Bell Média avait annoncé cet été sa décision de mettre la hache dans Vrak – qui a succédé au Canal Famille le 2 janvier 2001 – dès le 1er octobre. Mais le débranchement de la chaîne n’étonne pas l’humoriste et le coauteur de Génération Canal Famille, Simon Portelance.
« Ce n’était pas une question de si ça allait arriver, c’était une question de quand ils allaient officiellement tirer la plogue, ça se voyait venir. »
Pendant deux décennies, Vrak a rassemblé et créé un sentiment d’appartenance à la télévision québécoise. La grande qualité du « méchant canal » était sa proximité avec le public, estime Simon Portelance. Cette chaîne spécialisée « écoutait les jeunes », dit-il, avec des forums en ligne et des concours pour connaître l’intérêt des jeunes vis-à-vis les émissions.
« Il y avait vraiment une considération pour les jeunes. On ne sentait vraiment pas que c’était une chaîne gérée par des gens dans la quarantaine. C’est vraiment ce qui a fait la renommée de Vrak pendant les douze ou treize premières années. »
— Simon Portelance
Après toutes ces années, plusieurs sont ceux qui se souviennent encore des répliques invraisemblables du capitaine Patenaude, de la chanson du téléphone de Sonia Rutabaga ou encore des publicités déjantées de Vrak. L’imaginaire des adolescents était marqué par une foule de références communes, avance Simon Portelance. Mais l’audace de Vrak, tout comme Canal Famille, était déployée dans une volonté de créer une habitude et de faire de la télé différemment.
« Je me souviens des concours où tu devais regarder une émission pour repérer un indice. C’est l’une des choses qu’ils faisaient pour inciter les gens à rester [fidèles] à cette chaîne. La ligne éditoriale dans le choix des émissions qui étaient programmées s’accordait d’une certaine manière. Ce n’était pas juste un assemblage d’émissions. On sentait que c’était dans le même esprit, ce qui a contribué au sentiment d’appartenance. »
Karv, l’anti-gala
De nombreux éléments ont joué en faveur de Vrak, à commencer par le tout premier logo, « avec la bébitte bleue », ou encore Karv, l’anti-gala, un gala jeunesse organisé par la chaîne de 2004 à 2016 et qui récompensait les personnalités publiques préférées des adolescents.
« C’était l’occasion de rencontrer des comédiens et de vivre une grande fête, se souvient Simon Portelance. Les gens qui ne pouvaient pas y participer parce qu’ils habitaient en région ou parce qu’ils n’avaient pas de billet pouvaient le regarder à la télé et voyaient plein de jeunes comme eux, ce qui donnait l’impression que c’était accessible. »
D’autant plus qu’on invitait les jeunes à voter et à élire leurs personnalités préférées. « Quand tu es ado, tu n’as pas de pouvoir sur grand-chose », ajoute l’humoriste.
Bien sûr, certaines choses ont moins bien fonctionné. Pensons à Mauvais quart d’heure et Anormal. Mais ces concepts éclatés rappellent l’aplomb de la chaîne qui a souvent pensé à l’extérieur de la boîte.
« Une grenade avec ça? aurait pu ne pas fonctionner après Dans une galaxie près de chez vous, mais ç'a quand même fonctionné et c’est devenu une émission culte. Il y avait une volonté de ne pas refaire des copiés-collés. Vrak était une télévision en avance sur son temps. »
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Puis il y avait aussi toutes ces séries américaines ou canadiennes pour adolescents (One Tree Hill, Buffy the Vampire Slayer, Dawson’s Creek, Degrassi: The Next Generation, Gilmore Girls, Big Wolf On Campus, Sabrina the Teenage Witch) qui créaient un équilibre dans l’offre télévisuelle.
« C’était d’énormes succès à l’international que Vrak réussissait à acheter. C’est sûr que ça donnait un énorme succès à Vrak et que ça attirait autant l’attention que Il était une fois dans le trouble. »
Et maintenant?
Il y a presque un an jour pour jour, Simon Portelance et Guy A. St-Cyr publiaient Génération Canal Famille en n’ayant aucune idée qu’une autre époque télévisuelle serait révolue un an plus tard.
Aujourd’hui, que reste-t-il de cet inconditionnel attachement pour les productions québécoises pour un auditoire jeunesse?
« En ce moment, j’ai l’impression que la télévision québécoise essaie de sauver les restants de meubles, confie Simon Portelance. Plus le temps avance, moins il y a d’abonnés et un moment donné il faut préparer le terrain pour l’avenir. »
« Il faut garder en tête que si on abandonne les jeunes en termes de contenu de télé, de cinéma et même de musique, ils n’iront pas en consommer quand ils seront adultes, poursuit-il. C’est dommage parce qu’on a échappé une génération d’adolescents qui n’ont pas vraiment d’attachement aux productions québécoises. »
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« Le premier domino qui tombe »
Malgré le pincement au cœur de voir la disparition du « méchant canal » où tout le monde était « complètement Vrak », Simon Portelance ne se leurre pas de vaines espérances. Parce que si le retrait de Vrak est « le premier domino qui tombe », c’est aussi « une page importante de la culture au Québec qui se tourne ».
« Si la fin de Vrak peut servir à quelque chose et qu’on se réveille, tant mieux. Les vieilles émissions, c’est une chose et ce serait plaisant de les revoir, mais ce qui me préoccupe encore plus, c’est ce que les jeunes vont regarder maintenant. »
Il flirte même avec l’idée d’une plateforme en ligne commune pour réunir toutes les productions québécoises.
« Ça nous prend une plateforme québécoise en ligne facilement accessible et où tout le contenu est au même endroit. En ce moment, le marché est trop divisé. Si tu veux voir tout le contenu québécois qui existe, ça te coûte plus cher que le câble. La petite guerre entre Bell et Vidéotron [ressemble] à deux coqs qui se battent dans le poulailler pendant qu’un loup s’en vient pour les manger. Il faut se mettre ensemble et mettre les ego de riches de côté. La priorité, c’est la survie de la culture québécoise. »