«Alias Marie-Soleil»: l’héritage de l’enfance

Suzanne Pinel. Image tirée du documentaire «Alias Marie-Soleil», d'Émilie Martel (2023 ; Kannon Kilms).

Ceux d’entre nous qui étaient enfants dans les années 80 ne l’ignorent sans doute pas, «Le clown Samuel aime les enfants, aime les enfants».


Si la mélodie de ce court vers chanté par Marie-Soleil s’est immédiatement imposée à l’esprit du lecteur, et si l’image d’un clown «qui fait bip bip bip» (quand il se touche le nez) lui est apparue, c’est qu’il n’a jamais oublié le personnage incarné par Suzanne Pinel à la télévision.

Ni les histoires qu’elle racontait aux petits Canadiens pour les éveiller au bilinguisme – comprendre: les encourager à apprendre le français – épaulée en cela par le clown Samuel (qui ne pipait mot) et le chien Fergus (une marionnette qui s’exprimait en anglais).

Infirmière de formation, désormais retraitée – mais bénévole plus que jamais active, voire activiste – Suzanne Pinel a consacré toute son existence à défendre les droits des minorités francophones hors Québec... en plus de s’occuper, dans la région d’Ottawa, d’enjeux liés à l’éducation, la santé publique et l’intégration des immigrants.

Cette illustre figure de la culture «franco» fait l’objet d’un documentaire intitulé Alias Marie-Soleil, qui sera diffusé sur les ondes de TFO le 25 septembre, Journée des Franco-ontarien.ne.s, mais qu’on peut d’ores et déjà visionner en ligne sur le site Internet TFO.org (et ce, gratuitement).

Produit par la jeune société de productions audiovisuelles Kannon Films, basée à Ottawa, Alias Marie-Soleil a été diffusé en avant-première au Centre des arts Shenkman, le 18 septembre dernier, en présence de Suzanne Pinel et de sa réalisatrice, la Franco-Ontarienne Émilie Martel.

Suzanne Pinel dans la peau du personnage «Marie-Soleil». Image tirée du documentaire «Alias Marie-Soleil», d'Émilie Martel (2023 ; Kannon Kilms).

Suzanne Pinel a été décorée de l’ordre du Canada en 1991 et de l’Ordre de l’Ontario en 2012. L’animatrice de l’émission musicale Marie-Soleil a participé à près 150 programmes bilingues, dans les années 80.

Puis, loin des caméras, elle a été juge de citoyenneté (ces juges interviennent à la fin du processus d’immigration; ce sont eux qui «accueillent» les nouveaux arrivants, ce dont témoignera le documentaire); elle a œuvré au sein de dizaines d’organismes voués à la santé; elle a même siégé au conseil d’administration de Santé Publique Ottawa durant la pandémie; elle a aussi conçu du matériel pédagogique pour que les enseignants puissent approfondir en classe les chansons de Marie-Soleil.

Mais le nom de Suzanne Pinel restera surtout gravé dans la mémoire collective comme «l’artiste la plus populaire [de l’histoire] de l’Ontario français», ne manque pas de souligner le documentaire d’Émilie Martel.

Alias Marie-Soleil suit la trajectoire – résumée en 45 minutes – de cette Suzanne au coeur d’enfant qui, toute sa vie durant, a continué à faire rayonner sa joie, sa bienveillance et sa chaleur humaine au détour de mille activités, en poursuivant sa trajectoire solaire dans l’orbite de ce Canada multiculturel et sa francophonie parfois «fragile».

Après avoir partagé, en guise d’amorce, quelques bribes d’informations générales, le documentaire tend instinctivement ses micros aux tout jeunes enfants, qui furent le public de prédilection de Marie-Soleil. Mais pas aux enfants-qui-ont-grandi, non, à ceux d’aujourd’hui. À la descendance de Mme Pinel, qui se fait le reflet du bilinguisme canadien et des défis, plus que jamais contemporains, de l’apprentissage du français en milieu minoritaire.

Suzanne Pinel (au centre) lors de la diffusion du documentaire «Alias Marie-Soleil» en avant-première au Centre des arts Shenkman. L'événement était organisé par le MIFO (Mouvement d'Implication francophone d'Orléans), dont on aperçoit la directrice artistique, Anne Gutknecht, à droite.

Avec ses petits-enfants

Mme Pinel est née Suzanne Plouffe, chuchotera son adorable petite-fille, le sourire et les yeux pétillants, convaincue de livrer un secret d’État.

La fillette s’exprime en français, oui, mais un un français lourdement accentué de tonalités anglophones. Tout comme son frère aîné Maxime, d’ailleurs, avec qui elle partage une mère anglophone.

