Chronique|

Infirmières: réorganisation, grogne... et suspensions

Des infirmières ont été suspendues cette semaine au CIUSSS-MCQ, en lien avec leur refus d'assister à une réunion qui devait aborder la réorganisation du travail, qui fait tant réagir dans les rangs des professionnelles en soins depuis cet hiver.

CHRONIQUE / On savait que la situation était tendue au CIUSSS Mauricie–Centre-du-Québec en lien avec la réorganisation du travail exigée de toutes les infirmières du réseau, on commence maintenant à en voir de véritables conséquences. Cette semaine, des infirmières ont été suspendues sans solde pendant une journée pour ne pas s’être présentées à des réunions d’orientation, où on allait discuter de la réorganisation du travail pour les prochains mois. Une réorganisation qui, par ailleurs, affectera directement la vaccination des enfants de 12 à 18 mois. Devant ces suspensions, l’une de ces infirmières a préféré remettre sa démission sur-le-champ. Une situation qui n’annoncerait que la pointe de l’iceberg, selon le syndicat, qui demandera des avis juridiques pour ces suspensions que l’on qualifie de déplorables et exagérées.


«C’est une sanction extrêmement sévère et je la trouve exagérée. Nous avons effectivement demandé un avis juridique sur la question. Le CIUSSS est intransigeant dans ses demandes, et on dirait que l’employeur a voulu faire de ces infirmières des exemples. Mais les gens sont de plus en plus mobilisés, et pour les infirmières, ça ne passe plus», considère Patricia Mailhot, présidente par intérim de la FIQ, qui représente l’ensemble des infirmières en Mauricie et au Centre-du-Québec.

Présentement et depuis le 6 février dernier, le CIUSSS déploie un plan de réorganisation du travail pour combler les manques dans les services 24/7, faisant en sorte de réaffecter des infirmières dans des secteurs où elles n’ont pas oeuvré depuis bien des années dans plusieurs cas. Cette grande réorganisation n’a pas été sans créer bien du mécontentement, les infirmières plaidant ne pas être en mesure de garantir des soins de qualité dans ces circonstances. La réorganisation vient aussi avec l’obligation de travailler une fin de semaine sur trois, une mesure qui n’a toutefois jamais été le nerf de la guerre, assurent les professionnelles en soins.



Ces jours-ci, le réseau de la santé s’emploie à planifier la période estivale dans les différents départements. À bien des endroits, ça peut vouloir dire des coupures de services, ou «modulations de services» préfère dire le CIUSSS-MCQ, afin de pouvoir bénéficier de main-d’oeuvre dans les secteurs névralgiques durant les vacances estivales. C’est dans ces circonstances que sont survenues les suspensions en début de semaine.

Étant donné que sur le plan de la convention collective, il n’existe actuellement pas d’entente quant aux déplacements du personnel infirmier, et que la direction n’était pas en mesure de leur fournir davantage de précisions avant cette rencontre, des infirmières ont refusé d’y prendre part. «C’est comme s’il fallait qu’on leur signe un chèque en blanc. Mais pour les employées, c’est énorme, et ça a un impact direct sur la qualité des soins à la population», ajoute Patricia Mailhot.

Résultats: ces infirmières ont été suspendues un jour sans solde. S’il devait y avoir une récidive, la suspension sera de huit jours. Au troisième épisode, il y aura congédiement.

Sur les réseaux sociaux, la nouvelle a eu l’effet d’une bombe chez les infirmières. Certaines ont même appelé à une mobilisation pour ne pas se présenter aux réunions d’orientation en guise de contestation. Difficile d’imaginer ainsi que toutes les infirmières du réseau puissent être suspendues en même temps, ont fait remarquer quelques-unes d’entre elles.



L’une des infirmières suspendues cette semaine a accepté de me parler, mais à visage couvert, car elle craint les représailles de son employeur. «À mon avis, c’est abusif, et c’est une décision sans coeur. Nous avons toutes entre 15 et 20 ans de loyaux services au CIUSSS, et on nous traite comme ça? Personnellement, ça ne fait que me rapprocher de plus en plus du moment où je vais refaire mon CV, où je vais juste regarder pour aller travailler ailleurs», considère cette infirmière.

