Futur hôpital: Lacombe vise encore 2032 et suscite des inquiétudes

En entrevue avec <em>Le Droit</em> mardi matin, le ministre Mathieu Lacombe a voulu se faire rassurant pour la population.

L’incertitude sur le choix du terrain où sera construit le futur hôpital de 600 lits de l’Outaouais ne change rien – «pour l’instant» du moins – à l’échéancier prévoyant son ouverture entre 2030 et 2032, affirme le ministre responsable de la région, Mathieu Lacombe.


En entrevue avec Le Droit mardi matin, le ministre Lacombe a voulu se faire rassurant pour la population. Même si le gouvernement a décidé d’analyser de nouveau les sites du centre Asticou et du boulevard de la Technologie, il n’y a «pas une minute» qui se perd dans la planification du Centre hospitalier affilié universitaire (CHAU) de l’Outaouais.

La contamination de certaines zones, la nécessité de procéder à 150 expropriations, la présence de roc et celle d’une importante infrastructure souterraine de Vidéotron force Québec à reconsidérer son choix de construire le CHAU là où se trouve actuellement un parc industriel, le long de la rue d’Edmonton, dans le secteur Hull. Le ministre de la Santé, Christian Dubé, avait annoncé en juin 2022 qu’irait le nouvel hôpital. Sans exclure la possibilité que le CHAU y soit tout de même construit, le ministre expose que ce site situé près du corridor du Rapibus occasionnerait «au minimum quatre années supplémentaires» d’attente avant que les travaux puissent être lancés.

Les terrains du centre Asticou et du boulevard de la Technologie (dans le quartier des Hautes-Plaines) sont «deux sites qui ont très bien performé dans l’analyse» qui avait été faite avant l’annonce de 2022, indique M. Lacombe. Dans les deux cas, il y a toutefois «un enjeu d’accessibilité», précise le ministre.

Pour le cas du centre Asticou, il faudrait entreprendre des négociations avec le gouvernement fédéral, qui est propriétaire du terrain. L’accès aux services municipaux afin de pouvoir desservir un hôpital de 600 lits y serait aussi «un enjeu», expose M. Lacombe. En ce qui concerne le site des Hautes-Plaines, la «stabilité du sol» pose certaines inquiétudes, mais le ministre affirme avoir reçu «des nouvelles plutôt encourageantes» à cet égard.

Les terrains du centre Asticou (photo) et du boulevard de la Technologie (dans le quartier des Hautes-Plaines) sont «deux sites qui ont très bien performé dans l’analyse» qui avait été faite avant l’annonce de 2022, indique Mathieu Lacombe.

À quand une décision?

Mathieu Lacombe insiste que même si un important retard est appréhendé avec le site du parc industriel, «il n’y a pas de décision qui est prise à l’heure actuelle». Le gouvernement veut se donner «quelques mois» pour faire des analyses supplémentaires pour les trois sites. Une décision pourrait ainsi être annoncée vers «la fin du printemps, peut-être le début de l’été», dit le ministre, qui veut que le terrain retenu permette d’avoir un hôpital prêt à soigner le plus rapidement possible.

Il est donc toujours prévu que le gouvernement lance les appels d’offres en 2024. Le ministre Dubé avait affirmé qu’à partir de là, il faudrait compter de six à huit ans de travaux, ce qui donnait un horizon de 2030 à 2032 pour l’ouverture du CHAU. Est-ce encore réaliste? «On est des éternels optimistes, nous, les ministres, répond Mathieu Lacombe. […] Pour l’instant, considérant tout le travail qu’on fait pour réduire les délais [et] malgré les enjeux qui sont devant nous, on maintient l’engagement qu’on a pris au départ. […] Dans quelques mois, lorsqu’on confirmera hors de tout doute le site sur lequel on ira et qu’on lancera officiellement les appels d’offres pour la construction, on sera en mesure de faire une mise à jour de l’échéancier.»

Lors de la campagne électorale de 2018, la Coalition avenir Québec avait promis un hôpital de 170 lits prêt à soigner dès 2023 pour l’Outaouais. Cette promesse a par la suite été modifiée pour le projet actuel de 600 lits, qui doit mener à un gain net de 240 lits de courte durée pour la région.

