«Les chantiers sont en panne, l’inflation fait exploser les coûts des matériaux, les taux d’intérêt sont élevés et les banques imposent des règles de plus en plus contraignantes aux acheteurs qui n’arrivent plus à se qualifier pour un prêt hypothécaire», m’a confié tout d’un trait le PDG de l’Association des professionnels de la construction et de l’habitation du Québec (APCHQ), Maxime Rodrigue, en me faisant part des toutes dernières statistiques sur l’état des lieux.
Il est inquiet. «Si ça perdure, appréhende-t-il, il y a de belles entreprises, des fleurons, dont l’avenir sera en péril. C’est sérieux.»
Depuis le début de l’année, la baisse des mises en chantier atteint 46 %. Le mois dernier, la diminution s’est élevée à 62 %.
«C’est du jamais vu et ça fait vingt-cinq ans que je suis dans cette industrie», souligne Maxime Rodrigue.
Toutes les régions du Québec sont frappées, que ce soit Gatineau (- 82 %), Montréal (- 73 %), Sherbrooke ( - 64 %) ou à Québec (- 57 %). Les baisses sont moins significatives à Saguenay (- 42 %), Trois-Rivières (- 33 %) et Drummondville ( - 31 %), mais elles demeurent préoccupantes.
Un plan de match
La crise du logement prend de l’ampleur. Au point où un regroupement de décideurs de premier plan vient de demander au premier ministre François Legault de «coordonner rapidement une approche nationale concertée» pour dénouer l’impasse.
Le PDG de l’APCHQ a cosigné une lettre d’opinion dans La Presse, plus tôt cette semaine, avec l’ex-députée et ministre libérale Isabelle Melançon, PDG de l’Institut de développement urbain du Québec (IDU). Plusieurs maires, notamment ceux de Rimouski, de Québec et de Trois-Rivières, ont apposé leur signature au bas de cette lettre.
«On vit un réel problème de société, insiste Maxime Rodrigue. Ça va nous prendre un plan de match pour en venir à bout.»
Aller au plus urgent
Il convient que ça devra venir du côté de Québec, mais aussi d’Ottawa.
Mais encore?
«Il faut aller au plus urgent, explique-t-il. Si on veut trouver une voie de passage pour redonner espoir aux entrepreneurs et aux acheteurs, il faut que le gouvernement fédéral, qui en a les pouvoirs, intervienne auprès des banques afin qu’elles assouplissent les règles.»
Des exemples?
Des hypothèques sur 30 ans et non pas 25 ans. Des critères moins sévères pour les nouveaux acheteurs quand vient le moment de se qualifier pour un prêt. Un mémoire en ce sens a été déposé au Bureau des institutions financières.
Sur un autre registre, le PDG de l’Association signale qu’il faudrait, à court terme, construire pas moins de 100 000 logements pour colmater les brèches. De son côté, la Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL) calcule qu’il faudrait livrer 620 000 nouvelles unités d’ici à 2030.
Pour compléter le tout, précisons que le taux d’inoccupation dans le logement se situe au niveau anémique de 1,7 %. Aussi bien dire qu’il n’y a aucun logement vacant et que les propriétaires d’immeubles locatifs jouissent d’un immense pouvoir de négociation quand vient le temps de renouveler le bail de leurs locataires.
À vrai dire, on manque de logements pour toutes les classes de la société. La pénurie de logements sociaux inquiète et mobilise les regroupements citoyens.
Mais quel rôle pourrait jouer le gouvernement et sa ministre de l’Habitation France-Élaine Duranceau sur cet enjeu en particulier? Dans une entrevue au Devoir, la ministre a ouvert une porte...
Au lieu de financer la construction de logements sociaux, Québec financerait plutôt l’acquisition d’immeubles déjà existants et en confierait la gestion à des organismes à but non lucratif.
«Je serais bien mieux d’acheter des logements existants qui sont déjà construits, qui vont, ultimement, me coûter moins cher la porte que ce que je dépense en subventions pour du neuf», a-t-elle avancé au cours de cette entrevue.
Le gouvernement achèterait du privé pour grossir le parc immobilier locatif. Ça irait plus vite et ça pourrait coûter moins cher. Il faudra voir si cette voie d’accès sera la bonne.
On devine qu’il faudra en faire davantage pour calmer la colère des groupes de défense des locataires et pour favoriser une meilleure cohabitation entre propriétaires et locataires en ces temps de tension sur fond de pénurie de logements.
Rappelons que la ministre de l’Habitation vient de passer une dure semaine. Rappelons qu’elle a fait l’objet de vives critiques après avoir déclaré, disons-le poliment, très maladroitement, que les locataires qui veulent absolument céder leur bail devraient plutôt «investir en immobilier et prendre les risques qui vont avec». Par la suite, elle s’est dite «désolée» si ses propos ont pu paraître «insensibles».
Payer pour avoir la clé...
Chose certaine, on n’a pas fini de parler de cette crise. À l’approche du 1er juillet, jour de déménagement, plusieurs villes au Québec comptent venir en aide aux personnes «vulnérables» qui n’auront pas réussi à se trouver un toit.
Nous sommes en 2023.
Une image me vient en tête. En 1949, ça fait une éternité, mon père qui avait 25 ans et la vie devant lui avait dû payer 400 dollars, cash, au propriétaire sans vergogne qui avait exigé ce montant, une grosse somme, à l’époque, lors de la signature du bail. C’était un tout petit logement situé dans un fond de cour...
«Dans ce temps-là, il fallait payer pour avoir un logis, pour avoir la clé. Il manquait de logements à louer», a-t-il écrit dans son grand livre.
Un an plus tard, en 1950, il a acquis son premier «plex». Prix payé: 4000 dollars. Il a versé 25 % de la somme, au comptant, soit 1000 dollars. Ses mensualités étaient de 50 dollars et ses loyers lui rapportaient... 54 dollars.
Il n’était pas question d’augmenter les loyers. Les locataires avaient peine à joindre les deux bouts.
Mon père avait une conscience et des valeurs morales.