L’idée derrière ce projet est née en 2019, lors d’un échange informel dans un restaurant de Québec. Jugeant que le moment était venu de montrer quelle a été la contribution des femmes, les professeurs d’histoire Louise Bienvenue et François-Olivier Dorais, de l’Université de Sherbrooke et de l’Université du Québec à Chicoutimi, ont demandé à des collègues de cerner le portrait de 30 femmes ayant oeuvré au Québec, en Ontario et dans les Maritimes, du 19e siècle jusqu’à nos jours.
« Plusieurs femmes ont travaillé pour faire connaître notre histoire, tout en demeurant des figures de l’ombre. Elles gagnent à être plus connues », a souligné Louise Bienvenue lors d’une entrevue accordée au Progrès. Présent à ses côtés, François-Olivier Dorais a raconté qu’à mesure que la discipline s’est professionnalisée, « les hommes ont pris toute la place et les femmes ont dû contourner cette logique d’exclusion ». C’est ainsi qu’elles ont évolué hors du lieu de pouvoir que constitue la bulle universitaire.
Premier nom évoqué dans le livre, celui de Laure Conan est aussi familier que déroutant. On le retrouve sur une école de Chicoutimi, mais que sait-on de cette femme qui, à partir de La Malbaie, a tissé un impressionnant réseau de contacts, tout en créant des romans historiques nourris par son érudition. Les textes rédigés par Carolyne Ménard, Sophie Imbeault et Micheline Cambron lèvent enfin le voile sur cette carrière remarquable, à cheval sur les 19e et 20e siècles.
D’autres femmes ont écrit l’histoire par le biais du journalisme, notamment dans ce qu’on appelait les pages féminines. Utilisant un simple prénom comme pseudonyme, à la manière de Madeleine et Fadette à Montréal, dans la première moitié du 20e siècle, plusieurs ont profité de cette tribune pour mettre en relief des figures historiques féminines. « C’était aussi un lieu de parole sur des enjeux sociaux », rapporte François-Olivier Dorais.
Même au temps de l’Église triomphante, d’autres femmes ont apporté une contribution notable, à commencer par l’historienne Marie-Claire Daveluy et son amie Maria Mondoux, une archiviste hors pair. Passionnées par Jeanne Mance, elles ont mis leurs talents en commun pour trouver de nouvelles sources documentaires à son sujet. Appuyée par le clergé, qui militait pour que soit béatifiée la cofondatrice de Montréal, cette démarche a montré que foi et science pouvaient se conjuguer au même temps.
« Elles ont atteint un haut niveau d’expertise et comme plusieurs des femmes dont il est question dans le livre, les deux étaient célibataires », indique Louise Bienvenue. Longtemps, ce fut aussi le cas de Juliette Lalonde-Rémillard, secrétaire du chanoine Lionel Groulx de 1937 à 1967. C’est seulement après de longues années au service de celui qui était son oncle qu’elle a pris époux, en assurant l’historien qu’il ne serait pas desservi par cette union.
« Groulx étant un homme de son temps, il partageait le discours traditionnel relatif aux femmes, mais estimait leurs capacités intellectuelles. Il a d’ailleurs financé les études de sa nièce », précise Louise Bienvenue. « Le consensus scientifique est le fruit d’échanges, de discussions. Or, le chanoine prononçait ses discours devant Juliette. C’est aussi elle qui écrivait ses lettres, parfois en son nom », ajoute François-Olivier Dorais, pour montrer à quel point le jugement de sa nièce lui importait.
La dernière partie du livre relate l’entrée des historiennes à l’université, avec des préoccupations nourries par le courant féministe. Elles aussi ont brisé le plafond de verre et l’hommage qui leur est rendu, parfois par de jeunes consoeurs, se révèle aussi touchant qu’éclairant. « Depuis la publication de Profession historienne?, nous recevons beaucoup de tapes dans le dos, puisqu’on attendait cet ouvrage. Des professeurs vont même l’inclure dans leurs cours sur l’histoire du Québec », se réjouit François-Olivier Dorais.