Charlebois fait cesser la pluie au parc des Cèdres

Robert Charlebois est un peu moins mobile qu'à la grande époque de Garou, mais il demeure, à 79 ans (moins un jour), au sommet de son art.

Entre Paul Piché (de passage dans le Vieux-Hull, la veille) et Robert Charlebois qui a défié la pluie qui tombait sur le Parc des Cèdres d’Aylmer, samedi 24 juin, on pourra dire que Gatineau a été particulièrement bien servie en «classiques», pour cette Saint-Jean 2023.


Pour cette troisième soirée proposée par le festival L’Outaouais en fête (OEF), l’affiche promettait un Robert en CharleboisScope, en référence au spectacle-rétrospective, agrémenté par une explosion d’images projetées sur écran géant, que donne Garou (premier du nom) par les temps qui courent.

Petite déception, à l’arrivée: pas le moindre «écran géant de deux étages» sur scène. Ce sera Charlebois sans son Scope.



Robert Charlebois était la tête d'affiche de L'Outaouais en fête, samedi soir. (Le Droit, Etienne Ranger)

La déception sera de courte durée. Charlebois demeure un géant à lui seul. Même en 2023. Même à 78 ans ‘et demi’ (il fête son 79e anniversaire ce dimanche 25 juin). Mais l’énergie dont il fait preuve sur scène demeure juvénile: c’est celle d’un rockeur adolescent qui aurait tout à prouver. Et son amour de la scène ne s’estompe pas avec les années.

L’auteur-compositeur-interprète a revisité son répertoire au pas de course, galvanisé qu’il était par ses neuf musiciens. Voir Charlebois à la Saint-Jean, c’est un peu comme être invité à son party d’anniversaire. D’ailleurs, le public avait été convié à le faire apparaître sur scène en scandant «Mon cher Robert, c’est à tout tour...»

Robert Charlebois a offert un florilège de «chansons à barbes» à L'Outaouais en fête.

La pluie a vainement tenté de casser le party. Voyant le ciel orageux et les bourrasques de vent, le chanteur a expliqué que si ses musiciens se mettaient à mieux jouer que d’habitude, la pluie allait arrêter de tomber. Ses acolytes ont su relever le défi : les gouttes ont cessé à mi-parcours de cette plongée dans le copieux passé Charleboisien.

La bande a enfilé les classiques de la grande époque. Pardon! Ce Robert-là était bien trop créatif pour se contenter d’une seule «grande époque». Parlons plutôt de grandes époques, au pluriel.



Et le public a eu les mirettes «tout écartillées», ne sachant plus sur quel pied nostalgique danser, entre l’envie de syncoper du bassin, celle de ne rien rater du spectacle, et celle de verser une larme de bonheur.

Le spectacle a démarré doucement, en psalmodiant «Le manque de confiance en soi», chanson de circonstance, politiquement. Puis Robert a passé la deuxième vitesse en montant à bord d’une célèbre «Toronado», celle de «Dolorès», en ponctuant la «toune» de nombreuses petites farces et digressions.

À présent réchauffée, la «gang» a pris la direction de «1... 2... 3... 4... 5... 6... 7... Québec», sur Les ailes d’un ange transpirant la joie et la fierté partagée (avec le public, qui swinguait ou dodelinait de la tête) d’être Québécois. Et c’est sur les chapeaux de roues que la bande a poursuivi son chemin, cap sur les Plaines d’Abraham (Entr’ deux joints).

Ses «chansons à barbe» (c’est Charlebois qui les appelle ainsi, pour évoquer leur âge) n’ont pris que de belles rides. Et de jolis reflets cuivrés, grâce à la présence d’un dynamique trio souffleur (la trompette, notamment, viendra joliment ébouriffer California). Bref, un petit coup de peigne, et c’est reparti, les barbichettes rutilent à nouveau. Son Fu Man Chu itou.

Le parc des Cèdres a célébré la Saint-Jean avec faste

Le vol durera un peu plus d’une heure, à bord d’Air nostalgie. Aux commandes, le capitaine d’équipage est en parfait contrôle des manettes. En pleine maitrise de sa voix. Ne croyez pas le pilote quand il chante «J’sais pu ou chus rendu».

Soit, le quasi-octogénaire est moins mobile qu’il ne l’a déjà été, mais il est loin d’être statique. Il continue de rendre régulièrement de petites visites de courtoisie à ses musiciens. Et si Charlebois s’économise – il «pousse» moins, vocalement –, cela n’atténue en rien sa présence scénique.



Laquelle, on le sait, n’a rien d’ordinaire. C’est d’ailleurs avec cet incomparable succès – Ordinaire, magnifié par ses arrangements orchestraux actuels – que Charlebois fera ses adieux à la foule.

Enfin, ses faux adieux. Parce que le public l’aime comme un fou, et lui fait clairement savoir, au moment des rappels, que le spectacle lui a paru bien court, et qu’il n’a pas l’intention de laisser Charlie aller se coucher tout de suite. Alors, se pliant de bonne grâce à l’injonction qui perdure, l’artiste revient, rayonnant, jubilant, pour livrer une nouvelle rafale de grandes chansons à barbe dont il eut le secret, dont Je reviendrai à Montréal» et cette fausse «berceuse» en mi majeur de Marcel Sabourin», Te v’là.

