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Jongler avec les taxes municipales

Les fonctionnaires et le conseil municipal travaillent fort pour équilibrer le prochain budget de la Ville de Sherbrooke.

CHRONIQUE / Chaque année, c’est sensiblement le même casse-tête pour toutes les villes du Québec: comment boucler le budget? Sans trop augmenter les taxes. À Sherbrooke, le casse-tête est peut-être un peu plus intense, puisque la mairie a promis que la taxe foncière sera toujours à 3%, pas plus, pas moins. Devant une inflation bien plus forte, cette promesse vient inévitablement avec un cout.


Le cout ne vient pas toujours avec une facture. Ça peut être la diminution d’un service ou le report d’un projet. Bien qu’un budget ne soit pas de la chimie, d’une certaine façon, là aussi, rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme.

Équilibrer un budget ne se fait pas par magie ou par simple motivation, c’est une question de choix. Des choix qui peuvent être politiques, mais parfois c’est aussi un choix de mots. Ou un jeu de colonnes comptables.

Limiter le compte de taxes à 3% signifie probablement qu’on va l’équilibrer ailleurs. La Ville peut, par exemple, essayer de compenser le manque à gagner en rendant payant un service gratuit. Comme les vignettes de stationnement qui viennent avec une facture depuis l’an dernier.

Une idée qui n’a pas rapporté autant qu’on pensait. Seulement 12 500$, alors que la Ville estimait que ça rapporterait 50 000$. Ce qui n’est pas surprenant. C’était une mauvaise cible.

Le conseiller Paul Gingues y a vu un geste de contestation, la conseillère Laure Letarte-Lavoie y voit un signe que les gens ont changé leurs habitudes. Je proposerais l’option « dépense inutile ».

On a essayé de coller le principe de l’utilisateur-payeur à une situation où on était plus dans un mode de modération que d’utilisation. Les vignettes ont continué d’empêcher les équipes de travail ou les cohortes étudiantes de l’université, des écoles ou des centres de santé de prendre toutes les places de stationnement au détriment des résidents des quelques rues visées. Mais pour les résidents, ces espaces servaient peut-être plus pour la visite que pour un usage quotidien. D’où la dépense inutile.

Taxe stationnement

Pendant les discussions sur le budget est sortie l’idée de taxer les espaces de stationnement. Pardon, les « surfaces imperméables » des immeubles commerciaux et industriels. Ce qui revient pas mal aux stationnements, mais aussi aux toits des bâtiments.

Évidemment, la Chambre de commerce et industrie de Sherbrooke déplore que la Ville vise encore les entrepreneurs. L’an dernier, Sherbrooke avait créé de nouveaux taux de taxation pour les immeubles commerciaux.

C’est vrai que les petites entreprises ne l’ont pas facile, mais ce ne sont pas elles qui ont 2000 cases de stationnement non plus.

Les stationnements des centres commerciaux sont souvent vides en dehors des heures d'ouverture.

Reste que le stationnement extérieur, c’est un problème latent. Pendant des années, on en a bâti des gros juste parce qu’on avait l’espace pour en faire des gros. Mais c’est beaucoup d’espace qui ne sert souvent à rien, qui n’est pas valorisé, qui crée des ilots de chaleurs, qui stimule la dépendance à l’auto, qui enlaidit le paysage urbain.

Ce n’est pas seulement la Ville de Sherbrooke qui y voit un problème, d’ailleurs. Il y a une tendance chez les propriétaires de centre d’achats à rentabiliser ces espaces sous-utilisés, en construisant par-dessus, pour en faire du logement ou des bureaux ou d’autres services.

Quant aux toits des bâtiments, là aussi, on gaspille des espaces incroyables. Il serait temps que les entrepreneurs rentabilisent ces espaces, avec des terrasses, des jardins communautaires ou privés. Juste mettre de la verdure, même sans aucune ambition d’agriculture urbaine, juste laisser pousser des plantes, ça contribuerait à diminuer leur facture d’énergie (la verdure crée un isolement efficace été comme hiver) en plus de contribuer à diminuer les ilots de chaleur.

La Ville y voit donc une opportunité de taxer un problème qui a un cout – les ilots de chaleurs, les inondations, tout ça vient avec une facture –, mais personnellement, j’y vois une façon de lutter contre la médiocrité et les changements climatiques. À petite échelle, mais c’est mieux que rien.

Taxe vélo

Comme pour répliquer à cette mesure, certains citoyens et citoyennes, en ligne, sont revenus avec l’idée de faire payer les cyclistes. Une rengaine qui revient souvent. Sous le principe de l’utilisateur-payeur.

Ça sous-entend que les cyclistes ne paient rien. Pourtant, les cyclistes paient des impôts, des taxes foncières, la TVQ, etc.

Ça sous-entend aussi que les automobilistes, eux, paieraient tous les frais reliés à l’utilisation de la voiture, avec le permis de conduire, l’immatriculation, etc. C’est loin de couvrir tous les frais que la société doit payer pour que l’automobile puisse rouler partout.

Selon des données de la Chaire Mobilité, les vélos occupent seulement 1,3% des voies publiques, alors que les voitures occupent 74% de cet espace.

Juste pour la congestion routière, le ministère des Transports estimait, en 2017, que ça coutait 3 milliards $ par année à la société québécoise. Les paiements de tous les permis de conduire du Québec - 5 655 647 en 2023 – ne couvrent même pas le cout des embouteillages. On n’a pas même pas encore évoqué l’entretien des routes, le déneigement, les infrastructures, la voirie, les frais reliés aux accidents, etc.

Une étude canadienne estimait il y a quelques années que pour chaque 1$ que paie un cycliste pour rouler, la société paie 0,08$. Pour chaque 1$ que paie un automobiliste pour se déplacer, la société paie 9,20$.

Si j’étais un automobiliste – ce que je suis – j’y penserais deux fois avant de prôner le principe de l’utilisateur-payeur.

Équilibre fragile

La promesse du 3% est contraignante. Je n’ai pris que deux ou trois exemples, mais le truc à retenir, c’est que si les revenus ne viennent pas de la taxe foncière, ça va juste rebondir ailleurs. Dans les frais d’inscription pour la ligue de hockey ou de soccer, dans le prix des parcomètres, dans le montant des contraventions, etc. Ou ça va faire en sorte qu’au lieu de reconstruire une piscine, on fasse un jeu d’eau. Qu’une rue prenne cinq ou dix ans avant d’être réparée.

Je ne suis pas en train de dire que la Ville doit tout mettre dans le compte de taxes ou qu’elle peut les monter n’importe comment. Loin de là. Je dis juste qu’il faut faire attention aux fausses économies et aux idées trop faciles. Dans ces exercices, chaque choix a des conséquences. C’est souvent selon ces conséquences que les choix se font.

L’argent va toujours venir de nos poches. Peu importe la façon de payer. L’idée c’est de maximiser ce qu’on s’offre comme services en retour et d’équilibrer la redistribution de la facture – certaines personnes ont plus de moyens que d’autres. C’est important de garder en tête la globalité, sinon on risque de dépenser n’importe comment et de taxer tout croche.

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