De l’art dans les «craques de trottoir»

Laurence Petit, alias la fée des trottoirs,

Si vous faites un tour dans le centre-ville de Gatineau, portez attention où vous mettez les pieds. Les craques de trottoir le long du Sentier culturel pourraient vous réserver des surprises.


Laurence Petit, alias la Fée des trottoirs, est une artiste mosaïste aux mille et un projets. En plus des projets collectifs dans les écoles, elle fait aussi beaucoup de projets sur mesure pour des clients, comme des mosaïques de salles de bain, de cuisine, des planchers sur mesure. Mais Mme Petit est aussi fervente d’art public, de par les murales et les sculptures qu’elle peut créer.

Juste avant la pandémie, une mouche l’a piquée, la mouche du «flacking». Cette technique artistique, très connue en France en raison de l’artiste visuel Ememem, consiste à réparer les craques, les fissures, les nids-de-poule des rues ou des trottoirs avec de la mosaïque (vaisselle, céramique, porcelaine, par exemple). «Je trouvais ça super intéressant ce que faisait Ememem, mais je ne savais pas comment on pourrait faire ça au Québec à cause des écarts de température, surtout. En étant dans mon atelier chez moi pendant la pandémie, j’avais plus de temps un peu et je voyais qu’il y avait des craques de trottoir devant la maison. J’ai décidé de m’essayer.»

Laurence Petit a réalisé des mosaïques le long du Sentier culturel.

Laurence Petit s’est mise à remplir les fissures dans le béton et le ciment de trottoir devant chez elle, à Montréal, de mosaïque. «Juste de voir la réaction des gens, ça n’avait pas de prix.» Il n’en fallait pas plus pour qu’elle se lance à pieds joints dans cette nouvelle aventure.

Durabilité

Avant de se lancer véritablement dans le flacking, Mme Petit a contacté l’artiste Ememem, il y a trois ans, pour lui demander conseil. «Il a été super généreux. C’est lui qui m’avait vraiment convaincu que même si c’est éphémère, même si c’est quelque chose qui va probablement se détériorer avec le temps, ça vaut la peine quand même de le faire.»

Évidemment, le flacking de la France a dû être adapté pour le Québec, vu la météo capricieuse au pays. «Les premières que j’ai faites n’existent plus. [rires] Elles n’ont même pas survécu, je crois, au mois de novembre. Dès qu’il y a eu la première chenille qui est passée pour ramasser la neige, elles étaient déjà toutes abîmées.»

L’année suivante, Mme Petit a fait ses recherches, changé ses matériaux, et s’est même informée auprès d’un ingénieur à la retraite. «J’ai changé ma technique et maintenant, les mosaïques résistent beaucoup mieux.»

Laurence Petit, alias la fée des trottoirs

Avec le temps et l’expérience, elle est également devenue «plus sélective de la craque. [rires]». «Elle doit être parfaitement positionnée dans le trottoir. Je sais lesquelles vont résister, lesquelles vont moins bien résister. Si elles sont trop près de la chaîne de trottoir, les charrues vont les abîmer, les voitures peuvent les abîmer. Je choisis maintenant mes fissures stratégiquement en sachant qu’il y a moins de risque d’infiltration d’eau, il y a moins de risque que la charrue les détruise. Maintenant, je les fais un petit peu plus creuses pour être sûr que la neige les protège finalement, parce que ce n’est pas le froid qui va les abîmer, c’est vraiment le gel et le dégel, l’infiltration d’eau et la charrue de la charrue.»

«Les craques me parlent»

Lorsqu’elle fait son repérage en ville pour trouver les meilleures fissures, comme elle l’a fait à Gatineau en mai dernier, elle choisit parfois la forme en fonction de ce que la fissure lui inspire. Parfois, elle fait un clin d’œil à l’environnement autour de la fissure, ou encore, elle laisse le public lui souffler des idées. «Il y a un petit cornet de crème glacée que j’ai fait sur la rue Laurier. Et puis je l’ai fait parce que juste en face, il y a une boutique de gelato. Le sous-marin jaune que j’ai fait en face de l’hôtel de ville de Gatineau, je l’ai fait parce qu’il y a un gardien de sécurité qui me regardait faire. Il me posait des questions, tout ça, j’étais bien. J’ai dit ‘vous, qu’est-ce que vous voyez dans la craque?’ Il était vraiment super inspiré. Il voyait plein de choses, dont un sous-marin. J’ai décidé de faire ça pour lui. Ultimement, surtout quand ce n’est pas dans ma ville, bien ce n’est pas moi qui vais vivre avec les craques, c’est les gens. Ça fait que je trouve ça important de les impliquer. Ça fait que quand je suis, quand je peux, quand je les croise, quand je vois qu’ils sont ouverts ou qu’ils sont curieux, je les arrête, je leur demande ce qu’ils voient. Ça va souvent m’inspirer.»

Le flacking, c’est devenu une drogue, tout simplement. «Je te jure, c’est tellement satisfaisant de faire ça. Puis en plus après ça, de voir la réaction des gens, j’adore ça. C’est vraiment l’effet escompté. Dans la vie, tout ce que je fais, tout l’art que je fais, mon but c’est vraiment d’apporter de la joie, puis mettre un brin de folie dans la vie des gens.»

Le trésor caché du Sentier culturel

Cet été, la Fée des trottoirs vit son «été de rêve». Juste avant d’entamer le projet gatinois, en plus de la quinzaine d’œuvres qu’elle a pu faire dans son quartier, à Montréal, elle a pu également laisser aller sa créativité sur les Plaines d’Abraham, à Québec, pour le même type de projet. «Mais Gatineau, je vais t’avouer que j’ai vraiment passé une semaine de rêve.» Elle doit d’ailleurs revenir à Gatineau en juillet pour compléter son contrat. Douze des 20 œuvres qu’elle doit faire sur le Sentier culturel ont déjà été réalisées.

Mme Petit se dit d’ailleurs extrêmement reconnaissante de la confiance de la Ville de Gatineau, qui lui a donné carte blanche. «Je capote! Je suis vraiment super contente. Il y a des artistes vraiment de réputation internationale qui participent au Sentier. En déposant ma candidature, je ne pensais pas du tout être retenue. C’est quand même des œuvres à grand déploiement dans le sentier. Mais d’avoir été non seulement retenue, mais qu’en plus on me demande de bonifier mon offre, pour moi, pour ma carrière, ça vient valider mon idée, ça me propulse. Des craques, il y en a partout [rires].»