Louis-Jean Cormier n'avait pas l'habitude des prestations aussi tôt dans la soirée! (Le Droit, Etienne Ranger)

Louis-Jean Cormier

Pour réchauffer les planches du vétéran (non pas qu’il en eût besoin), l’OEF proposait de passer la fin d’après-midi en compagnie de Louis-Jean Cormier et le début de soirée avec la gang, plus tonique, de Bodh’aktan.

Certes, Louis-Jean Cormier est résolument moins rock que Bodh’aktan. Étrange, tout de même, de le programmer si tôt (18h)! Lui qui est habitué aux horaires vespéraux des têtes d’affiche, s’est d’ailleurs demandé (à la blague) s’il n’était pas sous l’effet du décalage horaire.

Louis Jean Cormier à L'Outaouais en fête, samedi soir.

On entretenait des doutes, avant d’arriver, sur le fait que Maître Cormier en solo soit la formule idéale pour un festival. Il a prouvé qu’on avait tort. C’est intime, certes, mais Cormier sait donner rythme, vibrations et amplitude à ses mélopées intimistes – qui, non, ne sont pas toutes trempées dans des «chaudières d’encre noire». Il a même ressorti des cartons sa plus joyeuse «chanson de vacances»: J’hais les happy end.

Sa sélection estivale, il nous la sert à la bonne franquette. On est moins dans son salon que dans sa cour arrière, en mode party BBQ. Le genre de concert où une corde de guitare peut péter sans que personne ne panique ou perde son sourire, ni en régie, ni sur scène, ni sur le gazon. Ce fut le cas durant Bull’s Eye : Cormier, hilare, gère la transition en bavardant avec le public, et en profite pour traiter Jean-Paul Perreault de «beau hippie».

Louis-Jean Cormier

Et puis, même si Cormier prend le temps d’entonner Je me moi (dans une version joliment syncopée), ce n’est un show solitaire qu’en apparence.

Primo, parce que la foule est heureuse de l’accompagner sur les refrains de «Tout tombe à sa place» et Tout le monde en même temps.



Deuxio, parce que la formule solo permet souplesse et latitude; du coup, il accepte les demandes spéciales. Qu’une jeune fan lui réclame à corps et à cri Les doigts en cœur, et il s’exécute aussitôt, gracieusement.

Tertio, parce qu’il était spirituellement entouré de ses proches. À commencer par ses acolytes de Karkwa. Cormier, détour surprise, a bifurqué vers le répertoire de son ancienne (mais plus pour longtemps) bande, dont il a emprunté Échapper au sort. Saint-Jean oblige, Louis-Jean a terminé son tour de chant par un hommage inspiré à Félix Leclerc, en partageant Le tour de l’île, balade d’un bleu souverain que Cormier avoue avoir «tatouée sur le cœur».

Bodhaktan
Outaouais en Fete

Bodh’aktan

Contrairement à Cormier, fait pour l’écoute en chambre ou au salon, Bodh’aktan est explosif. Le sextuor prend tout son sens sur scène, pas sur disque.

La bande – qui puise son énergie dans le rock et ses saveurs dans ce que les répertoires trad’ du Québec et de des contrées celtiques ont de plus festif – avait, dès ses premières notes, monté le volume sonore au maximum. Ça décoiffait. Ç'a sans doute aussi défoncé deux ou trois tympans pris au dépourvu (on a vu plusieurs familles ramasser rapidement leurs bardas, pour éloigner précautionneusement leurs jeunes enfants).

Pas un problème de calibrage de son, notez : sur cette mer de décibels était faite pour lancer un party de Saint-Jean aussi tonitruant que possible.

Entre coups d’archets punks, polkas et valses plus tranquilles (oui, ils ont réussi à faire valser le public, y compris dans la section «chaises pliantes»), la nef Bodh’aktan s’est offert une traversée mouvementée, toutes voiles polyphoniques dehors, de son répertoire de chansons de marins, de vents d’avant, de tavernes et de jeunes filles sagement délurées (La Sainte Nitouche, jupettes au vent elle itou) – tout en prenant parfois le temps de faire escale sur des îles amies (Salut Salaud de Vilains Pingouins; Du rhum, des femmes de Soldat Louis).

Les six matelots n’étaient pas bavards, mais ils ont partagé l’honneur, pour leur leur bateau que de se retrouver pris en sandwich entre charybde (Cormier) et scylla (Charlebois)...

L'Outaouais en Fête se termine ce dimanche 25 juin, à l'issue de 4 jours de festivités.

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L’Outaouais en fête se prolonge ce dimanche 25 juin, en compagnie de Dan Bigras (attendu dès 19 h 45) et des Trois Accords (annoncés à 21 h 45). En après-midi, le public pourra apprécier Mélissa Ouimet (18 h) et le spectacle familial Le livre magique, un voyage musical à travers les contes classiques (17 h).