M. Rochette est opticien depuis 1998. «Mais j’ai passé les neuf premières années de ma carrière à essayer de faire d’autres choses», a-t-il lancé au Droit, en riant. «J’étudiais parallèlement dans un tout autre domaine. Être opticien, c’était mon job d’universitaire pendant que j’avais des colocs et que j’essayais de faire autre chose», explique M. Rochette.
Mais il explique que ça lui a permis d’acquérir vraiment une très bonne connaissance des différents intervenants sur le marché de la compétition, des fournisseurs. «Ces neuf premières années, avant que je parte à mon compte, ça a été, appelons ça, la période éponge pour avoir un maximum d’informations, pour être capable d’offrir ce qu’on offre aujourd’hui.»
M. Rochette était, à l’époque de la fondation du Bonhomme à lunettes, en 2007, bénévole dans un organisme communautaire de Montréal qui était alors en pleine campagne de financement. «J’ai décidé que j’allais créer une compagnie, vendre des lunettes dans le hall d’entrée de cet organisme-là et remettre un pourcentage de mes ventes pour cette campagne de financement», explique-t-il.
La tarification des lunettes de ce projet fonctionnait dans l’objectif de respecter au maximum la charte de remboursement de l’aide sociale gouvernementale, explique l’opticien, afin de permettre aux moins nantis d’accéder à une meilleure vision. «Lorsque les gens sont prestataires d’aide sociale, il y a un montant qui est alloué par le gouvernement pour les aider à acheter les lunettes. Donc, mes prix allaient correspondre au montant, plus 20 $ pour les adultes, puis le montant remboursé par l’aide sociale, plus zéro pour les enfants. Et ça devenait ensuite le prix pour tout le monde. Ce qui fait qu’on est capable d’avoir une paire de lunettes avec des verres doubles foyers pour environ 130 $ et on fait des lunettes pour les enfants pour environ 90 $ ou 95 $. Un pourcentage des ventes étaient ensuite remis à cet organisme-là.»
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M. Rochette percevait une certaine «absurdité» dans le fait que certaines personnes puissent avoir de la difficulté à bien voir par faute de moyens financiers adéquats. «Comme société, est-ce qu’on a fait ces choix-là collectivement?», se demande-t-il. «Ce n’est pas quelque chose qui est dans le débat public d’établir si la vision doit être à la merci de quelques grosses compagnies qui ont des monopoles. C’est un marché d’offres et de demande, alors que la demande, elle est là», poursuit l’opticien.
Des lunettes, il est difficile de s’en passer quand on en a besoin, rappelle-t-il, et l’impact d’une mauvaise vision pendant l’enfance est important et ça se poursuit sur le marché du travail et dans la vie adulte. «Mais pourtant, malheureusement, les prix sont souvent prohibitifs et ça crée des situations compliquées.»
Un retour en force à Gatineau
Le Bonhomme à lunettes avait déjà élu domicile à Gatineau, il y a quelques années, au Centre d’Animation familiale de Gatineau, et à la Soupe populaire de Hull. Mais les inondations de 2017 et de 2019, tout comme la pandémie de COVID-19, ont mis des freins à l’entreprise. «On a dû faire une petite pause. Pendant ce temps-là, le point de service le plus près de chez vous était quand même à Saint-André-Avellin. On a tout le temps eu du monde qui venaient de la région nous voir là-bas à Saint-André-Avellin, mais ce n’était pas pratique parce que c’est loin pour les gens de Gatineau.»
Récemment, à l’initiative de la directrice du Centre Alpha Papineau de Buckingham, Julie Tittley, l’idée de revenir en territoire gatinois est redevenue une possibilité. «Mme Tittley m’a écrit il y a quelques semaines pour nous demander si on envisageait de faire un retour dans la région. J’ai expliqué malheureusement qu’avec notre modèle d’affaires qui vise à essayer de garder les prix bas, aller faire un tour dans la région juste pour aller à Buckingham, c’était difficile», explique M. Rochette.
Mais il lui a dit qu’il était possible de travailler de concert avec d’autres organismes intéressés, ce qu’elle est allée chercher.
C’est ainsi que la réouverture a été possible à la mi-septembre.
Bonhomme à lunettes est donc revenu en force en territoire gatinois, avec maintenant quatre points de services au sein d’organismes aux quatre coins de la ville, soit à Hull, à Buckingham, dans le secteur Gatineau et l’autre à Aylmer. «Les organismes sont un peu l’épine dorsale de mon service. Ce sont eux qui nous hébergent chaque semaine, c’est eux qui passent le mot dans les différentes tables de concertation.»
Plus d’un million de dollars pour les organismes
Cette année, le Bonhomme à lunettes a d’ailleurs franchi un palier important, avec plus de 70 organismes communautaires partenaires et a pu, grâce à ces partenariats, franchir le cap du million de dollars en remises aux organismes l’an dernier.
Des lunettes pour tous
Le Bonhomme à lunettes ne demande pas de preuve de revenus à ses clients.
«C’est un service pour tous. On ne va pas scanner les gens en amont, pour savoir s’ils ont assez d’argent, ou encore quel pourcentage de leur salaire brut représente leur paiement hypothécaire», explique l’opticien.
«On accepte tout le monde, c’est pour tout le monde. C’est le même prix et on a cette flexibilité-là d’essayer de rendre le truc accessible à un maximum de gens.»
M. Rochette s’estime chanceux, puisqu’il affirme ne pas avoir eu à ajuster ses tarifs à la hausse à cause de l’inflation, au grand bonheur de sa clientèle.
Son entreprise grossit d’année en année et peut compter sur une augmentation de volume qui vient compenser la dépense des frais fixes. D’ailleurs, les prix de base des lunettes de Bonhomme à lunettes n’ont pas bougé depuis la fondation de l’entreprise, en 2007. «Même que récemment, l’aide sociale a légèrement augmenté les chartes de remboursement, ce qui fait qu’avec le nouveau prix, on est capable de faire des lunettes à 10 $ pour les prestataires de l’aide sociale. Et ça, c’est quelque chose auquel je tiens mordicus. On essaie d’organiser nos affaires pour que ça puisse fonctionner, toujours en gardant les mêmes prix. On essaie de couper dans le gras, si je peux dire, puis de choisir judicieusement les fournisseurs pour être capables d’offrir de bons rapports qualité-prix.»
Depuis son retour à Gatineau, le bouche-à-oreille s’active déjà et la clientèle gatinoise se réapproprie peu à peu les services de Bonhomme à lunettes, soutient M. Rochette. «On reçoit des commentaires, de la gratification, de la satisfaction des clients, des poignées de mains qui valent beaucoup, parce que, malheureusement, je dois dire malheureusement, souvent on est pour eux la seule option qu’ils ont pour voir.»