L’UQO veut des millions de Québec «pour faire encore mieux»

Murielle Laberge, rectrice l'Université du Québec en Outaouais, cogne à la porte de Québec comme ses neuf collègues du réseau de l'UQ.

À l’instar des autres neuf autres institutions du réseau public dont elle fait partie, l’Université du Québec en Outaouais (UQO) réclame plusieurs millions de Québec «pour faire encore mieux» et poursuivre sur sa lancée quant à son développement de programmes, la région étant entre autres confrontée à un taux de diplomation universitaire plus faible que la rive ontarienne.


Alors que s’amorcent les travaux de révision de la formule de financement des universités québécoises, un processus lancé par la ministre de l’Enseignement supérieur, Pascale Déry, la rectrice Murielle Laberge a joint sa voix dans un mémoire et une lettre ouverte ouverte mercredi à celle de ses collègues de l’Université du Québec (UQ) et de son nouveau président, Alexandre Cloutier, pour demander au gouvernement provincial d’injecter 100 millions supplémentaires dans leur réseau. Une telle somme, prétend-t-on, contribuerait à garantir l’accessibilité du savoir, réduire l’écart de diplomation de grade universitaire qui persiste entre le Québec et l’Ontario puis de combler l’iniquité financière qui s’accroisse avec les universités à charte, telles que l’Université Laval, l’Université de Montréal et l’Université Concordia.

«C’est un message clair qu’on accuse un retard significatif avec nos voisins ontariens et que pour pouvoir réduire cet écart, on a besoin d’un appui financier, parce qu’on fait bien, je pense, mais on veut faire encore mieux. On veut accompagner nos étudiants, et on va en accompagner de plus en plus, vers la réussite donc vers la diplomation. On sait bien que la diplomation, c’est l’équivalent à la richesse d’une nation, d’une région. On a déjà une reconnaissance à l’effet qu’on a un caractère particulier (motion visant l’Outaouais adoptée par l’Assemblée nationale en 2019), qu’il y a un sous-financement historique dans le développement de la région, que ce soit en éducation, en culture ou en santé», lance d’emblée Mme Laberge.



L’UQO n’a pas chiffré ses propres demandes mais estime qu’une part du gâteau lui reviendra advenant que Québec tend l’oreille et répond favorablement à cette demande, qui, précise la rectrice, va l’aider considérablement pour les prochaines étapes de son développement et l’atteinte de ses objectifs à moyen et long terme.

Disparités et nuances

En 2021, 33% de la population de 25 à 64 ans détenait un diplôme de grade universitaire au Québec, alors que la moyenne canadienne se chiffre à 36% et que cette proportion est de 39% en Ontario. Avec 35,6%, l’Outaouais fait mieux que la moyenne québécoise mais cette statistique est à nuancer considérablement dans la région, juge la rectrice de l’UQO.

«On pourrait dire que l’écart (avec l’Ontario) n’est pas très grand, si on se compare par exemple à l’Abitibi, qui est environ à 20%. Mais il faut d’une part savoir que nous sommes une région transit, donc quand on fait la recension des gens qui détiennent un diplôme, à la base c’est parce qu’il y a plusieurs personnes qui viennent d’un peu partout au Québec parce qu’ils ont été attirés ici par l’emploi. Parce que si on regarde spécifiquement l’UQO et son nombre d’étudiants, on est en déficit par apport à des régions comparables, que ce soit la Mauricie ou le Saguenay Lac-Saint-Jean. Je trouve important de relativiser ça, car si on compare seulement les taux de diplomation, on va dire: la région n’en a pas besoin tant que ça, l’écart n’est pas aussi grand, mais c’est pas tout a fait comme cela qu’il faut voir les choses», explique Murielle Laberge.

Le nombre d’étudiants par tranche de 1000 habitants, par exemple, est une autre donnée importante à analyser et pour laquelle l’Outaouais a un «fossé à combler», souligne-t-elle. Selon l’Observatoire du développement de l’Outaouais (ODO), l’écart en cette matière entre la région et d’autres endroits comparables s’était accentué entre 2018-2019 et 2020-2021. En Outaouais, il est passé de 13,2 à 11,8 pendant cette période.



