Une cacophonie insupportable qui le hantait à toute heure du jour ou de la nuit.
«Je les entendais 24 heures sur 24, 7 jours sur 7», a-t-il raconté en marge d’une conférence de presse sur le phénomène des «entendeurs de voix» au Québec et dans le monde.
Une application développée localement, le Coffre à voix, a aussi été lancée à cette occasion.
Entre 4 à 10% des Québécois entendraient des voix, sans nécessairement être atteints de schizophrénie, selon des chercheurs et des organismes d’aide.
Les cas varient énormément d’une personne à l’autre. Certains entendent quelques voix, d’autres des familles entières de voix, explique Marc St-Martin, du Réseau des entendeurs de voix du Québec.
«Moi, c’était plus qu’une famille, c’était comme le monde entier qui parlait dans ma tête», reprend Carlyle, qui a suivi une thérapie au centre Inter-Section de Gatineau pour apprivoiser ses voix intérieures.
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Alors que certains parlent ouvertement de leurs voix, d’autres préfèrent garder le silence sur le phénomène. La peur de passer pour un cinglé est bien présente. «Le sujet est encore tabou», constate Julie Ohanessian, coordonnatrice du développement clinique chez Inter-Section.
L’objectif de la médecine a longtemps été de faire taire les voix. Une approche importée d’Europe préconise plutôt de les apprivoiser, d’apprendre à dialoguer avec elles. C’est l’approche retenue dans les groupes de soutien à Gatineau. L’idée est que les voix ont quelque chose à dire sur un traumatisme passé. Elles seraient en quelque sorte les porte-parole du subconscient…
Et toi, Carlyle, que disaient tes 50 voix?
«Au début, c’était trop cacophonique, je ne pouvais déchiffrer ce qu’elles disaient. Elles se parlaient les unes par-dessus les autres», m’explique-t-il.
Il a trouvé une stratégie en thérapie pour les isoler et dialoguer avec elle.
«J’ai enfermé mes voix dans des tiroirs. Ça a super bien fonctionné. Je me suis débarrassé de 10 voix dans un premier tiroir, et de 36 voix dans un deuxième tiroir. Je suis resté avec 4 voix. Là, j’ai pu comprendre ce qu’elles disaient.»
Avec son intervenante, ils ont convenu de baptiser ses voix: le Chef, la Critique, le Jugeur et la Diététicienne. Un qui le bossait, un qui le jugeait, une qui l’accablait de critiques et… la Diététicienne? «Elle me donnait de mauvaises recommandations sur ce que je mangeais».
Donc pour toi, les voix étaient bien réelles? Elles existaient, pour ainsi dire?
«Oui, ça parle vraiment dans ma tête. Mais ça peut aussi venir des murs, des objets. Ça peut être des sons. Des fois, les voix me réveillaient la nuit. Tomber endormi aussi était difficile — ça parle alors que tu essaies de t’assoupir!»
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Même si ce n’est pas le cas de tous les entendeurs de voix, Carlyle vit avec des diagnostics de santé mentale. Schizophrénie, bipolarité… c’est la thérapie, associée à une meilleure médication, qui lui a permis de surmonter ses voix.
Il m’a raconté que c’est la voix du Chef qui a été la plus difficile à apprivoiser. Il y est venu à bout en tenant un journal quotidien où il notait l’heure de ses apparitions, la teneur de ses propos, son humeur du moment… Un moyen de mieux connaître à qui il avait affaire, pour mieux le maîtriser.
Peu à peu, il est venu à bout de changer sa relation avec le Chef. «C’est quelqu’un qui me dénigrait. Il a fini comme un allié qui me protégeait des autres voix. Mais ça a pris beaucoup d’efforts et de travail avec lui pour en arriver là», raconte Carlyle.
Aujourd’hui, à 33 ans, il entend des voix une fois par mois. Il ne les craint plus. «D’une certaine manière, elles sont devenues mes amies. Même que, des fois, elles m’aident. Elles me rappellent des choses que j’oublie. Lors de mes examens au cégep, mes voix me donnaient des trucs pour répondre à des questions difficiles. D’une certaine manière, c’est un peu comme tricher…»
Tricher? Je sais pas, Carlyle. Quand on y pense, tu as réussi à apprivoiser un troupeau de voix enragées. Il faut bien que ça serve à quelque chose de positif!