Chronique|

Sale temps pour les pomiculteurs

Une forte baisse des récoltes est à prévoir dans les vergers québécois en 2023.

CHRONIQUE / Des vergers dévastés. Des récoltes compromises. Sale temps pour bon nombre de pomiculteurs québécois, qui constatent, sur le terrain, les ravages causés par les changements climatiques.


«Il y a des vergers qui vont perdre jusqu’à 80 % de leurs récoltes», explique Éric Rochon, président des Producteurs de pommes du Québec.

Dans l’ensemble de la province, il appréhende une baisse de production d’au moins 20 %. Cela se traduira, concrètement, par des récoltes de 4,5 millions de minots (un minot équivaut à 42 livres de pommes). En temps normal, la production annuelle est de 5,5 millions de minots.



«Le calcul est facile à faire, relève-t-il. Un million de minots de moins que l’an dernier, c’est un important manque à gagner pour les producteurs. Il y a bien sûr l’assurance récolte, l’ASREC, de la Financière agricole du Québec, pour ceux qui sont plus durement affectés, mais ça ne fera que patcher un trou. Ça risque de reporter des investissements dans les vergers.»

Tous ne sont pas touchés de la même manière. Certains ont été totalement épargnés tandis que d’autres ont connu, pour ainsi dire, de très gros pépins...

«C’est au sud du fleuve Saint-Laurent que le gel printanier, survenu à la mi-mai, a été le plus dévastateur, rappelle-t-il. C’est arrivé en pleine floraison. Les organes de la fleur ont gelé. Le mal était fait. Les pommiers ne produiront pas de pommes.»

Des pommes ou du jus...

Lui-même propriétaire d’un verger familial, Éric Rochon s’en tire relativement bien, compte tenu des circonstances. «Dans notre région (Oka-Saint-Joseph-du-Lac, Mirabel), on a connu des froids très intenses, mais pas au point de tout compromettre, bien qu’à certains endroits, dans certains rangs, des producteurs ont vu leurs vergers endommagés.»

Il faudra voir, au cours des prochaines semaines, comment les pommiers qui ont été affectés par le froid vont se comporter. «On ne sait pas quelle sera la qualité des pommes destinées à la consommation, concède le président de l’organisation qui représente 450 producteurs. On sait déjà qu’il y aura davantage de pommes déclassées, qui seront acheminées aux transformateurs alimentaires, pour des tartes, de la compote ou du jus.»



Mais il s’empresse de préciser qu’aucune pomme ne se perd, ni n’est jetée à la poubelle, bon an, mal an, peu importe son «apparence». On aura compris, cependant, que les pommes vendues à l’épicerie sont plus «payantes» pour les producteurs qui, faute de main-d’œuvre locale, continuent de recourir à des travailleurs étrangers temporaires, venus du Mexique et du Guatémala, pour aller dans les vergers.

«Nos coûts augmentent, les salaires augmentent, il faut payer plus cher pour nos intrants, énumère-t-il. On tente de maintenir nos marges à un niveau acceptable.»

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Des défis, il y en a à la douzaine dans ce secteur de production qui fait face à une concurrence de plus en plus vive. Une concurrence qui vient, principalement, de l’État de Washington, véritable poids lourd nord-américain, avec une production annuelle de 125 millions de minots. Rien de moins!

Alors, on fait quoi, si on est un producteur québécois, pour tirer son épingle du jeu? Pour continuer à trouver un espace de choix dans la section des fruits et des légumes, chez Metro et IGA?

Bien que ce secteur d’activités génère des revenus annuels de 66 millions (source: Producteurs de pommes du Québec), avec une superficie cultivable de 4666 hectares, il faut convenir que le Québec ne sera jamais un gros joueur parmi les grands. À tire de comparaison, l’Ontario récolte annuellement 8 millions de minots.

«On peut toutefois faire mieux, innover, moderniser nos vergers, planter des pommiers qui vont produire de nouvelles variétés. C’est l’avenir. C’est de cette façon que nous allons augmenter nos parts de marché et prendre un pas d’avance sur nos concurrents», résume Éric Rochon.

Il ajoute: «La réflexion est bien amorcée. Nous devons nous donner les moyens de répondre à la demande de ce que j’appelle les nouveaux consommateurs, parmi ceux-là les jeunes, qui veulent manger des pommes plus savoureuses, plus fermes.»



On continuera de croquer à belles dents dans la McIntosh, la Lobo, la Cortland, mais il y aura de plus en plus de pommes au goût relevé, comme la Honeycrisp, l’Ambrosia, la Gala. Des «pommes vedettes», selon son expression.

«Il y a moins de 20 ans, fait-il valoir, c’était impensable de produire la Gala en raison de nos hivers trop rudes. Plus maintenant.»

Or, pour «enrichir» l’offre aux consommateurs, les pomiculteurs souhaitent obtenir l’aide financière du gouvernement du Québec. Ils estiment que ça coûterait 30 millions de dollars sur six ans, au bas mot, pour amorcer ce virage nécessaire.

La balle est dans le camp du ministère et de son ministre de l’Agriculture, André Lamontagne. «On compte le relancer en septembre, lors de la rentrée, mentionne Éric Rochon. On a besoin d’accompagnement. On veut des actions concrètes pour améliorer notre offre. C’est une question de compétitivité face à des importateurs qui viennent jouer sur notre terrain.»

Des pommes bio

Benoit Bouthillier, copropriétaire avec sa conjointe Guylaine Roy du Verger Trois Pommes, à Rougemont – préfère faire les choses autrement.

Depuis cinq ans, il produit des pommes biologiques dans son «petit verger de 6 hectares et demi». Conséquemment, il a cessé de faire de l’arrosage par pesticides de synthèse.

Il vend ses fruits rouges dans son kiosque de la rue Principale. Les pommes sont récoltées à 90 % au moyen de l’autocueillette. Il arrive que des pommes soient moins esthétiques, un peu poquées. Ça ne pose pas problème pour les consommateurs, avec qui il a un contact privilégié.

«Nous, on est en mesure de leur expliquer, sur place, pourquoi les pommes sont un peu moins belles, présentent un peu plus de rousselures, mais tout aussi délicieuses.»



Son verger de la Montérégie acquis il y a 26 ans a été affecté par les mauvaises conditions climatiques.

Résultat: les récoltes seront beaucoup moins abondantes cette année.

«On travaille avec la nature», philosophe-t-il.

Une raison de plus pour aller cueillir des pommes rouges dans son verger à compter de cette fin de semaine.