«Même si nous sommes contents du taux de diplomation, car ça signifie souvent accroissement des revenus personnels et par conséquent après ça se transpose dans le développement économique d’une région et sa richesse, on a encore beaucoup de travail à faire pour accueillir des étudiants. Pour en accueillir davantage, il faut qu’on développe des programmes», clame Mme Laberge.

Les moyens de ses ambitions

Or, rappelle sans détour la rectrice de l’UQO, il faut avoir les moyens de ses ambitions car prendre de l’expansion et avoir des projets dans les cartons vient avec un coût important.

«Pour le programme (en cours d’approbation) de kinésiologie, pour lequel on est dans les dernières étapes actuellement, ne reste qu’à avoir le feu vert du ministère, on a déjà passé le comité d’experts, donc le contenu (académique) est correct, c’est l’étape la plus difficile. Mais il faut de l’équipement, un laboratoire, des profs, il va falloir en embaucher. En droit (baccalauréat offert dès cet automne), on n’a pas fini d’embaucher. Et là on développe (le programme) de nutrition. Avant d’ouvrir des programmes, il faut embaucher des professeurs, faire des laboratoires, mais nous ne sommes pas financés. On est financé par étudiant et souvent, tu atteints ton retour sur ton investissement après trois ans. Quand tu as trois cohortes, enfin ça commence à rouler», décrit-elle.

Le pavillon Alexandre-Taché de l'UQO.

Mme Laberge soutient qu’une institution comme l’UQO «ne demande pas mieux que d’accélérer son rythme de développement» mais que d’assumer tout cela dans les conditions actuelles représente un poids financier majeur, ce pourquoi de nouveaux investissements, que le réseau décrit comme «une impulsion d’envergure», s’imposent.

«C’est vrai qu’on a fait des surplus dans les années passées, c’était surtout en raison de la pénurie de main-d’œuvre. Mais on ne peut pas s’avancer à embaucher des gens à partir d’économies qui sont circonstancielles, la circonstance dure longtemps, me dira-t-on, mais ça reste quand même qu’il faut être prudent, (avant de) dépenser de l’argent qu’on n’a pas. L’autre chose extrêmement importante, c’est que l’UQO et le réseau UQ ont été créés pour une raison: c’est de démocratiser le savoir, favoriser l’accessibilité à une clientèle qui a des caractéristiques plus particulières. J’en suis un exemple vivant, j’étais ouvrière sur la chaîne de montage et quand l’usine ferme, je me fais accepter à l’université en tant qu’adulte, alors que je n’avais jamais mis les pieds dans un cégep en tant qu’étudiante», raconte celle qui souhaite qu’on ne dénature pas la mission première du réseau public de l’UQ.

Ces caractéristiques du réseau, celles qui permettent «d’arriver avec un bagage un peu différent», s’accompagnent cependant de services d’accompagnement (français, mathématiques, méthodes de travail) doivent inévitablement venir avec un appui financier, explique-t-elle, considérant qu’une hausse des frais de scolarité n’est pas dans les plans.



Décrivant le tout comme «une roue qu’on enclenche», la rectrice de l’UQO affirme fièrement qu’environ le tiers des étudiants de l’institution sont la première génération à fréquenter l’université. Autres faits notables: à l’UQO, 37% de la clientèle est en situation de responsabilité familiale, tandis que 45% des étudiants sont à temps partiel.

«Tout ça demande des aménagements, un soutien qui est différent, il nous faut de l’argent. Quand on regarde les universités hors UQ, on met autant d’argent par étudiant, sauf que nous ça demande 65% de notre budget, versus un peu plus de 60% pour eux. Cet écart de quatre (points de pourcentage) représente une centaine de millions, c’est quand même beaucoup d’argent. Ce n’est pas pour rien qu’on réclame 100 millions pour l’ensemble du réseau», soutient la rectrice, qui spécifie que le but n’est pas de changer toutes les règles du jeu.

Des projets dans les cartons, mais...

En plus de caresser l’ambition d’ouvrir d’autres programmes, l’ouverture d’une halte garderie, le développement d’un projet de Pab lab pour l’expérimentation de prototypes et le rehaussement de l’offre de services aux étudiants – la rectrice se dit «gênée» de mentionner qu’on compte dans les rangs à peine plus de deux orthopédagogues et un conseiller d’orientation – font partie des projets que l’UQO désire concrétiser si une enveloppe budgétaire lui est allouée. Dans le réseau UQ, spécifie-t-elle, l’UQO a le ratio le plus élevé d’étudiants par professionnel.

