Iggy Pop, l’icone punk qui défie le temps

On se demandait, pré-concert, si le «grand-papa du punk», fidèle à son habitude, oserait se déshabiller. C’est que la saison des festivals s’achève, et qu’il faisait passablement frisquet en cette mi-septembre canadienne; trop, se disait-on, pour qu’Iggy Pop succombe à l’envie irrépressible de «tomber la chemise».


Mais... «peu me chaut», s’est dit Iggy Pop, qui s’est retrouvé torse nu dès la première note de Five Foot One, chanson inaugurant le concert qu’il a donné au Parc Lansdowne, en cette soirée d’ouverture du CityFolk d’Ottawa.

C’est sur des sons de grognements de chien hargneux se mêlant à une pétarade motorisée qu’a débarqué Iggy Pop sur scène.



Et il est resté la bedaine à l’air jusqu’à la toute fin, tout en arpentant la scène comme s’il avait 20 ans. Le septuagénaire ne se contente pas de chanter : énergique et tout en voix, il cabotine, gesticule contre vents et marées (ceux d’Ottawa ; celles de The Endless Sea), pitche son micro par dessus son épaule, se déhanche le squelette resté svelte, quoique fripé et continue de malmener sa scoliose au fil de moult contorsions adulescentes.

Quelle force de la nature que cet «Iguane», se dit-on pendant qu’il glisse sa voix sur les grondements abrasifs de T.V. Eye, qui remonte à l’époque où Iggy sévissait au sein des Stooges – dont il continue d’honorer le turbulent répertoire au point de lui consacrer la moitié de sa setlist.

Si Iggy Pop saute aussi à pieds joints dans son répertoire solo, il ne trempe qu’un tout petit orteil dans ses chansons récemment endisquées.

Iggy Pop a offert une grande performance en ouverture du CityFolk d'Ottawa.

Certes, il s’autorise Modern Day Rip Off en début de concert et Frenzy en rappel – deux pièces tirée de son 19e et plus récent album studio, Every Loser, paru en janvier dernier – mais Iggy Pop et ses acolytes (il est entouré de six musiciens) préfèrent visiblement se concentrer sur ses trois ou quatre hits incontournables et sur les ‘vieilleries’ punk datant des Stooges. Augustes et énergiques, les vieilleries. Même pas dépoussiérées, ou à peine. Tout juste rehaussées de cuivres. Et accompagnées d’images de l’Iguane, capturées dans sa prime jeunesse. Non, le répertoire des Stooges n’a jamais vraiment ramassé la poussière. Ou plutôt, la poussière n’a jamais réussi à coller.



Il est cru, il est à cran (ou fait semblant?), Iggy Pop, mais il défie le temps. Et rayonne encore, à 76 ans passés, mais plus révoltés que révolus.

Des Stooges, le papi punk puisera Raw Power, Gimme Danger (durant laquelle il mime, le micro collé sur son avant-bras, seringue métaphorique, une injection intraveineuse, son ‘sport’ préféré, à l’époque, il ne s’en est jamais caché), Death Trip, et quelques autres. Dont – évidemment – I Wanna Be Your Dog.

Sur cette chanson, c’est le moment de cabotiner. Alors il s’écroule par terre, pour l’interpréter sur le dos, tel Diogène le chien trouvant son bonheur au ras du sol. Autour de lui, ses comparses se déchaînent sur leurs instruments, que ce soit pour fouetter Iggy ou le ressusciter. Bien sûr, c’est du chiqué! Le bougre se porte bien ! S’il se vautre ainsi dans la fange, c’est par pur plaisir théâtral.

Iggy Pop était sur la scène du City Folk d'Ottawa à l'âge vénérable de 76 ans.

Dans la foule – assemblage hétéroclite où les vieux punk en tenue full patch côtoient les papis proprets tenant la main de leur petite-fille préado – ça chantonne, mais les gens sont sages. Pas de mosh pit devant la scène, pas de sympathiques coups d’épaules à repousser gentiment.

Sur Search and Destroy, un type tentera bien de «crowd surfer», mais ça ne durera pas. Et c’est trop peu trop tard : on est déjà presque à la fin du concert. Il faut croire que le public d’Iggy Pop a vieilli. Plus vite que lui, sans aucun doute.

