En plus des commerçants, des fonctionnaires, des arbitres et des secrétaires, l’incivilité et le manque de courtoisie sont loin d’épargner les directions d’écoles. Nancy Lamothe, directrice d’une école primaire de Gatineau et qui cumule 25 ans d’expérience en administration scolaire, peut en témoigner. Elle avoue en toute franchise avoir eu peur pour son intégrité physique à quelques occasions.
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Au primaire comme au secondaire ou à l’éducation pour adultes, les directions d’établissement constatent que l’impatience, l’impolitesse et la violence verbale ont haussé d’un cran, en particulier depuis le coeur de la pandémie, signale celle qui préside une association de gestionnaires scolaires en Outaouais.
«Souvent, ça touche une minorité de parents et d’adultes, mais dans le cadre de tes fonctions tu dois parfois te questionner: je dois me rendre dans le stationnement pour (interpeller) un parent qui n’est pas stationné au bon endroit. Suis-je en sécurité?
Aussi étonnant que cela puisse paraître, cette crainte, Nancy Lamothe l’a ressentie en sortant à l’extérieur avertir un parent qu’il devait déplacer son véhicule parce qu’il était immobilisé dans la zone d’interdiction de stationnement. Elle dit avoir l’impression de se transformer en agent de sécurité lorsqu’elle doit intervenir ainsi.
«Il s’est mis à sacrer après moi et a continué une fois à l’intérieur de l’auto. Oui, j’ai déjà eu peur pour ma sécurité. L’an dernier, un parent est entré ici (dans l’école) et m’a fait des menaces. Il y avait plusieurs témoins, il me confrontait et est devenu intimidant avec tout son corps, arrogant», raconte-t-elle.
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Alors qu’est célébrée la Semaine québécoise des directions d’établissements scolaires ces jours-ci, Mme Lamothe admet qu’il est anormal d’avoir à vivre de telles situations dans un tel corps d’emploi. Pourtant, les incidents sont de plus en plus nombreux.
«Oui, on se questionne. Parce qu’après (un tel événement), l’adrénaline redescend et on en tremble, ce n’est pas agréable. Puis on ne mérite pas cela», clame-t-elle, estimant qu’au moins une direction d’école par jour en moyenne se fait «engueuler au téléphone» dans la région.
Citant l’exemple du respect des consignes dans le stationnement d’une école, Mme Lamothe soutient que certains parents pensent que de telles interventions d’une direction s’avèrent une sorte «d’acte de pouvoir». Or, c’est avoir tout faux, précise-t-elle.
«On le fait pour la sécurité des élèves. Si les pompiers arrivent ici, l’espace doit être complètement libre, les normes incendie, je dois les suivre», réplique la gestionnaire.
Tout cela n’aide en rien à attirer des candidats de la relève – la majorité du temps des enseignants de formation – dans la profession, qui, se plaît-elle à répéter, est si passionnante.
«Certaines jeunes directions peuvent aller jusqu’à dire: je ne serai pas capable d’endurer ça. Certains ne réussissent pas à se faire une carapace, note-t-elle. Travailler avec mes élèves et mon personnel, il n’y a aucun problème. Ce qui est lourd dans notre bagage au quotidien, c’est l’incivilité de nos parents, leur nombre qui s’en va en augmentant.»
«Pas agréable»
Rappelant que la majorité des parents sont censés et ont un bon jugement, Nancy Lamothe affirme avoir l’impression que certains adultes se comportent comme des ados.
«Il y a aussi de l’incivilité lors de (réunions) conseils d’établissement. Je sais que c’est arrivé à certains collègues qui se questionnent alors s’ils sont dans l’obligation d’y aller. Verbalement, ce n’est pas agréable. Certains peuvent ne pas en dormir la nuit précédente. On ne devrait pas avoir à se sentir ainsi», déplore-t-elle.
