Chronique|

La retraite d’une pro de la retraite

Hélène Gagné prend sa retraite après 38 ans dans l'industrie des finances personnelles.

CHRONIQUE / On me demande parfois où j’ai fait mes études en finances, à Harvard ou à Yale. En vérité, ce qui s’en approche le plus dans mon parcours académique, c’est mes cours de maths au Cégep de Shawinigan. S’il m’arrive aujourd’hui d’avoir l’air « brillant », c’est surtout à cause des experts avec qui j’ai tissé des liens avec le temps. Parmi eux, une dame : Hélène Gagné. Je dirais même qu’elle m’a initié, jeune homme ignorant, à la « chose financière ».


Ça faisait un bail qu’on ne s’était pas parlé quand j’ai appris qu’elle quittait la vie active. Voir Hélène partir à la retraite, ça équivaut à observer en cachette Josée di Stasio se cuisiner des spaghettis cacio e pepe, un mardi soir. Suivent-elles les recettes qu’elles ont publiées dans leurs livres?

C’est qu’Hélène Gagné a écrit deux bouquins de finances personnelles, Maximiser votre capital retraite et Votre retraite crie au secours. Elle a aussi produit d’innombrables chroniques sur la planification, l’épargne et les placements, elle a donné des conférences et a participé à des émissions de télé. On l’a vue notamment à plusieurs occasions de sur le plateau de Gérald Filion. Hélène Gagné nous entretenait déjà des vertus du REER et des investissements à long terme à l’époque où Pierre-Yves McSween s’interrogeait encore sur ses choix de carrière, le showbiz ou la comptabilité.



Hélène est entrée dans l’industrie en 1985. Elle en sort 38 ans plus tard, à l’âge « normale » de la retraite, cinq ans plus tôt que prévu. La perte de deux sœurs au cours des dernières années l’a fait réfléchir, les événements ont précipité sa sortie. Au menu : des voyages et du tennis, sur le court attenant à sa maison d’Eastman.

Trente-huit ans… C’est une longue carrière durant laquelle la conseillère a été témoin de nombreux soubresauts et changements dans le milieu. Elle a vu les grandes années du défunt Régime d’épargne-actions (REA), le programme lancé par Jacques Parizeau afin d’encourager les Québécois à participer au capital-actions d’entreprises de chez nous à l’aide d’allégements fiscaux. Elle a connu la belle époque des salons d’épargne et placements, l’euphorie à l’égard des titres technologiques. Elle a aussi vu le krach de 1987, l’éclatement de la bulle Internet, la crise financière de 2009, la pandémie de Covid-19… Ça n’a jamais changé grand-chose.

« J’ai confiance en l’économie capitaliste. La Bourse connaît de temps en temps des baisses qui font mal, mais elle finit toujours par rebondir. Ça se répète continuellement, tout ce qui change, c’est le nom qu’on donne aux crises. »

—  Hélène Gagné, planificatrice financière

Au début des années 2000, je pilote le magazine où elle signe une chronique mensuelle. Un moment donné, je remarque chez elle une conversion…

Jusque-là, elle bâtissait les portefeuilles de ses clients avec des fonds communs de placement (FCP), c’est tout ce qu’il y avait si on ne voulait pas acheter directement des titres d’entreprises. À l’époque, les frais de gestion se situaient entre 2,5 % et 2,75 %, et l’investisseur ne pouvait pas revendre ses parts avant quelques années sans payer des frais de sortie.



Lors d’une conférence à laquelle elle assiste aux États-Unis au tournant du millénaire, Hélène Gagné découvre le marché encore embryonnaire des fonds indiciels négocié en Bourse (FNB), un produit qui procure une exposition diversifiée et instantanée aux marchés boursiers pour des frais dix fois moindres. Pour elle, c’est l’avenir. Elle bascule du côté des FNB, alors qu’il n’en existe qu’une poignée. Elle a été une des premières dans le milieu à faire le saut.

Dans ses chroniques, sa nouvelle vision devient vite perceptible. On y apprend qu’il n’y a pratiquement aucun gestionnaire de fonds commun de placement qui arrive à battre les grands indices boursiers avec constance. Ça fait plus de 20 ans de ça, et ce constat a été confirmé avec les années par de nombreuses publications. Le marché des fonds négociés en bourse a depuis explosé. S’il n’a pas encore surpassé celui des fonds communs traditionnels, c’est que l’industrie des services financiers favorise toujours largement ces derniers. On peut se consoler, car l’arrivée des FNB à coûts minimes aura au moins exercé une pression à la baisse sur les frais des « fonds mutuels », comme on les appelait dans le temps.

Évidemment, quand on demande à Hélène Gagné quelle est la plus belle chose qu’elle a vue naître au cours de sa carrière, elle nomme spontanément les FNB, en ajoutant d’autres innovations qui ont ouvert l’accès à l’investissement : le courtage en ligne, la diminution des coûts de transaction et des frais de gestion.

Ça n’apporte pas que du bon, reconnaît-elle du même souffle. Plus c’est facile de négocier des titres financiers, plus on cède facilement à l’euphorie et à la panique.

« Dans ma carrière, j’ai davantage géré les émotions de mes clients que leur argent. »

C’est ça, l’investissement.

Bonne retraite!