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J’ai 100 000 $ de REER à 45 ans, quelle retraite m’attend?

CHRONIQUE / J’affectionne ce thème déclinable de mille et une façons. Combien d’argent faut-il pour maintenir son train de vie à la retraite? Avertissement: les chiffres peuvent être angoissants.


Je suis à l’affût de toutes les occasions pour y revenir. Cette fois, c’est quelqu’un qui m’a récemment déclaré avoir franchi le seuil symbolique des 100 000 $ d’épargne dans son REER. Les premiers 100 000 $ représentent beaucoup d’effort. Bravo!

L’atteinte d’un tel plateau mérite d’être soulignée, mais le plus important dans notre histoire, ce n’est pas tant le « combien » que le « quand ». Notre cas, donnons-lui un nom, Étienne, y est arrivé à 45 ans. J’ai dû échapper une grimace, car l’interlocuteur s’est vite enquis : « C’est mal parti? »

Ce n’est pas énorme compte tenu de l’âge et d’un salaire de 85 000 $, surtout si notre homme ne participe pas en plus à un régime complémentaire de retraite d’un employeur.

Devant mon doute, Étienne s’empresse de préciser qu’il est propriétaire d’une habitation et que celle-ci sera libre d’hypothèque, une fois à la retraite. Oui, ça compte, mais on ne doit pas en exagérer l’impact.

Qui s’enrichit le plus entre le propriétaire et le locataire? Ce n’est pas si clair, et les arguments évoqués pour trancher la question sont souvent biaisés ou incomplets. On n’entrera pas dans ce débat aujourd’hui pour nous concentrer uniquement sur les revenus de retraite tirés de l’épargne REER. Étienne pourra évaluer si c’est suffisant pour un retraité propriétaire qui devra assumer des taxes municipales, des frais d’entretien et le coût de travaux majeurs.

Pour analyser la question, j’ai encore une fois extirpé de sa retraite le bon ami trifluvien Daniel Laverdière, ancien planificateur financier et actuaire. Ne lui dites pas, je réponds au vœu tacite de sa charmante épouse, Carole, qui veut que son Daniel reste intellectuellement occupé. Je lui ai donc tété un fichier Excel qui me permettrait d’estimer les revenus de retraite d’Étienne. Il l’a bricolé sur l’autobus qui le ramenait de Gaspé vers Sainte-Foy.

Son outil permet de modifier plusieurs paramètres : le taux de remplacement du revenu désiré à la retraite, le solde du REER à 45 ans, le taux d’épargne, le taux de rendement, le taux d’inflation et d’augmentation de salaire. Le fichier permet de constater, selon les hypothèses retenues, à quel âge le retraité verra le fond de son bas de laine.

Nous avons abordé le problème prudemment en nous appuyant sur les normes d’hypothèses de projection de l’Institut québécois de planification financière (IQPF) : inflation de 2,1 %, augmentation de salaire de 3,1 %, rendement de portefeuille de 4 %, après frais. La feuille de calcul tient compte des revenus indexés tirés de la pension de la Sécurité de la vieillesse (PSV) et du Régime de rentes du Québec (RRQ). L’estimation de ce dernier inclut le régime de base et l’application à 50 % du régime supplémentaire (celui-ci s’appliquera à 100 % chez ceux qui prendront leur retraite en 2065).

Selon les canons de la finance personnelle, on devrait viser à la retraite 70 % de ses revenus d’emploi. Cette règle ne fait pas l’unanimité dans le milieu, la cible dépend de chacun. Ce chiffre m’apparaît néanmoins réaliste pour Étienne, mais on va lui donner une chance en supposant que 60 % lui suffiront.

Aujourd’hui, 60 % de son salaire équivalent à 51 000 $ brut. On doit conserver ce montant en tête, car il représente la réalité qu’on connaît. À la veille d’accrocher son tablier, Étienne gagnera plus de 151 000 $ de revenu d’emploi en raison d’une croissance annuelle des salaires de 3,1 %. Il devra donc viser 91 000 $ de revenus retraite, indexés de 2,1 % par la suite pour encaisser l’inflation. À 65 ans, ça donne 93 005 $. Attention aux illusions, ce sont des dollars du futur dévalués au rythme de 2,1 % par année.

On a estimé rétrospectivement le taux d’économie REER à 6 % du salaire brut. En maintenant ce rythme, Étienne disposera d’un peu plus de 425 000 $ d’épargne à 65 ans en dollars de 2043, aidé par des rendements nets de 4 %.

À la première année de sa retraite, voici comment se composeront ses revenus de 93 005 $ :

RRQ : 35 285 $; PSV : 12 565 $; REER/FERR : 45 155 $.

À ce rythme-là, Étienne aura épuisé son bas de laine durant sa 75e année. L’année suivante, alors qu’il devrait compter sur des revenus de 116 895 $ (en dollars d’un futur plus lointain), il touchera seulement 61 720 $. La chute est brutale, c’est comme si ses revenus bruts passaient aujourd’hui de 51 000 $ à 27 030 $.

On peut tester avec d’autres hypothèses. Si j’applique un taux d’épargne REER de 18% à partir d’aujourd’hui (cotisation de 15 000 $ en 2023), en maintenant un taux de rendement à 4%, Étienne pourra tenir son train de vie jusqu’à 87 ans. En maintenant l’épargne à 6%, mais en haussant le rendement à 6%, quel résultat obtient-on? Étienne est bon jusqu’à 81 ans, mais un tel rendement nécessite une forte pondération en actions, donc une prise de risque accru et bien des angoisses! Cette donnée montre aussi l’impact que peuvent avoir des frais de gestion élevés sur la durée de son épargne.

Le chiffre magique, c’est donc 18 %. Cela représente le taux maximum de cotisation REER. Si Étienne avait démarré à ce rythme, il se serait retrouvé avec quelque 300 000 $ de REER à 45 ans. En continuant sur cette voie, il aurait pu toucher à partir de 65 ans l’équivalent de 70 % (et non 60 %) de ses revenus de travail, et ce jusqu’à 90 ans.

Quand on ne profite d’aucun fonds de pension, c’est le taux qu’il faut viser.