Les autres membres du personnel ont eux aussi droit à leur part d’insultes, alors que des parents sacrent et crient après les gens qui veillent au respect des allées et venues dans le stationnement à l’heure de pointe matinale. À quelques reprises, sous le coup de la frustration, certains ont carrément roulé avec leur véhicule sur des cônes orange.
«On est parfois bouche bée. Il y a aussi les enseignants. J’ai ramassé (consolé) une jeune enseignante qui vient d’avoir un baccalauréat et qui est entrée dans mon bureau en pleurant parce qu’un parent avait été méchant avec elle, alors qu’elle est top gun, excellente», raconte Mme Lamothe.
Savoir se gérer soi-même
La Fédération québécoise des directions d’établissement (FQDE) a justement lancé il y a un mois la campagne intitulée «La civilité en milieu scolaire: une matière à amélioration», qui vise à ce que les gestionnaires d’écoles soient mieux préparés à faire face à l’incivilité, en plus de sensibiliser les acteurs et usagers du réseau de l’éducation à l’importance de communiquer avec respect et politesse.
«C’est d’aller un peu plus loin dans les outils que ceux que la direction peut déjà avoir dans sa poche arrière lorsque quelqu’un s’adresse à elle avec une formule, un ton ou une attitude qui n’est pas civile. Il faut que la personne se retrouve bien armée pour réagir, répondre», note la vice-présidente Élizabeth Joyal, précisant qu’on ne vise pas uniquement les parents mais le milieu.
Elle rappelle qu’au bout de la ligne, il y a beau avoir escalade d’incivilité, les parties vont «devoir se reparler et ça va devoir être constructif, positif, avec un minimum de confiance l’un envers l’autre, pour faire cheminer l’enfant dans son milieu».
«On s’est demandé ce qu’on pouvait se donner pour se former un peu mieux, par exemple pour savoir se gérer soi-même et ne pas aller dans l’incivilité, car c’est facile: tu m’insultes, je t’insulte en retour et c’est 1 à 1, ou plutôt 0 à 0, parce que ça ne donne rien», explique Mme Joyal.
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Chez les parents, «parce que tout le monde a une opinion sur tout», les situations qui dégénèrent proviennent souvent d’un besoin que ces derniers estiment «non répondu», dit-elle, spécifiant que le manque de courtoisie est en hausse dans les écoles depuis quelques années.
Plus de gens que dans le passé, indique Mme Joyal, se permettent parfois d’avoir une réaction «spontanée et sans filtre» auprès de leur interlocuteur, alors qu’ils auraient avantage à «prendre un pas de recul, une respiration».
«L’école est toujours le reflet de la société, alors si ça arrive à l’épicerie, à la banque, ça arrive forcément à l’école. Et si c’est en recrudescence dehors, ce l’est en dedans aussi et c’est effectivement l’observation de nos membres (2100 au total au Québec), lance-t-elle. Ils disent qu’il y en a toujours eu, mais qu’on dirait que là, tout le monde se paie la traite un peu. Il faut un plus-value dans les échanges entre adultes sinon ça revient à quoi?»
S’outiller face «au char de bêtises»
Si elle admet qu’il y aura toujours de l’incivilité dans la société, la FQDE prétend qu’on peut revenir à quelque chose de plus «standard», ajoutant que de telles situations grugent à la fois temps et énergie.
«Et des fois, l’incivilité, ce ne sont pas des mots, mais des gestes comme claquer une porte. L’insatisfaction, c’est correct, c’est comment tu la gères, comment tu passes à une autre étape où tu es plus positif, relate Mme Joyal. Quelqu’un qui t’envoie un char de bêtises à 9h, tu es encore là-dessus à midi, il y a une émotion qui se créée. Elle m’appartient, oui, mais ça nous habite, on est tout croche.»
L’objectif étant de renverser la vapeur et non de jouer les victimes, elle soutient que le regroupement, avec cette campagne, veut que ses membres aient le réflexe de «se dissocier de ce qui vient de se passer» et de ne pas automatiquement culpabiliser ou se remettre en question.