Dans un article publié la semaine dernière, Le Droit avait abordé l’histoire de Paul Arseneau. Âgé de 56 ans, Paul est «comme un petit bébé», expliquait son père, Robert Arseneau. Ce dernier dénonçait des lacunes dans les soins reçus par son fils pendant son séjour à la résidence La Victorienne du secteur Gatineau, à l’automne 2021 et à l’hiver 2022. M. Arseneau avait soumis ses préoccupations à la commissaire aux plaintes et à la qualité des services du CISSSO, Marion Carrière. Il dénonçait notamment que son fils ait subi «des séquelles graves au cerveau» parce qu’il n’avait pas reçu un médicament contre l’épilepsie pendant plusieurs semaines.
L’octogénaire avait toutefois eu de la difficulté à obtenir le rapport de la commissaire par des moyens technologiques. Il a finalement reçu le rapport en format papier au cours des derniers jours. Le Droit a pu en obtenir copie.
Comme ce fut le cas pour le dossier de Benoît Lauzon, un jeune homme de 28 ans atteint de trisomie 21 décédé des suites d’une pneumonie dans un contexte d’erreur de médication à l’hôpital, la commissaire aux plaintes du CISSSO conclut que Paul Arseneau «a subi de la maltraitance organisationnelle par négligence» pendant son séjour à La Victorienne.
Le quinquagénaire demeure aujourd’hui dans un centre d’hébergement et de soins de longue durée (CHSLD), où son père le visite sur une base régulière. Quand il repense au temps que son fils a passé à La Victorienne, Robert Arseneau n’est pas surpris des constats qu’il a lus dans le rapport de la commissaire aux plaintes du CISSSO. «Ce n’est pas normal ce qui est arrivé là-bas», dit-il.
«Négligence grave»
Dans le cas de Paul Arseneau, la commissaire Carrière s’est penchée en détail sur la non-administration d’un médicament qui lui était prescrit. Quand il a emménagé à La Victorienne, Paul Arseneau est arrivé avec «une dizaine» de bouteilles d’un sirop contenant de l’acide valproïque pour traiter son épilepsie.
Selon le rapport de la commissaire, le personnel de La Victorienne et le personnel de la Direction de la déficience et de la réadaptation du CISSSO «étaient au courant de la condition de santé» de Paul Arseneau. Une coordonnatrice a toutefois confirmé que l’acide valproïque ne lui a pas été administré «pendant plusieurs semaines, car il était hors pilulier».
Marion Carrière indique dans son rapport que les préposés aux bénéficiaires (PAB) de la résidence avaient reçu la formation leur permettant d’administrer des médicaments. Chaque fois, ils doivent remplir un formulaire d’administration des médicaments.
Dans le cas de Paul Arseneau, les PAB qui ont inscrit lui avoir donné le sirop «ont eu un manquement grave à leur responsabilité de lui administrer le médicament requis», lit-on dans le rapport de Mme Carrière. Selon elle, les arguments soulevés par la résidence et le CISSSO pour expliquer cette erreur «ne sont pas suffisants pour justifier la gravité de l’écart observé». La commissaire est plutôt d’avis qu’il s’agit d’«une situation de négligence grave» à l’endroit de Paul Arseneau, et ce tant de la part du personnel de La Victorienne que des employés du CISSSO. Le rapport de la commissaire précise que «ce serait la pharmacie communautaire qui aurait alerté [la ressource] que le médicament était à renouveler».
Robert Arseneau souligne que Paul a arrêté de marcher quand il a arrêté de recevoir son sirop contre l’épilepsie. La dégradation de son état l’a mené en CHSLD. Cela fait à peine quelques semaines que Paul a recommencé à marcher. M. Arseneau a fait savoir qu’après de longs mois, Paul a recommencé à dire «auto» quand il voit son père. Ce dernier attend maintenant avec impatience l’autorisation du personnel pour l’emmener faire une promenade en voiture, comme il le faisait souvent auparavant.
Demande d’enquête à l’Ordre des infirmières et infirmiers du Québec
La copropriétaire de La Victorienne, Cyndie Mardi, a fait savoir dans une déclaration écrite qu’elle entend demander «une enquête» à l’Ordre des infirmières et infirmiers du Québec au sujet de certaines lacunes soulevées dans les rapports de la commissaire aux plaintes du CISSSO. Tout en assurant qu’elle collaborera à une éventuelle enquête, Mme Mardi affirme être «la première à vouloir que la lumière soit faite sur les circonstances vécues au sein de La Victorienne en 2021 et 2022».
À l’instar de l’Association des ressources intermédiaires d’hébergement du Québec, Mme Mardi soutient par ailleurs que «les besoins des usagers sont trop souvent mal évalués et [que] les ressources sont sous-financées». «On se retrouve souvent avec des personnes nécessitant plus que les heures financées», déplore-t-elle.
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Le CISSSO, de son côté, a indiqué que les éléments contenus dans le rapport de Marion Carrière ont été intégrés dans son plan d’action. «Nous avons intensifié nos audits et notre soutien pour la distribution des médicaments avec la ressource intermédiaire La Victorienne», a-t-on ajouté dans une réponse écrite. L’organisation assure par ailleurs qu’elle «prend toujours en compte toutes les recommandations émanant de la commissaire aux plaintes et ce, toujours dans l’optique d’assurer la qualité et la sécurité des résidents hébergés dans des ressources externes».
«Aucun suivi neurologique» après une chute
Dans le cadre de son travail, la commissaire aux plaintes a aussi demandé au CISSSO de réaliser une enquête clinique pour faire la lumière sur ce qui était arrivé à Paul Arseneau. Cette analyse a également permis d’apprendre que Paul Arseneau a été hospitalisé à quelques reprises pendant son séjour à La Victorienne et que chaque fois, à son retour à la résidence, des lacunes ont été observées dans le suivi de son état. La commissaire soulève d’ailleurs qu’il n’y avait «aucun plan thérapeutique» dans le dossier de Paul Arseneau.
Mme Carrière explique notamment qu’en janvier 2022, Paul Arseneau a subi un traumatisme crânien à la suite d’une chute. «Selon les notes au dossier, l’infirmière [du CISSSO] assignée [à La Victorienne] aurait apporté les premiers soins, mais aucune évaluation neurologique ne semble avoir été faite, car non documentée», lit-on dans le rapport. Le résident avait été transporté à l’hôpital et avait obtenu son congé le jour même. Encore une fois, «aucune évaluation ne semble avoir été faite» à son retour à La Victorienne. Dans les jours suivants, des infirmières ont changé le pansement de Paul Arseneau. Mais «aucun suivi neurologique [n’a été] fait lors de ces deux visites». Le résident a ensuite présenté des symptômes d’accident vasculaire cérébral et a de nouveau été transporté à l’hôpital, relate la commissaire.
Robert Arseneau est aujourd’hui rassuré que son fils soit dans un CHSLD. Il espère que les constats et les recommandations de la commissaire aux plaintes aideront à éviter que de telles situations se reproduisent pour les résidents qui habitent encore à La Victorienne.
Dans le dossier de Benoît Lauzon, le ministre de la Santé, Christian Dubé, avait présenté des excuses à la famille, la semaine dernière. M. Dubé a également évoqué, à deux reprises, la possibilité que le dossier soit soumis au Directeur des poursuites criminelles et pénales.