Max m’a contemplé comme si je venais de dire la pire énormité au monde. Il a secoué sa solide tête d’Ukrainien au-dessus de ses larges épaules, les yeux plissés sous le soleil qui tapait fort sur la colline du Parlement à Ottawa.
«Je ne pense pas qu’on puisse négocier avec Poutine, a-t-il repris. Il est juste… cinglé. Ce n’est pas un homme, ce n’est pas un humain. Je suis désolé de dire cela, mais à mes yeux, ce n’est même pas un chien.»
J’ignore si les Ukrainiens vont gagner la guerre contre la Russie. Mais à écouter ceux qui s’étaient rassemblés à Ottawa vendredi midi pour saluer la visite de leur président, ils ne lâcheront jamais prise devant l’envahisseur.
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Ils se battront jusqu’au bout pour libérer leur pays, quelle que soit l’issue, quel que soit le coût en vies humaines et en destructions…
«Il n’y a qu’un moyen de mettre fin à cette guerre, a insisté Max. C’est de la gagner. That’s it.»
On dira ce qu’on voudra, mais la pugnacité des Ukrainiens face à un conflit à l’issue incertaine force l’admiration.
N’empêche que Max, un père de famille qui a fui l’Ukraine pour s’installer à Ottawa avec sa famille, craint que l’appui international ne s’effrite, ce qui compromettrait sérieusement les opérations militaires.
Après 19 mois de conflit, on sent une lassitude s’installer dans la communauté internationale. La Pologne menace de retirer son aide militaire. Aux États-Unis, un allié indispensable de l’Ukraine, le soutien s’effrite dans la frange la plus radicale du parti républicain, miné par les déclarations d’un certain Donald Trump…
«Oui, tout le monde est tanné, reconnaît Max. Pas juste les Ukrainiens. Sauf que nos soldats sur le champ de bataille ont besoin de soutien pour poursuivre le combat», rappelle-t-il.
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Justement, le neveu de Tetyana se trouve sur la ligne de front, quelque part dans les environs de Kherson. Le quotidien de son neveu est fait de tirs, d’explosions, de morts, m’a-t-elle raconté, tout en balançant distraitement un grand drapeau ukrainien.
Est-ce que le Canada en fait assez pour soutenir l’Ukraine? lui ai-je demandé.
Tetyana m’a lancé un regard effaré.
«Non, non, le Canada n’en fait pas assez. Il doit en faire plus!», a-t-elle répondu avec son lourd accent slave.
Plus? Mais que faut-il de plus? De l’argent? Des armes? «Des armes!», a-t-elle répondu sans hésiter. «Mon neveu dit que là-bas, sur le front, ils sont prêts à se battre jusqu’au bout. Mais il leur faut des armes pour tenir tête à l’ennemi.»
Lors de sa visite à la Maison-Blanche cette semaine, Volodymyr Zelensky a réclamé plus d’armes pour affronter les troupes russes. En privé, il aurait confié à des sénateurs américains: si on n’a pas l’aide, on va perdre la guerre.
Aussi simple que cela.
«Les gens en Ukraine n’ont pas le choix, m’a raconté Serhiy, lui aussi rencontré sur la colline du Parlement. C’est soit ils se battent, soit ils sont éliminés. Si on arrête de se battre, les Russes vont juste envahir et conquérir d’autres régions de l’Ukraine. On n’a pas le choix. Il faut se battre. Qu’on ne me parle pas de négocier. Les Russes, eux, refusent de négocier. Ils ne voient pas l’Ukraine comme une nation indépendante.»
Dans son discours devant le Parlement canadien, Volodymyr Zelensky a félicité le Canada d’avoir toujours choisi le côté lumineux de l’histoire. La neutralité, a-t-il rappelé, est immorale devant un conflit qui menace la liberté. Si les démocraties faiblissent face à l’emploi de la force pour bafouer l’intégralité territoriale d’autres pays, la Russie et d’autres États despotes y verront un encouragement à continuer…
Aux États-Unis, le représentant républicain Don Bacon, un général à la retraite, a défendu son appui à l’Ukraine en évoquant son enfance. «Quand j’étais enfant, je me souviens qu’il n’y avait qu’un moyen de mettre fin au petit jeu d’un intimidateur sur la cour d’école. C’était de lui foutre un poing sur la gueule. C’est pourquoi il faut se dresser devant Poutine.»
J’ai bien peur qu’il ait raison. Dix-neuf mois après l’invasion russe, cette guerre ukrainienne est encore la nôtre.