Dans l’intervalle, le manque de lits est toujours criant. Le Centre intégré de santé et de services sociaux de l’Outaouais (CISSSO) doit déjà composé avec environ 100 lits fermés pour cause de manque de personnel, tandis que des dizaines d’autres places sont occupées par des patients qui n’ont plus besoin d’être à l’hôpital et qui attendent qu’une place se libère pour eux dans une ressource adaptée à leurs besoins. À ce chapitre, le ministre Lacombe n’a pas d’autre solution à proposer que d’attendre le CHAU. Les maisons des aînés viendront soulager un peu le CISSSO, mais ne permettront pas de combler tous les besoins en hébergement de longue durée. «Se lancer dans de nouveaux projets d’infrastructures, ce ne sera pas plus rapide nécessairement que de construire l’hôpital», dit-il.

Fortin se fait très critique

Le député de Pontiac et porte-parole de l’opposition officielle en matière de santé, André Fortin, qui a échangé avec le ministre Lacombe sur le réseau X – ce dernier l’a invité à en débattre «n’importe quand» –, estime qu’on a maintenant la preuve que ce dossier «est de l’improvisation du début à la fin».

«Ce qu’on avait compris lors la dernière visite de M. Dubé (ministre de la Santé) en Outaouais, c’est que c’était une réelle possibilité que le gouvernement change d’idée, mais là en entendant M. Lacombe, on voit presque que son chien avait la rage. On semble trouver toutes sortes d’excuses pour changer de site», clame-t-il.

La présence de roc et de contaminants, sans compter les expropriations, sont tous des facteurs qui auraient dû être considérés «bien avant l’annonce de l’an dernier (23 juin 2022)», plaide l’élu.

«Quand on choisit un parc industriel, il me semble que c’est un gros facteur de risque», mentionne M. Fortin, ajoutant que tout le monde de Hull sait qu’il y a présence de roc dans une majorité de sols.

Après toute la saga que la recherche d’un site qui faisait consensus avait causé, il est à son avis très curieux d’arriver soudainement avec plusieurs arguments contre la rue d’Edmonton et de nombreux arguments en faveur du site du boulevard de la Technologie.

Selon le député libéral, qui croit que ce dossier est «loin, loin d’être terminé, malheureusement», Québec doit désormais agir avec plus de transparence que jamais.

«Il est temps qu’il mette cartes sur table avec les avantages et les inconvénients de tous les sites. On est en droit de les connaître, puisque le gouvernement semble bâcler le travail. Il n’existe pas de site parfait, mais on est en droit de faire nos propres constats par rapport à chacun des sites potentiels», s’exclame-t-il, promettant de talonner la CAQ à ce sujet dans la région comme au Salon bleu.

Inquiétude et déception

La Coalition pour un centre hospitalier accessible et durable en Outaouais (CCHADO), qui a rencontré le ministre Lacombe lundi, affirme que ce revirement de situation suscite inquiétude et déception sans ses rangs.

«Nous, ce site-là (rue d’Edmonton) n’était pas nécessairement dans nos choix mais c’était un bon consensus régional, c’est ce qu’on avait dit à l’époque. Là, on comprend qu’il y a des enjeux sur le site, mais le problème, ce qui nous fâche un peu, c’est qu’on reconsidère les deux autres sites que nous avions décrits comme inacceptables parce qu’ils ne sont pas accessibles ni durables», affirme son porte-parole, Patrick Robert-Meunier.

Jugeant incompréhensible qu’on ne les scrute pas de nouveau à la loupe si en parallèle on redémarre un exercice d’analyses de sites, la Coalition rappelle demande à ce qu’on se penche sur les quatre emplacements qu’elle propose, tous connectés au Rapibus: la Fonderie, le terrain de l’ancien aréna Guertin, la zone industrielle du ruisseau de la Brasserie de même que le site de la Carrière, aux abords du magasin Réno-Dépôt. Ces sites ont une superficie potentielle variant entre 45 000 et 220 000 mètres carrés.

«On trouve dommage qu’on semble se mettre dans un carcan, on a de la difficulté à trouver une voie de passage. [...] L’autre enjeu, c’est l’empiétement. On nous dit qu’on ne veut pas faire un CHUM (Montréal), que c’était trop dense, qu’on ne veut pas faire ça en Outaouais. C’est correct, je comprends, mais ils font un projet à Québec (complexe hospitalier) qui l’est un peu moins et qui est quand même au centre-ville, soutient M. Robert-Meunier. Si on regarde les projets qui inspirent celui de Gatineau, ce sont Vaudreuil-Soulanges et Fleurimont, qui ne sont clairement pas des projets modèles quand on se reporte en 2023, ils sont basés sur des façons de penser et de faire des années 70.»

