Chronique|

Le charme improbable d’une nuit en prison

(Le Droit, Patrick Woodbury)

CHRONIQUE / Et vous, seriez-vous prêts à payer pour dormir derrière les barreaux d’une prison?


Des touristes viennent d’aussi loin que l’Europe pour passer la nuit dans une ancienne prison qu’on a transformée en auberge de jeunesse au centre-ville d’Ottawa.

C’était la première fois que je visitais l’ancienne prison de Carleton County sur la rue Nicholas, juste devant le Centre Rideau.



Quel bel exemple d’un bâtiment patrimonial protégé auquel on a su trouver une nouvelle vocation!

(Patrick Woodbury, Le Droit)

Le bel édifice de pierre calcaire a servi de prison entre 1862 à 1972, avant d’être transformé en auberge de jeunesse en 1973. L’inauguration a eu lieu en présence du prince Philip.

Cinquante ans plus tard, l’auberge vient de passer aux mains de Saintlo, un organisme à but non lucratif qui exploite des auberges de jeunesse au Québec et en Ontario. Le nouveau propriétaire a investi un demi-million pour revamper les chambres. L’auberge a rouvert le printemps dernier, après une pause pandémique.

Certaines cellules sont très étroites et font à peine un mètre par trois mètres.

Le plus extraordinaire, c’est que les gens payent carrément pour dormir dans les anciennes cellules. Il faut le faire, quand on y pense… du temps de la prison, les gens auraient payé une fortune pour s’en échapper!



Certaines cellules sont très étroites et font à peine un mètre par trois mètres. Dire qu’à l’époque de la prison, on entassait jusqu’à 8 personnes dans ces espaces restreints! Les prisonniers (et prisonnières, il y avait des femmes et même des enfants) dormaient à même le sol, les fenêtres ouvertes, y compris l’hiver…

L’auberge a même dû faire fabriquer des matelas sur mesure au moment de transformer en chambre les anciennes cellules, explique la directrice du marketing de SaintLo, Kathleen Murphy. Les matelas standards ne cadraient pas dans des espaces aussi claustrophobiques!

Chaque cellule, pardon, chaque chambre, est associée au nom d’un véritable prisonnier. Par exemple, la chambre 416 fait référence à un certain John Fairburn, arrêté le 15 mars 1886, pour avoir volé… un pot de cornichon et 5 oeufs. Un crime qui lui a valu un mois de prison!

Chaque cellule est associée au nom d’un véritable prisonnier. Par exemple, la chambre 416 fait référence à un certain John Fairburn, arrêté le 15 mars 1886.

Les barreaux d’origine des cellules sont toujours là, contribuant à l’atmosphère vaguement lugubre des lieux. Il est même possible de visiter le couloir de la mort et la potence qui servait à pendre les condamnés. Tout cet équipement de mort et de souffrance a été laissé en l’état.

Oui, c’est un peu macabre.

Mais c’est ce qui fait tout l’intérêt de l’endroit et attire les touristes. Lors de notre visite, plus tôt cette semaine, les 140 chambres étaient remplies à 90%, nous a dit la direction.



•••

Le prix de la nuit (entre 37 et 80$) comprend une visite guidée des lieux en compagnie d’un excellent comédien, Simon Selene. Il nous apprend toutes sortes de détails fascinants – et souvent sinistres – liés à l’histoire de l’ancienne prison.

Son détenu le plus célèbre?

Sans conteste Patrick James Whelan, l’assassin de Thomas D’Arcy McGee, l’un des Pères de la Confédération. Près de 5000 personnes ont assisté à son exécution, en 1889, que les autorités avaient pourtant secrètement devancée de deux jours pour éviter les attroupements…

Seulement trois exécutions «officielles» ont eu lieu à la prison de Carleton County.

Seulement trois exécutions «officielles» ont eu lieu à la prison de Carleton County. Mais Simon, notre guide, nous apprend qu’une barre horizontale, située au plafond, dans l’antichambre de la potence principale, servait aux «exécutions non officielles». On voit encore les traces de la corde imprimées dans le bois.

Dès le début de la visite, on comprend très vite que les conditions de détention étaient tout simplement horribles.

Les châtiments corporels étaient permis. Dans l’ancienne chapelle transformée en cafétéria, on peut observer une ancienne courroie en cuir, encore tâchée de sang, qui servait à punir les détenus…

La cellule d’isolement, un espace étroit et obscur, donne froid dans le dos. Un détenu pouvait y passer jusqu’à six mois sans voir personne, dans le noir total, avec comme seul compagnon un seau malodorant pour faire ses besoins. À l’époque, on jugeait ce châtiment acceptable parce qu’il n’y avait pas de violence physique… les dommages psychologiques ne comptaient pas!



Des touristes viennent d’aussi loin que l’Europe pour passer la nuit dans l’ancienne prison de Carleton County sur la rue Nicholas, juste devant le Centre Rideau.

On apprend aussi que lorsqu’un homme était condamné pour un crime, on l’emprisonnait parfois avec femme et enfants. On jugeait alors, ne me demandez pas pourquoi, qu’il valait mieux agir ainsi pour éviter de séparer les membres d’une même famille…

Autre détail macabre à souhait: le plancher en bois du couloir de la mort était conçu pour craquer. D’abord pour que les gardiens soient en mesure de détecter le moindre bruit suspect. Mais aussi pour que lorsqu’un condamné à mort s’avançait vers la potence, de lourdes chaînes au pied, tous les autres qui attendent leur tour puissent bien l’entendre marcher vers son destin…

Lugubre, vous dites? Paradoxalement, c’est ce qui fait le charme de l’endroit…

Le bel édifice de pierre calcaire a servi de prison entre 1862 à 1972, avant d’être transformé en auberge de jeunesse en 1973.