Déjà, depuis le 6 février dernier, le syndicat compte plus de 70 démissions en lien avec la réorganisation du travail. Certaines infirmières ont préféré devancer leur retraite, d’autres sont parties travailler pour un autre employeur ou ont carrément changé de domaine. «À mon avis ce n’est que la pointe de l’iceberg. Les infirmières attendaient de voir comment tout ça allait s’orchestrer avant de prendre des décisions. Mais là, avec des mesures aussi drastiques, des suspensions et peut-être des congédiements, je pense qu’on va voir de plus en plus les employées se soulever et vouloir quitter pour de bon», explique Patricia Mailhot, qui relate un sondage réalisé dernièrement chez les étudiantes dans les programmes de soins infirmiers.

Sur 211 répondantes, 65% ont indiqué que les mesures annoncées cet hiver par le CIUSSS-MCQ les incitaient à se tourner vers un autre employeur. «Un moment donné, où est-ce qu’ils vont la prendre, la relève», se questionne-t-elle. Sans compter les soins à la population qui écopent de ces absences non remplacées par manque d’effectifs.

Dans cette réorganisation estivale, Mme Mailhot cite en exemple le secteur Enfance-famille. La direction a notamment décidé de réduire les services de la vaccination des 12-18 mois pour cette période afin de libérer des infirmières pour les envoyer dans d’autres secteurs.

Le Protocole d’immunisation du Québec dit que «selon le calendrier de vaccination du Québec, les enfants reçoivent le vaccin à 12 mois et à 18 mois. Le vaccin permet ainsi de les protéger adéquatement au moment où ils risquent le plus d’attraper la rougeole». Or, dans certains cas, les vaccins ont été repoussés de plusieurs semaines, voire quelques mois, ce qui pourrait contrevenir au calendrier d’immunisation.

«Il y a des conséquences à retarder la vaccination. Il faut que ce soit donné dans une période de temps précise, sans quoi on peut voir naître des éclosions de rougeole, par exemple. Ça fait partie des risques qui sont réels. On a su que plusieurs parents ont appelé, très inquiets, pour se plaindre. Certains se sont tournés vers d’autres CIUSSS dans d’autres régions pour pouvoir avoir le service», évoque Patricia Mailhot.



Un père de famille touché par cette situation m’a confié avoir tenté d’obtenir le vaccin auprès de sa pharmacie, mais que c’était impossible. Devant ce bris de service, il envisage présentement porter plainte à la Commissaire aux plaintes, en plus de se tourner vers une autre région pour aller faire vacciner son fils.

Au CIUSSS-MCQ, on confirme que «cinq infirmières ne se sont pas présentées sur leur lieu de travail prévu en respect de leur horaire. Après analyse et compte tenu de la sensibilisation préalable effectuée auprès d’elles et de l’impact potentiel des absences sur les soins et services pour les usagers, nous avons été contraints de procéder à une suspension d’un jour cette semaine», indique la porte-parole de l’établissement, Julie Michaud.

«Comme dans toute organisation, des employés qui ne se présentent pas au travail doivent motiver la raison de leur absence. Lorsque ça se produit, les gestionnaires rencontrent leurs employés pour confirmer certaines informations et valider que les absences correspondent à des motifs valables afin d’assurer une prestation sécuritaire et de qualité des soins et services à la clientèle. Évidemment, avant d’en arriver à des sanctions, chaque situation est analysée avec discernement. Dans le cas où il y a des écarts dans les comportements des employés, une progression des sanctions est prévue », ajoute-t-on.

Le CIUSSS dit comprendre les réactions et les préoccupations des infirmières, mais assure avoir fourni l’information, l’accompagnement et les formations nécessaires pour s’adapter à leur nouveau milieu de travail. On propose toujours de répondre à leurs questions si elles ont encore des interrogations.

«La situation est critique dans les secteurs 24/7, et les services y sont déjà modulés au maximum. La pression vécue par ces équipes est insoutenable, occasionnant du temps supplémentaire et du temps supplémentaire obligatoire, nous obligeant à amplifier les efforts pour leur apporter du renfort. C’est donc pour cette raison que nous avons pris une décision difficile visant à augmenter le nombre de quarts de travail la fin de semaine dans les secteurs 24/7. Notre objectif est de retrouver un équilibre entre les secteurs pour offrir des conditions de travail plus similaires aux employés et maintenir une offre de service sécuritaire et de qualité pour la population», ajoute Mme Michaud.