Maltraitance : le CISSSO prend le contrôle de La Victorienne

Cette annonce survient après la publication de plusieurs articles dans <em>Le Droit</em> révélant que des usagers de La Victorienne ont subi de la «maltraitance organisationnelle par négligence».

N’étant «plus capable» d’assurer la sécurité à long terme des usagers hébergés à La Victorienne, le Centre intégré de santé et de services sociaux de l’Outaouais (CISSSO) vient de prendre le contrôle total de la ressource intermédiaire du secteur Gatineau, où de nombreuses lacunes ont été décelées depuis son ouverture. Pendant que le grand patron de l’organisation, Yves St-Onge, admet que le contrat avec cette résidence n’aurait «probablement pas» été octroyé si les vérifications appropriées avaient été faites au préalable, la mère d’un ancien résident de l’endroit réclame qu’il y ait «des changements majeurs».


Le dossier de La Victorienne fait les manchettes depuis le début de la publication d’une série d’articles dans Le Droit, la semaine dernière. La commissaire aux plaintes et à la qualité des services du CISSSO, Marion Carrière, a conclu que deux résidents de cet immeuble de trois étages y ont subi de la «maltraitance organisationnelle par négligence».

Même si les rapports de la commissaire ont été signés au printemps dernier, le CISSSO vient tout juste de sonner le glas des pouvoirs qu’avait encore l’entreprise propriétaire de La Victorienne, le Groupe Sidney Santé. Le président-directeur général par intérim du CISSSO, Yves St-Onge, a décidé d’utiliser la Loi sur les services de santé et les services sociaux pour placer la résidence de 58 places sous «administration provisoire».



En mêlée de presse mardi après-midi, M. St-Onge a expliqué que l’organisation a d’abord effectué «un travail d’accompagnement» auprès de la ressource, lorsque les premiers signalements ont été faits pour dénoncer des problèmes observés sur place.

M. St-Onge a rappelé avoir été informé de la situation par la commissaire à la fin du mois de janvier 2023, alors qu’il venait tout juste d’arriver à la tête du réseau régional. Il a aussitôt mis en place «une cellule de crise autour de ce dossier-là». Un plan d’action a été élaboré et un cadre du CISSSO a été déployé à temps plein à La Victorienne. Mais ce ne fut pas assez. L’accompagnement offert par le réseau public n’était pas «suffisant» pour permettre que la situation se résorbe, reconnaît M. St-Onge.

L’idée de procéder à une administration provisoire a germé au cours des dernières semaines dans l’esprit du grand patron du CISSSO.

Le PDG du CISSSO,Yves St-Onge.

Yves St-Onge a fait savoir que le Protecteur du citoyen avait effectué une visite surprise à La Victorienne en juin dernier. Des informations provenant du Protecteur du citoyen sont ensuite arrivées, lundi, et ont convaincu le président-directeur général qu’il prenait «la bonne décision en soumettant la ressource à une administration provisoire».



M. St-Onge n’a pas dévoilé les détails de ce qui a été constaté par le Protecteur du citoyen. Il a toutefois déclaré que le Groupe Sidney Santé n’«arrive pas» à gérer La Victorienne comme il se doit. «Quand j’ai vu le rapport du Protecteur, je me suis dit ‘non, là, je pense qu’on va prendre le contrôle de la ressource, carrément’», a mentionné M. St-Onge.

Toutes les décisions… et toutes les options entre les mains du CISSSO

L’administration provisoire de la ressource intermédiaire a été confiée à Marc P. Desjardins, un «gestionnaire d’expérience» du réseau de la santé. «La propriétaire ne peut prendre aucune décision concernant la gestion de cette ressource-là depuis [mardi] midi», a précisé M. St-Onge. Selon l’évolution du dossier, le Groupe Sidney Santé pourrait récupérer certaines responsabilités comme la gestion des ressources humaines ou des finances, sous supervision de l’administrateur provisoire.

En vertu de la loi, l’administration provisoire se fera pour une période de 120 jours. Elle pourrait aussi être prolongée de 90 jours. «Je peux, après 120 jours ou avant 120 jours, prendre toute autre décision que je juge appropriée dans les circonstances, a expliqué Yves St-Onge. Ça pourrait même être de dire ‘on met la clé dans la porte’. […] Toutes les options sont envisagées.»

Dans son rapport sur le cas de Benoît Lauzon, la commissaire aux plaintes pose des constats sévères tant à l’endroit des propriétaires de la ressource qu’à l’endroit du CISSSO. Les deux organisations «n’ont pas suffisamment ni adéquatement [assumé] leurs rôles et responsabilités individuelles et conjointes, et ce, durant plusieurs mois, ce qui a brimé les droits des résidents», écrivait Marion Carrière.

Yves St-Onge affirme aujourd’hui que «c’est vrai» que le CISSSO a sa part de responsabilité. «[La commissaire] était satisfaite du dossier et elle était également satisfaite quand je lui ai appris que je mettais la ressource intermédiaire en administration provisoire, parce que je lui ai dit ‘je ne suis plus capable de garantir à long terme la sécurité des usagers qui sont là’», a-t-il mentionné.