«Nos équipes en ont plein d’idées, ce n’est pas ça qui manque, c’est le personnel et les moyens financiers», lance-t-elle.

Dans un contexte frontalier et alors que l’Université d’Ottawa a reçu une enveloppe de 35 millions de dollars du fédéral et de l’Ontario pour appuyer ses programmes en français l’hiver dernier, Murielle Laberge estime que l’UQO se doit à titre de «seule université entièrement francophone de la région» de rester debout puis de défendre et promouvoir la langue de Molière.

La rectrice Laberge affirme que jusqu'ici, Québec et le ministre responsable de la région, Mathieu Lacombe, ont somme toutes bien répondu aux appels de l'UQO, si bien qu'elle est confiante que ce nouveau message sera entendu.

Précisant être apolitique, la rectrice Laberge se dit «extrêmement confiante» que le gouvernement Legault entendra cet appel à l’aide de l’UQO et de ses institutions soeurs, même si elle ne présume de rien. Depuis 2020, quand la pandémie a éclaté et qu’elle venait tout juste d’entrer en poste, Québec a toujours su être au rendez-vous pour la région et l’enseignement supérieur, précise-t-elle, estimant que l’Outaouais est désormais dans le radar.

«Je sens réellement leur appui, je sens réellement qu’ils font une différence. En juin dernier, quand on a fait l’annonce du campus unifié, ça faisait des années et des années qu’on (en parlait), qu’il y avait eu de l’argent pour faire des études, mais là c’est vraiment l’annonce à l’effet qu’il y avait de l’argent pour le projet, qu’on allait de l’avant. Toute l’année, ça s’est concrétisé, les équipes du MEES et de la Société québécoise des infrastructures ont travaillé pour préparer le dossier. Ça chemine très bien, je suis encouragée», dit-elle.

Si tout se déroule comme anticipé, la prochaine étape cruciale dans le projet du campus unifié sur le boulevard Alexandre-Taché sera le dépôt du dossier d’opportunité au Conseil des ministres d’ici décembre. Quant à l’échéancier pour une concrétisation du projet en 2028, il tient toujours, assure la rectrice de l’UQO.



Quelques chiffres tirés du mémoire déposé par l’UQ

- 29% des Québécois francophones de 25-34 ans détiennent un diplôme universitaire, comparativement à 38 % pour les Anglo-Québécois (Fortin, 2021)

- L’Outaouais est au 4e rang des régions de la province pour le taux de diplomation universitaire (35,6%), derrière Montréal (55.6%), Capitale-Nationale (37,6%) et Laval (37%); les régions de la Gaspésie-Îles-de-la-Madeleine, de la Cote-Nord, du Nord-du-Québec et de l’Abitibi-Témiscamingue sont à l’autre bout du spectre (entre 16,5% et 20,3%)

- 44 % des étudiants du réseau de l’UQ suivent leurs cours surtout le soir, la fin de semaine ou en formation à distance compte tenu de leur situation. Cette proportion grimpe à 62 % pour les personnes étudiant dans les programmes de type programme court, certificat et DESS (ICOPE, 2022)

- En 2021, le taux de diplomation au baccalauréat six ans après l’inscription (cohortes 2015 à temps plein) était de 75% pour l’UQ, comparativement à 81% pour la moyenne des autres universités (MEES, 2021)

- Pour le réseau de l’UQ, 21% des revenus du fonds de fonctionnement proviennent de la population étudiante (droits de scolarité et autres frais), contre une proportion moyenne de 30% pour les universités hors UQ

- Chaque dollar investi par le gouvernement dans le réseau de l’UQ génèrerait 4,30 $ dans l’économie québécoise, si bien qu’un réinvestissement de 100 millions de dollars supplémentaires récurrent aurait le potentiel de générer des retombées annuelles avoisinant les 430 millions dans l’ensemble de la province

- Les revenus générés par les droits de scolarité des étudiants étrangers déréglementés montrent qu’ils profitent davantage aux universités anglophones qui génèrent 70% de ces revenus, soit 277,5 millions des 398 millions; l’UQ génère 49 millions (3,9 millions pour l’UQO, une hausse de 8% en deux ans).