Malgré tout, quand résonne l’intro, reconnaissable entre toutes, de The Passenger, la foule s’agite spontanément, puis s’improvise en back vocals sur les «la la la la la la» du refrain. Iggy Pop, apprécie. «It’s beautiful!» («c’est magnifique!»). Et en redemande. Quans la chanson se termine, il ne manque pas de remercier la foule. Dans ses mots délicats, ça donne «F***king thank you! F***k! F***k! F***k!». Dans la bouche d’un punk de son acabit, on n’imagine pas de plus beau compliment.



Ses musiciens ne lui laissent guère le temps de prolonger ses remerciements : efficaces, ils ont déjà commencé à ériger le pont musical, très vite tonitruant, qui nous ramène à Lust for Life. Beau doublé!

Le vent d’automne s’est mis à souffler. On le voit à ses cheveux qui virevoltent. On le sens aussi dans le cou. Pourtant, il n’a toujours pas froid, le vétéran en bedaine. C’est même lui qui commence à nous donner chaud. Partie des pieds, la chaleur est remontée dans nos mollets, qui suivent le rythme de ces vestiges punk.

Iggy Pop

Avec The Endless Sea, sorte d’accalmie bercée par les vagues qui s’agitent avec mollesse sur l’écran la vidéo, Iggy Pop s’offre une petite parenthèse reggae avant de retourner aux choses sérieuses et plus mouvementées.

On redécouvre alors Death Trip et sa lente agonie : «Going Down... Going Down», répète le chanteur, le corps courbé, la silhouette en «S», mais le regard droit. Toujours fier. Toujours punk.

Bon, OK, il n’est pas super bavard, sur scène, papi Pop.

«Quand j’étais petit, j’étais pauvre. J’ai grandi dans une ville pas trop loin d’ici, un endroit pauvre et sale, où on était tous malades», partage-t-il en introduction de I’m Sick of You. C’est à peu près tout ce qui sortira de sa bouche, exception faite de quelques f***ck épars, et de salutations bilingues.

Car l’Iguane est francophile. Assez pour pouvoir baragouiner quelques mots en français. Assez pour offrir un disque de reprises de chansons françaises immortelles (le plutôt mauvais Après, paru en 2012). Assez pour dire «Salut!» au public d’Ottawa-Gatineau.

Le froid a fini par avoir raison de ses plus farouches intentions. Au moment du rappel, Iggy Pop réapparaîtra habillé d’une petite laine. Pardon, d’une petite veste en cuir. Clouté, le «cuir». Mais pas zippée, la veste; faut pas pousser. De toute façon, son «coat», il l’enverra valser avant même la fin de la chansons suivante, Loose, de façon à être plus libre au niveau des épaules pour pouvoir interpréter Frenzy, qui viendra clore ce «frénétique» concert.



Iggy Pop

Busty and the Bass

En première partie, les festivaliers ont pu apprécier les grooves cuivrés de Busty and the Bass, dont les neuf musiciens proposent une sympathique fusion d’éléments funk, soul et jazz, inspirés qu’ils sont par d’illustres prédécesseurs – old-school, ils citent George Clinton ou Macy Gray – sans s’interdire de flirter avec des touches sensuelles de R&B ni des sonorités plus modernes, voire carrément hip hop.

Pianos enfiévrés, tambours syncopés, trombones fougueux, voix rutilantes et attitudes félines! C’était court mais intense, comme prestation! Irréprochable. Dans un genre toutefois très éloigné du folk. Mais le «line-up» du CityFolk, pour son édition 2023, assume pleinement le fait de ne pas se limiter au genre folk, en débordant largement sur de multiples autres styles, tant qu’ils secouent ou déménagent (rock, hard-rock, punk, grunge, alouette!).

NOBRO

Parlant de rock... Les quatre turbulentes Montréalaises de NOBRO ont embarqué à la nuit tombée, non pas sur la scène principale, mais sur la plus discrète scène Courtside, située en retrait, à l’arrière du Pavillon Aberdeen. Là, l’audience a pu profiter des riffs colériques de la chanteuse-bassiste Kathryn McCaughey et ses consoeurs – un univers rock de garage déjà nettement plus proche de celui que propose Iggy Pop.

Le CityFolk d’Ottawa se poursuit jusqu’à dimanche. On y verra passer 24 formations, dont quelques artistes d’Ottawa. Ce jeudi, la pelouse du Parc Lansdowne sera investie par le groupe Arkells. Les soirs suivants, sont attendus Bush, Kaleo et Hozier, en tant que têtes d’affiche.

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Renseignements : CityFolk