Chronique|

La peur d’avoir peur

CHRONIQUE / C’est un sujet que j’ai déjà abordé dans une chronique précédente, mais je tenais absolument à y revenir sous un angle différent. Je parle de la peur, cette émotion tant redoutée. C’est un fait, la peur a mauvaise presse. Le plus souvent, on l’accuse d’être mauvaise conseillère et de mener à la déraison. En faisant une petite recherche sur le sujet, je suis d’ailleurs tombé sur un nombre incalculable de citations qui nous invitent à « dépasser » notre peur, voire carrément à l’ignorer. Bref, dans l’inconscient collectif, la peur est généralement perçue comme une émotion négative. Mais cette mauvaise réputation est-elle justifiée?


Je ne vais pas revenir ici sur tout ce que j’ai déjà dit dans ma chronique dédiée à ce sujet, si ce n’est rappeler que c’est une erreur de considérer la peur comme une émotion négative. D’abord, je crois qu’il faut rejeter l’idée qu’il existerait des émotions positives et des émotions négatives. À proprement parler, aucune émotion n’est véritablement positive ou négative. Chaque émotion a un rôle à jouer, tout simplement. Dans le cas de la peur, il s’agit d’une réponse émotionnelle à une menace ou à un danger plus ou moins immédiat et identifiable. Ce faisant, il semble plutôt raisonnable d’être à l’écoute de ses peurs afin de réagir comme il se doit.

Tout l’enjeu est d’ailleurs là, car s’il est vrai que la peur peut parfois être mauvaise conseillère, il est à noter que ce n’est souvent pas la peur elle-même qui pose problème, mais plutôt notre réponse à celle-ci. Parfois, face à une menace ou à un danger, nous n’adoptons pas le bon comportement, un peu comme si notre raison se montrait incapable de prendre toute la mesure de la situation. Dans certains cas, cela peut nous amener à surréagir, et dans d’autres à ne pas réagir du tout (ou pas suffisamment).



Pour en venir aux faits, la raison pour laquelle je souhaitais revenir sur ce sujet est que j’entends beaucoup de choses au sujet de la peur et des changements climatiques. On accuse souvent les scientifiques et les médias de chercher à nous faire peur, et ce afin de nous manipuler et/ou de remettre en question notre mode de vie. Le plus inquiétant, c’est qu’une part non négligeable de la population semble adhérer à ce type de discours, et par-là même prendre le problème des changements climatiques un peu trop à la légère. Quiconque s’en préoccupe un tant soit peu (et ose le dire) se voit d’ailleurs reprocher de « céder à la panique ».

À ce propos, il me semble y avoir une confusion entre la peur et la panique. Avoir peur ne mène pas forcément à la panique. Tel qu’énoncé plus haut, la peur n’est rien de plus qu’une réponse émotionnelle à une menace ou à un danger plus ou moins immédiat et identifiable. Et dans le cas qui nous occupe, à savoir les changements climatiques, le danger est clairement identifiable et relativement immédiat. En effet, à moins de nier le consensus scientifique sur le sujet (ce dont plusieurs ne se privent évidemment pas), il ne fait aucun doute que nous avons de bonnes raisons de craindre les répercussions négatives des changements climatiques. Certes, cela ne justifie pas de « céder à la panique », mais il importe à tout le moins de prendre acte de la situation… et d’agir!

Personnellement, j’en suis arrivé au point où ce qui me fait le plus peur n’est pas les changements climatiques eux-mêmes, mais plutôt l’inaction et l’indifférence quasi généralisées à leur endroit. Ça me fait peur de vivre entouré de gens aussi insouciants et irresponsables. On ne manquera probablement pas de me reprocher mon ton passablement alarmiste et moralisateur, mais il n’en demeure pas moins que c’est comme ça que je me sens. Je crains que nous ne réagissions pas suffisamment rapidement et radicalement pour éviter le pire à nos enfants et nos petits-enfants.

Ironiquement, et en dépit de ce qu’en pensent les principaux intéressés, il semble donc que ce soit ceux qui accusent les environnementalistes de « céder à la panique » qui s’avèrent incapables d’affronter leur peur. Quelle peur? Celle de devoir remettre en question leur mode de vie et d’assumer leur pleine responsabilité vis-à-vis des générations futures. Cette peur d’avoir peur est la cause de bien des maux, car elle nous condamne individuellement et collectivement à l’inaction. En revanche, la peur des changements climatiques étant une « peur rationnelle », celle-ci peut s’avérer un extraordinaire moteur de transformation sociale et environnementale. Finalement, il n’y a rien de mal à écouter ses peurs, tant que celles-ci sont fondées et pertinentes.