Selon nos informations, le ministre responsable des Services sociaux, Lionel Carmant, réclamait des changements rapides dans la situation qui prévalait à La Victorienne.



Dans une déclaration écrite, le ministre Carmant, a fait savoir qu’il a «été informé [mardi] matin de l’intention du CISSSO de mettre la [ressource intermédiaire] sous administration temporaire car malgré l’accompagnement, on juge que trop de doutes subsistent quant à la capacité de l’organisme à assurer la sécurité des usagers et à respecter les plus hauts standards de qualité». M. Carmant ajoute que ce qu’il a appris «dans les différents rapports et les différents articles des dernières semaines est tout simplement inacceptable». «Il faut que les choses changent», insiste-t-il.

Le ministre responsable des Services sociaux, Lionel Carmant

Des vérifications mal faites?

Yves St-Onge a indiqué, mardi, avoir appris seulement la semaine dernière que le Groupe Sidney Santé avait vu l’un de ses contrats avec le CISSS de Lanaudière être résilié pour cause de «motifs sérieux» un an et demi avant l’ouverture de La Victorienne en sol gatinois.

En date du 8 septembre dernier, le service des communications du CISSSO avait affirmé au Droit que «toutes les vérifications nécessaires» avaient été faites. «Ce n’est sûrement pas le cas, puisque si on avait fait les vérifications, on l’aurait su [qu’il y avait eu des problèmes dans Lanaudière], constate maintenant Yves St-Onge. […] Je trouve ça très malheureux quand même, parce que c’est une occasion ratée pour nous, parce que personnellement, c’est un contrat qu’on n’aurait probablement pas donné si cette information-là avait été connue.»

Qu’est-ce qui a été mal fait dans le processus de vérification des antécédents? «Ce n’est pas clair, ce qui a été fait», affirme M. St-Onge. Ce qui est toutefois «très clair» à ses yeux, c’est qu’«il y a quelque chose qui a été manqué». «[Ce qui s’est passé dans Lanaudière avant l’ouverture de La Victorienne], on aurait dû le voir et on ne l’a pas vu», a-t-il ajouté.

Soulagement pour la mère de Benoît Lauzon

La mère de Benoît Lauzon, Christiane Latour, s’est dite «heureuse» que le CISSSO ait décidé de prendre le contrôle de La Victorienne. Son fils y a habité pendant moins de deux mois avant de mourir des suites d’une pneumonie dans un contexte d’erreur de médication à l’hôpital. «Ça fait deux ans que je porte le deuil de mon fils et ça fait deux ans que je m’inquiète pour les 58 usagers de La Victorienne, a-t-elle réagi. Même si le CISSSO avait des employés sur place, je m’inquiétais. […] Ça prend plus que des améliorations, ça prend des changements majeurs.» Mme Latour espère maintenant que les résidents de La Victorienne reçoivent «des soins de qualité dans la dignité et le respect».

Christiane Latour, la mère de Benoît Lauzon.

La direction de La Victorienne a pour sa part assuré, dans une déclaration écrite, que l’administrateur provisoire et la direction du CISSSO pouvaient compter sur son «entière collaboration».

Au CISSSO, Yves St-Onge s’est dit «profondément désolé» pour les usagers qui n’ont pas eu droit à tous les services dont ils avaient besoin. «J’aurais préféré que ça n’arrive pas, a-t-il dit. Maintenant, c’est pour ça que depuis ce printemps, on a une équipe sur place. On n’a pas eu d’autres plaintes, on n’a pas eu d’autres situations parce qu’on assure beaucoup, beaucoup de surveillance.»

La demande d’enquête à l’OIIQ

La copropriétaire de la résidence, Cyndie Mardi, avait déjà affirmé au Droit, lundi, qu’elle entendait demander «une enquête» à l’Ordre des infirmières et des infirmiers du Québec (OIIQ) au sujet de certaines lacunes soulevées dans les rapports de la commissaire aux plaintes du CISSSO.



L’Ordre a indiqué, mardi, que «le Bureau du syndic de l’OIIQ pourrait déclencher une enquête, si une personne en faisait la demande ou si des informations sur le dossier circulaient, afin d’assurer le suivi requis et de déterminer s’il y a lieu de déposer une plainte devant le Conseil de discipline».

L’OIIQ souligne que dans le dossier de Benoît Lauzon, les recommandations de la coroner Francine Danais «sont suivies avec diligence».«Lorsque l’on demande une enquête sur les actes infirmiers en lien avec un événement indésirable, le syndic prend en charge le dossier et détermine le suivi approprié, ajoute-t-on. Lorsque la compétence d’un membre est en cause, le comité d’inspection professionnelle peut décider de procéder à une inspection sur la compétence du membre visé.» L’Ordre précise également que tout processus d’enquête est «entièrement confidentiel afin de préserver en tout temps l’indépendance du Bureau du syndic».