J’ai laissé récemment entendre que ce calcul était difficile à faire, que la conclusion n’est pas si évidente que ça. C’était dans la chronique où je rapportais l’histoire du type qui avait accumulé 100 000 $ d’épargne à 45 ans.
Je vous le dis, là, ce n’est pas la peine de m’écrire pour me signaler qu’une même personne, avec un même REER, se retrouve plus riche à la retraite avec un bungalow payé que si elle vivait à loyer. Je ne suis pas nono.
Toutefois, la comparaison m’apparaît boiteuse, car on ne parle certainement pas du même individu mû par les mêmes comportements. Si un des deux a pu accumuler plus d’actifs au cours de sa vie, il y a de bonnes chances qu’il ait eu plus de moyens, ou que l’autre ait flambé plus d’argent au casino durant sa vie active.
Je comprends parfaitement ça : une maison représente un actif important, le plus important pour la plupart des ménages. N’empêche, j’ai souvent relativisé les avantages de la propriété. Se loger représente un coût, pas un investissement. Les propriétaires sous-estiment l’effet des intérêts hypothécaires (peut-être moins maintenant), des taxes, des frais d’entretien, de la commission de courtage, à la fin. S’ils vivent en périphérie, éloignés de l’action, ils doivent souvent assumer le coût d’une voiture supplémentaire.
C’est moins susceptible d’arriver aux ménages locataires. Ils habitent généralement dans des endroits plus densément peuplés, mieux desservis en transport collectif, où ils peuvent se déplacer à vélo et à pied. Ils ne sont pas pris avec les mêmes dépenses que les propriétaires.
Normalement, pour des revenus équivalents, le locataire devrait disposer de plus de liquidités à la fin du mois. Pour arriver à la retraite aussi riche que le propriétaire, il doit investir son surplus de manière à obtenir de bons rendements. Il doit donc être épargnant et pouvoir prendre des risques, en plaçant son argent à la bourse. Cela ne garantit pas pour autant qu’il sortira gagnant.
Ça dépend aussi de la hausse de la valeur de l’immobilier dont profitera le propriétaire de son côté. En dépit de tous les frais qu’il doit assumer, une partie de ses dépenses constitue de l’épargne forcée dans un actif qui s’apprécie. Avec un peu de chance, il peut se départir de son bungalow au prix fort, en refilant à l’acheteur tous les frais de mise à niveau parce que l’habitation n’a pas été entretenue. Il sortira alors avantagé. Le nouveau propriétaire, lui, partira sans doute avec deux prises contre lui. Il y a une question de timing. Qui peut le prédire?
On parle surtout d’un choix de vie. Une maison de banlieue, avec un terrain entouré d’une haie, des plates-bandes, une terrasse donnant sur le cabanon avec une tondeuse dedans, c’est incomparable avec le rez-de-chaussée d’un duplex avec une cour partagée, en ville. Quand c’est plus confortable et plus luxueux, c’est généralement plus cher.
Ce qui est aussi incomparable, c’est les 25 dernières années et les 25 qui s’en viennent, qu’on ne peut pas prédire. Les prix de l’immobilier ont explosé, favorisés par des valeurs de départ relativement faibles (au sortir des sombres années 1990), par des taux d’intérêt en baisse et l’immigration croissante. Le marché boursier n’a pas à rougir, cela dit. De 1996 à 2021, les prix de l’immobilier résidentiel ont crû de 355 % au Québec, tandis que le principal indice de la bourse américaine a progressé durant ce temps de plus de 550 % (de 2000 à 2021, la bourse canadienne a avancé de quelque 250 %).
Les prix des loyers étaient aussi dérisoires il y a 25 ans. Quelqu’un qui aurait signé un bail à ce moment-là et se serait accroché à son cinq et demi dans le but d’investir à fond à la bourse se retrouverait aujourd’hui avec un bilan qui n’aurait rien à envier avec celui du propriétaire. Mais qui demeure au même endroit aussi longtemps en vue d’acheter des actions d’Apple et d’Amazon?
En 2000, l’immobilier et les loyers étaient abordables. Aujourd’hui, ils ne le sont plus. Qui peut acheter une maison sans le soutien de ses parents, sans faire une croix sur sa vie sociale? Du côté de la location, ce n’est guère plus joyeux, les appartements pour loger une famille coûtent parfois si cher qu’il ne doit pas rester grand-chose pour investir, une fois payé le loyer.
Si seulement c’était passager. La construction au Québec ne suit pas la cadence de la demande, toujours alimentée par l’immigration. On se trouve en situation de pénurie chronique, et, vraisemblablement, ça ne s’améliorera pas. On cause de programmes et de financement aux trois paliers de gouvernements afin de garnir le parc de logements, mais les discussions et les projets s’empêtrent dans les obstacles bureaucratiques. Et il y a l’enjeu de l’étalement urbain, un modèle aujourd’hui remis en question, ce qui augure mal pour la construction de maisons individuelles.
En fait, dans la situation, est-il encore pertinent de se demander quelle voie permet le mieux de s’enrichir, quand les deux semblent de plus en plus bouchées?