Patrick Robert-Meunier, porte-parole de la Coalition pour un centre hospitalier accessible et durable en Outaouais

Ce dernier rappelle que ce n’est pas strictement pour une question environnementale que la Coalition juge illogique d’ériger un hôpital sur des sites comme le Centre Asticou ou les Hautes-Plaines, qu’elle veut que Québec efface de sa liste. C’est aussi parce que la population ne pourra pas y accéder de façon évidente, dit-on. Bien qu’entouré d’infrastructures comme le Cégep et le Collège Heritage, le site d’Asticou est déjà «très difficile à desservir en transport collectif», précise le porte-parole.

«Ce n’est pas une masse critique qui est assez grande pour justifier des investissements en transport en commun et faire qu’on va avoir un système efficace. Il a y avoir des gens qui vont devoir partir de Templeton (quartier de l’est du secteur Gatineau) pour se rendre là et ils ne seront pas capables de le faire: ils vont être coincés dans le trafic ou ils vont être coincés plus longtemps qu’ils ne le devraient dans un autobus», affirme Patrick Robert-Meunier.

Méthodes «obsolètes»

Qualifiant d’«obsolètes» les méthodes de la Société québécoise des infrastructures (SQI), la CCHADO souligne que le processus d’analyse de localisation n’est pas cohérent avec les politiques que Québec a lui-même instaurées, par exemple en matière d’architecture, d’aménagement du territoire et de mobilité durable. L’organisation souhaite qu’on puisse trouver au minimum un «juste milieu».

«À la SQI, tout ce qu’ils considèrent dans les déplacements, ce sont les voitures, alors pour eux, ils construisent en fonction d’une mare de stationnement à plus finir qu’on met partout. C’est sûr que ça influence la grosseur du terrain quand se met dans cette façon de penser-là. [...] Il y a des solutions à ce genre de décisions-là qui n’ont plus de bon sens aujourd’hui», explique-t-il.

La CCHADO estime qu’il faut arrêter de penser à court terme et est d’avis que l’enjeu de l’échéancier, davantage lié «à une promesse politique», est moins crucial que le choix d’un site bien réfléchi.

«Je comprends que ça l’air long, quatre ou cinq ans de plus (de délais si on construit sur la rue d’Edmonton) et idéalement ce ne serait pas le cas, on trouverait des façons de faire pour aller plus vite, mais si on vit avec ça pendant 100 ans, on va léguer ces problèmes-là qu’on va créer (avec de tels sites) aux prochaines générations. Ils vont devoir déconstruire ce qu’on a fait», déplore le porte-parole.

La contamination de certaines zones, la nécessité de procéder à 150 expropriations, la présence de roc et celle d’une importante infrastructure souterraine de Vidéotron force Québec à reconsidérer son choix de construire le CHAU là où se trouve actuellement un parc industriel, le long de la rue d’Edmonton, dans le secteur Hull.

Action Santé Outaouais

Bien que peu enchanté par le fait qu’on brandisse l’idée de revenir à la case départ avec un site, l’organisme Action Santé Outaouais rappelle qu’un nouvel hôpital est une chose, mais ne règlera pas tous les maux.

«Plus on attend, plus on remet en question les décisions passées, plus on génère des délais. Mais il ne faut pas qu’une infrastructure aussi importante, de plusieurs milliards, soit considérée comme ce qui va restructurer le réseau de la santé en Outaouais pour plusieurs décennies, note le directeur général Mathieu Charbonneau. Depuis le début, on dit que l’Outaouais a besoin d’un hôpital moderne, mais qu’il faut aussi un réinvestissement massif en première ligne: dans les CLSC, les hôpitaux déjà existants, la main-d’oeuvre, les territoires ruraux, etc.»

Ce dernier spécifie que si les citoyens et l’ensemble de la société civile étaient en général plus écoutés et moins perçus comme des «spectateurs», probablement «qu’on aurait moins de difficulté à prendre de bonnes décisions du premier coup».

L’organisation est un peu incrédule quant au maintien de l’échéancier du départ, soit une ouverture en 2032.

«On est à moins de dix ans, c’est difficile d’y croire, surtout pour une infrastructure de cette ampleur-là. Mais je pense qu’on peut marcher et mâcher de la gomme en même temps. Il faut un hôpital universitaire pour l’Outaouais», lance M. Charbonneau, plaidant qu’entre-temps, on doit rééquilibrer les choses et la région doit avoir sa juste part de financement.