. Depuis son dépôt le 16 février dernier, il a fait l’objet de bien des débats, mais toujours sur l’étendue de l’élargissement de l’accessibilité à l’aide médicale à mourir (AMM). Les objections de fond sur les nouveaux accès proposés n’ont presque pas été entendues lors des auditions (des opposants, comme nous, ont été ignorés) et elles ont peu circulé dans les médias.


Depuis la fin de l’étude détaillée du projet de loi mercredi dernier, le principal débat porte sur les délais de 24 mois afin de pouvoir obtenir l’AMM par demande anticipée. Devrait-il aussi être question du fait que le législateur semble maintenant accepter l’idée qu’une « démence heureuse » puisse cacher des souffrances psychiques? Alors que la Commission spéciale sur l’évolution de la loi sur les soins de fin de vie (2021) et le Groupe d’experts sur la question de l’inaptitude et l’aide médicale à mourir (2019) suggéraient de ne pas aller dans cette direction, le projet de loi 11 ne propose pas de balises suffisantes pour décourager l’aide médicale à mourir dans les cas de « démence heureuse ».

A-t-on entendu parler de M. Pier-Luc Turcotte, professeur adjoint à la Faculté des sciences de la santé de l’Université d’Ottawa et ergothérapeute, un membre du groupe d’experts sur la notion de handicap neuromoteur qui n’appuie pas les conclusions du rapport final? Il n’a malheureusement pas reçu de demande d’entrevue après la publication de sa lettre ouverte intitulée Se dépêcher à faire mourir avant de faire vivre. Nous partageons sa réflexion : « L’élargissement de l’aide médicale à mourir pour les personnes ayant une déficience physique ouvre la porte à des dérives importantes, avec très peu de balises solides pour les prévenir. »



Nous pourrions rappeler les nombreuses problématiques associés à l’offre de nouveaux lieux pour obtenir l’AMM ou le traitement profondément injuste des maisons de soins palliatifs, (particulièrement celles ne souhaitant pas offrir l’AMM) que propose le projet de loi 11, mais nous préférons résumer l’évidence : il existe de très nombreuses bonnes raisons pour s’objecter à cette initiative parlementaire.

Un vote unanime inimaginable

Le 5 juin 2014, l’Assemblée nationale du Québec adoptait le projet de loi 52, « loi concernant les soins de fin de vie » qui allait ouvrir la porte à l’aide médicale à mourir l’année suivante. À l’époque, 22 députés se sont opposés au choix de créer une nouvelle catégorie de soins toujours unique au monde : celle des soins qui administrent la mort. Neuf ans plus tard, combien de députés se lèveront au salon Bleu pour s’opposer à l’un ou l’autre des élargissements proposés dans le nouveau projet législatif? Nous ne pouvons imaginer un vote unanime sur un sujet aux enjeux éthiques d’une telle ampleur. Il contribuerait à la banalisation d’un geste qui ne peut objectivement plus prétendre à celui de « soin de dernier recours ».

« On ne choisit plus la vie avec tout ce qu’elle nous apporte de beau, de bon et de vrai, et aussi des difficultés mais qui nous aident à aller plus loin et trouver la vraie tendresse, le chemin du cœur qui, rempli de tendresse malgré les souffrances ou handicaps, donne la vraie joie et fais VIVRE. » Ces mots (dont Louise Brissette est l’auteure) sont tirés du mémoire du réseau citoyen Vivre dans la Dignité déposé lors de l’étude du projet de loi 11. Ils devraient nous inviter à réfléchir avant de donner de nouveaux accès à l’aide médicale à mourir, pour de nouveaux critères de souffrances. Que les votes d’opposition au projet de loi 11 cette semaine puissent servir de réflexion avant de se lancer dans les prochaines rondes d’élargissements de l’accès à l’AMM : les personnes vivant avec un trouble mental grave, les mineurs matures répondant aux critères et, éventuellement, nos aînés qui expriment une fatigue de vivre. Des souffrances toutes bien réelles, mais dont notre réponse collective devrait être plus de ressources pour de l’aide médicale à vivre!

Mme Louise Brissette, mère de 37 enfants et fondatrice de L’œuvre des Enfants d’amour

M. Jasmin Lemieux-Lefebvre, coordonnateur du réseau citoyen Vivre dans la Dignité