Une bioraffinerie de plus de 2 milliards à Thurso?

Un projet de deux milliards de dollars est sur la table pour la transformation de l’usine de Thurso.

Enerkem, qui est derrière l’usine de biocarburants de 1,2 milliard de dollars prévue à Varennes, souhaite développer une bioraffinerie alimentée à partir de déchets et de biomasse forestière résiduelle sur le site de l’ancienne papetière Fortress, à Thurso.


Pour arriver à lancer son projet, Enerkem devra toutefois s’entendre avec le futur acheteur de Fortress et obtenir le feu vert d’Hydro-Québec pour le raccordement au réseau électrique, ce qui est bien loin d’être acquis.

Québec négocie avec deux groupes d’investisseurs pour le rachat de l’ancienne papetière de Thurso, en arrêt depuis octobre 2019. Le ministre de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie, Pierre Fitzbiggon, a indiqué en mai que la relance des lieux passerait par la conversion des installations pour la production de bioénergie. Une annonce officielle pourrait survenir à la fin de l’été, avait-il dit au printemps.

Enerkem dit ne pas être impliquée dans les discussions entre le provincial et les deux groupes intéressés. L’entreprise ne veut pas faire l’achat du lot industriel, mais souhaite plutôt être «locataire du site» pour y implanter sa bioraffinerie.

Un projet «indépendant»

«C’est un projet qui est indépendant et qui assume qu’on ait accès au site. On n’a pas d’influence sur la décision du gouvernement et sur les futures opérations», a affirmé au Droit Denis Arguin, vice-président des relations stratégiques chez Enerkem.

Cette bioraffinerie aurait une capacité de production deux fois plus grande que la future usine de Varennes qui produira des biocarburants et des produits chimiques circulaires à partir de matières résiduelles non recyclables et de biomasse forestière résiduelle.

Développé en partenariat avec Shell, Suncor, Proman et le gouvernement du Québec, Recyclage Carbone Varennes a reçu en mars dernier une somme de 277 M$ de la part de la Banque de l’infrastructure du Canada. Québec a déjà injecté plusieurs centaines de millions dans cette usine attendue dans le grand Montréal pour 2025 et qui doit devenir la plus importante productrice de biocarburant au pays.

«Ce qu’on regarde pour Thurso, c’est un projet similaire à un autre projet qu’on a annoncé en Espagne. C’est le double de capacité de celui de Varennes. […] C’est environ 250 000 tonnes par année de biocarburant qui serait produit, dépendamment du biocarburant vers lequel on irait», a expliqué en entrevue M. Arguin.

Enerkem ne veut pas faire l’achat du lot industriel, mais souhaite plutôt être «locataire du site» pour y implanter sa bioraffinerie.

Tous les déchets visés

Une proposition a été faite par Enerkem pour Thurso dans le cadre de l’appel d’intérêt pour la solution régionale en matière de gestion des déchets ultimes lancée en 2022, précise M. Arguin. Le projet, qui dépasserait les 2 milliards de dollars d’investissements, a aussi été évoqué dans le cadre d’un mémoire déposé lors des consultations pré-budgétaires 2023 du gouvernement du Québec.

L’Outaouais tente depuis le tournant des années 2010 de trouver une alternative au transport de ses déchets ultimes vers des sites d’enfouissement à l’extérieur de ses frontières. C’est le tonnage entier des matières résiduelles de la région qui serait détourné des sites d’enfouissement avec la technologie proposée par Enerkem. Entre 360 000 et 400 000 tonnes «sur une base humide» de matières résiduelles pourraient être valorisées annuellement avec une telle installation, selon M. Arguin. «Ça nous permettrait de répondes aux besoins de la région pour les déchets ultimes», soutient-il.

Pour fabriquer du biocarburant, on peut utiliser 100% de déchets municipaux ou 100% de biomasse forestière, mentionne le vice-président des relations stratégiques de l’entreprise, qui ajoute que le procédé est «flexible». En raison de l’approvisionnement important de résidus forestiers en Outaouais, l’ancienne usine de Thurso devient intéressante pour l’entreprise montréalaise.

«Des résidus de biomasse, il y a en beaucoup dans la région. C’est l’un des avantages de la technologie Enerkem. Nous sommes très flexibles au niveau de la matière première. Nous allons chercher la matière première la plus accessible et avantageuse financièrement», souligne M. Arguin.

Deux embûches

Pour passer aux prochaines étapes, Enerkem doit donc attendre l’annonce d’une transaction pour l’usine Fortress afin de tenter d’obtenir un accès au terrain. De plus, l’entreprise a logé une demande auprès d’Hydro-Québec pour obtenir des blocs d’énergie équivalents à 200 MW. On est toujours en attente de réponses avec cette requête, dit M. Arguin. Si rien n’est réglé avec Hydro-Québec cet automne, Enerkem pourrait envisager d’autres endroits où s’installer, a laissé entendre le gestionnaire. Dans l’équation, l’accord d’Hydro-Québec est «crucial» autant que l’accès au site, note celui-ci.

«C’est dommage parce que les décisions sont longues à prendre de ce côté. Quand on parle de projets comme ça, il faut décider des faire des investissements. Ce sont des projets qui prennent à peu près cinq ans à mettre en place. On ne peut pas être en attente constante. Ou on continue d’envisager Thurso ou on passe à un autre endroit», lance M. Arguin.

Le maire de Thurso se réjouit

Le maire de Thurso et préfet de la MRC de Papineau, Benoît Lauzon, se réjouit du projet d’Enerkem qui représente, selon lui, «une belle solution de développement durable» qui pourrait répondre au défi de la gestion des déchets ultimes en Outaouais. «C’est une recette qui prend aussi les déchets de la forêt. C’est ce qu’on recherche. Des preneurs de biomasse, on n’en a pas en Outaouais», avance le maire.

Le maire de Thurso et préfet de la MRC de Papineau, Benoît Lauzon, se réjouit du projet d’Enerkem.

C’est l’enjeu de l’octroi d’électricité par Hydro-Québec qui freine le dossier en ce moment, insiste M. Lauzon. L’élu municipal ne voit pas de problème avec l’accès au site de l’ancienne papetière puisque celui-ci s’étend sur plusieurs acres. Thurso vérifie actuellement si elle ne peut pas acheter les parcelles de terrain qui ne seront pas incluses dans la transaction entre Québec et le futur repreneur de Fortress ou si celles-ci ne pourraient pas être cédées à la Municipalité, a confié le maire au Droit.

«Les nouveaux repreneurs sont ouverts à ce qu’il y ait d’autres développements sur le site. On a déjà eu les discussions avec eux. La Ville de Thurso va faire tout ce qui est en son pouvoir pour libérer le terrain nécessaire [pour le projet d’Enerkem]», mentionne le maire Lauzon qui précise que l’acceptabilité sociale sera un critère absolu si Enerkem réussit à s’installer dans sa municipalité.

Le ministre Fitzgibbon a le dernier mot

Chez Hydro-Québec, un porte-parole a indiqué dans une réponse écrite ne pas pouvoir fournir d’information puisque le dossier d’Enerkem était au «stade d’analyse». I l a rappelé que depuis l’adoption du projet de Loi 2, «tout projet de plus de 5 MW doit obtenir l’autorisation du ministre de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie avant de pouvoir être raccordé au réseau».

Ce processus «permet une sélection des projets les plus porteurs pour le Québec», a noté le porte-parole de la société d’État.