Elle vit d’espoir.
Rien ne laissait présager ce qui la guettait lorsqu’elle est partie en janvier avec sa famille, à un chalet dans Charlevoix. Une seconde elle est correcte, la suivante elle est secouée par une crise d’épilepsie, prise de convulsions. Elle aboutit dans un hôpital de Québec « où on voyait quelque chose au cerveau, mais sans savoir ce que c’était précisément ».
Rebelote à l’hôpital Charles-Lemoyne à Longueuil, près d’où elle habite, on y « fait une série de tests, ils voyaient quelque chose ».
En mars, à l’Institut neurologique de Montréal, son monde s’écroule. Au bout du fil, Shirley me raconte. « On me dit : " vous avez un glioblastome », un cancer du cerveau très agressif. Les larmes montent. « J’ai été opérée deux semaines plus tard. » C’est une première étape, l’attendent la radiothérapie et la chimiothérapie.
Puis, elle entend parler d’un « casque » porteur d’espoir.
Cet espoir a un nom, Optune, une technologie qui permet aux personnes comme elle d’espérer vivre plus longtemps, au-delà de deux ans dans presque la moitié des cas, peut-être cinq ans. Depuis juillet, elle fait partie d’un protocole de recherche avec le CHUM, ce qui lui permet de bénéficier de ce traitement qui vise à ralentir la maladie.
C’est autant de temps avec Zack et Samuel, ses deux gars.
Concrètement, Optune est un « casque » fait de bandes autocollantes contenant des électrodes qui génèrent des champs magnétiques perturbant la division des cellules cancéreuses. Le tout est alimenté par une batterie de quelques livres portée en bandoulière. Ce traitement, reçu jusqu’à maintenant par 27 000 personnes dans le monde, a été approuvé par Santé Canada il y a un an presque jour pour jour, venant s’ajouter aux – rares – options disponibles pour s’attaquer à ce cancer au pronostic plutôt sombre.
Ça, c’est la bonne nouvelle.
La mauvaise, c’est que les autres malades n’y auront pas droit avec leur carte-soleil, tel que recommandé en septembre l’Institut national d’excellence en santé et en services sociaux (INESSS) contrairement à la France et aux États-Unis, entre autres pays, où le traitement est remboursé. Selon l’INESSS, Optune ne devrait pas être couvert par l’assurance-maladie essentiellement pour deux raisons : son coût et… les « ressources limitées » dans le réseau de la santé.
Comme si ça allait faire exploser le système.
Pour le coût, Shirley comprend. « Si c’est trop cher, je comprends complètement, il y a des choix de société qui doivent être faits. Mais aurait-on pu tenter de négocier avec la compagnie? »
Ça se fait.
Même son de cloche auprès du Dr Jean-Paul Bahary, responsable du programme de neuro-oncologie au CHUM, qui suit des patients comme Shirley. « Le seul argument que j’accepte, c’est le coût. Tout le monde peut comprendre qu’on ne peut pas dépenser partout parce que le système va craquer. Mais on aurait pu parler de tenter de négocier, de dire " on pense que ce montant-là pourrait être raisonnable " au lieu de fermer la porte. »
Surtout que « c’est le traitement qui a démontré le plus d’impacts ». Optune donne une plus grande augmentation de l’espérance de vie « que les traitements standards », comme la chimiothérapie. « Dans les études, les gens qui le portaient vivaient plus longtemps. »
Depuis que Shirley s’enveloppe la tête d’électrodes, elle a « fait deux IRM [imagerie par résonance magnétique], et c’est stable ». Elle peut, surtout, profiter de la vie. « Je vais courir, je fais du vélo, je vais au hockey avec mes gars, je mène une vie très active! Porter le casque, ce n’est rien de très compliqué, c’est juste une adaptation. »
Parmi les arguments de l’INESSS qui étonnent – c’est un euphémisme – le Dr Bahary, il y a la « disparité entre les régions. On dit que c’est préjudiciable pour ceux qui habitent loin des grands centres, mais ça peut se poser pour n’importe quoi. C’est comme si on disait " on ne fera pas de centre de traumatologie à Montréal parce que ce n’est pas juste pour les régions « … Avec la télémédecine, ce problème ne se pose pas, je suis des patients en Abitibi, la question des distances ne doit pas être un argument. »
Au contraire, réplique le Dr Bahary, c’est de l’interdire à tout le monde qui est préjudiciable. « Ça nous met dans une position difficile avec le patient, il y a un traitement disponible, mais il n’est pas accessible. »
Il y a autre chose.
Dans le rapport de l’INESSS, « les membres du comité consultatif soutiennent que les ressources limitées du système de santé rendent difficiles la prise en charge et l’accompagnement de ces patients pour l’utilisation du dispositif. Ils rappellent à cet égard la fréquence des changements des matrices d’électrodes. »
Shirley doit changer ses « matrices » – les bandes autocollantes – environ deux fois par semaine. « Ça prend entre 30 et 45 minutes. Mon conjoint m’aide, il installe ça avec amour. On prend ça positivement. »
Dans son calcul coût-bénéfice, l’INESSS pèse plus lourd sur la calculatrice. « Puisque le dispositif peut requérir une mobilisation importante et fréquente des proches aidants, il est plausible que cet ajout réduirait le nombre d’heures que ces personnes pourraient consacrer à leur emploi. Les coûts indirects en perte de productivité ont donc été inclus dans l’analyse. Les coûts indirects retenus reflètent la perte de revenu engendrée par une diminution de sept heures de travail par semaine. »
Même la pénurie de main-d’œuvre y passe. Est-ce qu’on fermera dorénavant la porte à tous les nouveaux traitements faute de personnel? « Il existe une incertitude importante quant à l’insuffisance probable des ressources du réseau de la santé pour offrir aux patients un soutien.» On a calculé que les « Coûts des ressources additionnelles requises» sont de « cinq ETC [équivalents à temps complet] supplémentaires au coût unitaire de 93 544 $. »
Aux yeux du Dr Bahary, on a voulu noyer le poisson.
Pour l’INESSS, l’affaire est entendue. « À la lumière des analyses économiques effectuées, l’ajout du dispositif au standard de soins ne constitue pas une option de traitement efficiente au prix soumis. De plus, les membres jugent que les coûts associés à son utilisation sont élevés. »
Combien? Impossible de savoir, le total de la facture est caviardé dans le rapport. « La couverture publique du dispositif Optune MC engendrerait des coûts additionnels sur le budget des établissements de santé et de la RAMQ de XX M$ sur 5 ans selon l’hypothèse que 308 patients atteints d’un GBM nouvellement diagnostiqué seraient traités. »
J’ai demandé aux communications de L’INESSS il y a une semaine de connaître ce montant, je n’ai obtenu aucune réponse.
Le Dr Bahary insiste, ce sont les autres raisons « plus ou moins valables » qui posent problème, comme si, comme le veut le dicton, on avait voulu tuer le chien en l’accusant de la rage. Comme si on n’avait pas vraiment donné la chance au coureur.
Aux autres qui, comme Shirley, aimeraient bien pouvoir gagner du temps précieux sur la maladie, quitte à perdre leurs cheveux. « Mon plus jeune ne comprenait pas pourquoi je me suis fait raser les cheveux, il disait : " non, maman, ne fais pas ça! " J’avais de longs cheveux… Eux, c’est ce qu’ils voient. Moi, je m’en fous de mes cheveux, je veux juste vivre. »
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