Vendre des toiles montrant... des maisons vendues

L’artiste visuel Benjamin Rodger.

L’artiste visuel Benjamin Rodger a installé sa plus récente production à la Galerie St-Laurent + Hill, qui accueille jusqu’au 28 novembre sa nouvelle exposition solo, intitulée Sold/Vendu.


Au centre de chaque toile apparait un enchevêtrement de lignes colorées qui viennent se superposer à des images de maisons, elles peintes.

Ces lignes, dont il est impossible de déceler d’emblée le sens ou l’organisation, sont pourtant la manifestation visuelle d’une démarche quasi-mathématique, cadastre en main: elles impriment le lien chronologique qui unit les ventes de toutes les maisons de même valeur, dans le secteur du Vieux-Hull.

La plus récente production de l'artiste Benjamin Rodger, à la Galerie St-Laurent + Hill.

Benjamin Rodger poursuit ses explorations conceptuelles, lui qui a troqué les portraits et les toiles figuratives pour s’intéresser à des choses plus abstraites vers 2015, à son retour d’une résidence d’artistes en Allemagne.

«Pour cette nouvelle production, j’ai décidé de m’intéresser au marché immobilier», un marché qui, depuis trois ans, est «en surchauffe» un peu partout au Canada, et n’épargne pas le territoire de Gatineau, partage, en préambule, Benjamin Rodger, lui-même résident du Vieux-Hull. L’artiste peintre est aussi, depuis 2020, président du c.a. de la coopérative Les Ateliers du Ruisseau, située dans le même quartier.

Durant la pandémie, il a commencé à envisager la possibilité de s’acheter une maison.

Il s’est donc mis à consulter les sites de courtiers, où sont recensées les propriétés à vendre. Et il y a rapidement pris goût, au point où cet engouement a fini par déborder du strict cadre utilitaire: «J’ai commencé à y trouver un réel intérêt qui dépassait la volonté d’acheter une maison.»

Abstraction mathématique

Il explique avoir eu accès à «une base de données qui compile les propriétés vendues depuis 2021».

Il incorpore désormais à sa démarche artistique certains éléments immobiliers puisés dans cette base de donnée; ceux-ci ont même fini par devenir les éléments centraux de sa nouvelle série de toiles. Sur ses tableaux, on peut observer les maisons elle-mêmes (souvent présentées avec un effet de flou), ainsi que des séries de lignes apparaissant en surimpression.

Ces lignes monochromes forment «des dessins abstraits», précise Benjamin Rodger. Difficile, toutefois, de ne pas voir dans cette architecture de lignes à peu près perpendiculaires qui s’entrecroisent l’évocation – plus figurative – de ‘plans’ domiciliaires. Comme si l’on observait de haut, telle l’araignée au plafond, les maisons représentées sur le canevas. Mais pas du tout. Cette impression cache une réalité bien plus mathématique, plus complexe, et un ‘sens’ bien plus abstrait.

Ces maisons sont précisément celles du centre-ville gatinois, puisque l’artiste a, pour cette série, choisi de s’intéresser aux ventes de maisons du Vieux-Hull, ce «quartier ouvrier où j’ai mon atelier depuis près de quinze ans».

Benjamin Rodger s'est mis à consulter les sites de courtiers, où sont recensées les propriétés à vendre. Il y a rapidement pris goût, au point où cet engouement a fini par déborder du strict cadre utilitaire.

Prix de vente

La couleur des lignes, elle, n’est pas du tout aléatoire. Leur choix répond aux exigences d’un code de couleurs précis, qui correspond, lui... aux prix de vente des propriétés.

Les transactions immobilières recueillies sous forme de données, Benjamin Rodger les a ensuite «transposées sur des plans du quartier, pour avoir une trace visuelle de cette information».

Il a alors soigneusement trié ces ventes «par année et par code de couleurs, pour pouvoir classer les maisons selon leur prix de vente». Si ses lignes sont turquoise, c’est que la bâtisse s’est vendue moins de 200 000 dollars; si le ‘dessin’ apparent est rouge, c’est que le prix de vente de la maison se situait dans la fourchette entre 300 000 dollars et 349 000 dollars, détaille-t-il.

L’étape suivant a consisté à établir «des liens entre les maisons d’une même catégorie» (année et prix de vente). Pour cela, il a relié «chronologiquement toutes les ventes de l’année, de la première jusqu’à la dernière». Et c’est en suivant cette règle qu’il a formé les lignes qui constituent ses dessins abstraits.

Plusieurs personnes visitaient l'exposition<em>Sold/Vendu</em> de Benjamin Rodger, lors du passage du <em>Droit</em>, jeudi soir.

Il poursuit ses explications: «J’ai alors peint à l’huile soit la première ou la dernière maison vendue dans une catégorie choisie et je l’ai jumelée à ‘son’ dessin abstrait».

Ainsi, l’exposition Sold/Vendu «marque un retour à la figuration», tout en continuant de proposer «des explorations de dichotomies» qui caractérisent le travail de Benjamin Rodger depuis une dizaine d’années.

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Sold/Vendu, de Benjamin Rodger

Du 9 au 28 novembre 2023 à la Galerie St-Laurent + Hill (293, rue Dalhousie)

galeriestlaurentplushill.com; 613-789-7145