On s’étonne quand même que la ministre déléguée à la Santé, Sonia Bélanger, ait affirmé que des discussions à venir avec Ottawa empêchent que le volet concernant les «demandes anticipées» entre en vigueur avant deux ans probablement.
L’actuel Code criminel canadien ferait obstacle à une mise en application plus tôt.
Cet argument ressemble malheureusement à un prétexte, comme si Québec cherchait en partie à se défausser sur Ottawa.
Cet argument du Code criminel, Mme Bélanger l’a énoncé jeudi au micro de Paul Arcand, du 98,5, à Montréal. Or, mardi soir dernier, en commission parlementaire, lorsque la ministre a parlé de cet aspect des choses — et fait amender son projet de loi afin d’inclure ce délai (d’un maximum) de 24 mois —, la justification avancée était plutôt celle-ci:
• Le temps requis pour la formation de tous les professionnels concernés;
• Celui nécessaire à la création d’un registre des demandes anticipées;
• Le travail à mener sur le guide de pratique pour les professionnels liés à cet ultime soin;
• La mise à jour, par l’Institut national d’excellence en santé et services sociaux, du protocole d’aide médicale à mourir.
On peut trouver qu’un délai de deux ans pour l’entrée en vigueur des demandes anticipées est fort long pour abattre le boulot décrit. Mais il ne faut pas tourner les coins ronds. Mieux vaut être bien préparé.
Les partis d’opposition en ont convenu mardi dernier, même s’ils ont invité la ministre à agir avec la plus grande diligence possible — ce à quoi elle s’est engagée.
L’argument du Code criminel canadien, avec lequel le Québec devrait «s’harmoniser», ne s’est ajouté que plus tard, donc. C’est là que le bât blesse vraiment.
Pourquoi s’est-il ajouté plus tard? Deux hypothèses possibles:
a) Pour étouffer la critique qui menaçait de se faire entendre voulant que le gouvernement Legault ne se soit pas suffisamment préparé en amont.
Cette critique pourrait s’appuyer sur le fait que lorsque le ministre Christian Dubé a annoncé il y a un an l’abandon du projet de loi qu’il avait présenté sur l’élargissement de l’aide médicale à mourir, il avait assuré que l’entrée en vigueur des éléments qu’il contenait ne serait pas pour autant retardée. Il avait précisé que son gouvernement continuerait à se préparer en parallèle, en attendant la présentation et l’adoption d’un nouveau projet de loi à venir — celui que porte Sonia Bélanger depuis quelques mois.
En pointant soudainement le Code criminel, a-t-on estimé qu’on avait une chance d’amener le débat ailleurs que sur le travail qui a été réalisé ou pas, ou que sur l’engagement de M. Dubé?
L’autre explication possible est la suivante:
b) Si cet argument n’a pas été évoqué par la partie gouvernementale la semaine dernière en commission parlementaire, c’était pour éviter que les partis d’opposition disent au gouvernement qu’il manquait à son devoir et à sa promesse de se conduire en «nationaliste». Et qu’il tournait le dos à la pratique québécoise.
Depuis le début, la loi québécoise s’est inscrite comme un soin — un soin ultime, certes, mais comme un acte médical —, un domaine où le Québec a compétence.
Pour éviter toute confusion, et comme il l’a déjà fait, le ministère de la Justice du Québec pourrait d’ailleurs très bien envoyer une directive au Directeur des poursuites criminelles et pénales qui demanderait explicitement que les procureurs québécois n’entreprennent pas de poursuite contre les professionnels respectant la nouvelle loi québécoise. C’est ce que rappellent plusieurs experts.
On reviendrait alors aux seuls arguments des formations à offrir aux professionnels de la santé, ainsi qu’aux nouveaux protocoles à rédiger et à mettre en place. Autrement dit, à la seule responsabilité de Québec.
La nouvelle loi sera adoptée cette semaine.