Ce dernier a profité de la présence de la documentariste pour offrir «une entrevue secrète avec [sa] grand-maman». Il explique (en anglais) à la caméra à quel point il aimerait que Marie-Soleil ait sa propre chaîne YouTube. C’est qu’il aurait bien des questions à lui poser, poursuit-il, cette fois en français. Un français boitillant, pas tout à fait académique, mais plein d’efforts et de bonne volonté : celui qui tente d’émerger au milieu de l’océan de locuteurs anglophones.

Et alors que la grand-maman joue au jeu de la «célébrité» interviewée, s’exposant au feu nourri des questions que le garçon a consciencieusement rédigées en français sur une feuille qu’il lit sans parvenir à cacher la difficulté de l’exercice, on observe la métamorphose qui s’opère en Suzanne Pinel. On voit l’aïeule ralentir le débit et joindre, le plus spontanément du monde, les gestes à la parole. Une pantomime improvisée, destinée à clarifier ses propos, qui n’est pas sans rappeler la langue des signes à laquelle recourait à l’époque le clown Samuel... précisément pour apprivoiser le langage.

«J’aime être avec mes petits-enfants. Ils me rappellent [à quel point] c’est beau, la vie. Ils sont ouverts au monde, ouverts à tout. C’est tellement beau, de voir ça!» confiera Suzanne Pinel à l’issue de cette séquence.

La grand-maman, de son côté, ne cède rien de son patrimoine linguistique : quelle que soit la langue que ses petits-enfants choisissent pour s’adresser à elle, elle veille à toujours leur répondre dans la langue de Molière qu’ils ont reçue en héritage, et qu’ont faire résonner les Jacques Poirier, Patrice Desbiens et autres Jean Marc Dalpé à travers l’Ontario.

«Avec grand-maman, [ça se passe] toujours en français!» énonce Suzanne Pinel qui, à la demande de ses deux fils, Pierre-Louis et Patrick, donne à ses petits-enfants toutes les occasions de pratiquer le français. Et continue ainsi par la bande à tenir un rôle militant de rempart francophone.

Suzanne Pinel. Image tirée du documentaire «Alias Marie-Soleil», d'Émilie Martel (2023 ; Kannon Kilms).

Dans ce documentaire tourné en grande partie à Ottawa (et truffé de séquences d’archives), Suzanne Pinel partage sa «timidité» et l’immense gêne qu’elle ressentait lorsqu’il lui fallait monter sur scène pour chanter. Elle confesse avoir toujours eu beaucoup de difficultés à se considérer comme une véritable artiste.

Au détour du documentaire, Suzanne Pinel revient sur les intentions qui motivaient la démarche (voire la mission) de Marie-Soleil, à l’époque où elle enregistrait son émission, à Sudbury. On entendra l’aïeule chantonner l’une des berceuses qu’elle a composées pour son personnage, et entonner une chansonnette colorée dans la classe de Mme Marielle», l’enseignante de l’un de ses petits-enfants.

On l’entendra aussi parler de son enfance à elle, qui a grandi dans la basse-ville d’Ottawa, ce «chaleureux» quartier francophone «où l’on vivait complètement notre culture : c’était superbe! L’entraide, le chant, toutes les activités» s’y déroulaient en français.

Quand on lui fait valoir, aujourd’hui, qu’il s’agissait d’un quartier extrêmement pauvre, un quasi-ghetto socioculturel, elle s’insurge : «C’est le contraire : on était riche. […] Tout le monde travaillait. La richesse culturelle, on la sentait. Elle était complètement vécue.»

Marie-Soleil et ses amis, dont le clown Samuel – qui s'exprimait par pantomime, pour faciliter la compréhension de son jeune public anglophone. Elle ne chantait qu'en français. Les autres personnages parlaient en anglais.

Sur les lieux de son enfance

On la verra d’ailleurs arpenter le marché By, retourner sur les lieux de la petite école où elle a pu apprendre le français, et où se dresse aujourd’hui le Centre communautaire Routhier. Fillette, elle ne comprenait rien à l’anglais, évoque-t-elle. Elle regardait, fascinée, ses petites camarades anglophones chanter «Teddy Bear» tout en sautant à la corde.

Apprendre une seconde langue, afin de pouvoir tisser des liens sociaux avec ses voisins, s’est imposé comme une évidence, et une impérieuse nécessité. L’origine de son émission – et de sa mission – en faveur du bilinguisme vient de là, sa propre enfance, expose-t-elle au micro d’Émilie Martel.

Elle en profite pour soulever, à travers le prisme de sa réalité familiale, certaines inquiétudes pour l’avenir du fait français en Ontario. «J’espère qu’on va être capables de continuer à parler le français, tout en respectant toutes les autres cultures», confie-t-elle.

L'Ottavienne Suzanne Pinel, connue pour son personnage de Marie-Soleil dans les années 80, est demeurée un exemple d'implication au sein de sa communauté.