Au Centre de services scolaire des Draveurs (CSSD), par exemple, 255 employés sont en congé d’invalidité (43% sont des enseignants), tandis que 38 sont en congé sans solde. De plus, l’équivalent de 1604 jours avaient été cumulés en congés de maladie cette année en date de la fin mars. Au CSS des Portages-de-l’Outaouais, on dénombre au cumul 198 congés d’invalidité, de maladie ou sans solde, alors qu’on en cumule 73 au CSS au Coeur-des-Vallées.
Sur la rive ontarienne, 134 employés sont dans cette situation au Conseil des écoles catholiques du Centre-Est (CECCE), alors que le Conseil des écoles publiques de l’Est de l’Ontario (CEPEO) n’a pas fait la distinction entre le type de congés et parle de 282 congés autorisés.
Tous ces chiffres ne tiennent pas compte des congés de maternité ou parentaux – on en dénombre plus de 320 uniquement en Outaouais.
Aussi frappantes peuvent sembler ces données à première vue, elles ne sont pas une énorme surprise lorsqu’on les évalue froidement, estime le directeur des ressources humaines du CSSD, Pierre Girard.
«Il y a des facteurs externes pour lesquels on n’a aucun contrôle, qu’on ne mesure pas. Ça peut être une problématique d’ordre familial, une jambe cassée, une maladie. Des fois, c’est relié au milieu (de travail), des fois c’est l’externe. Quand on compare les chiffres avec les autres années, on est dans les mêmes eaux, on est à peu près dans les taux auxquels une organisation de notre taille peut s’attendre, considérant les imprévus et impondérables dans une vie», explique-t-il.
Cela n’empêche pas de vouloir s’améliorer pour que l’absentéisme soit au niveau le plus bas possible, précise le gestionnaire.
«La loi a changé récemment et chaque organisation a l’obligation de mettre en place un comité santé et sécurité. On a encore quelques années pour s’y arrimer, mais (au CSSD) on a mis en place des comités, on travaille en collaboration avec les syndicats pour voir quelles sont les actions à prendre rapidement pour que notre monde soit en sécurité, mais aussi avoir des discussions sur ce qui va satisfaire l’ensemble des gens sur trois axes: tout ce qui est en lien avec la violence, la santé mentale et l’équipement de protection individuelle», soutient-il.
Pour faire en sorte de bien soutenir le personnel et cibler «ce qu’on peut faire de plus pour que tout aille bien», l’organisation a notamment mis sur pied l’an dernier un comité formé de deux représentants nommés par les syndicats (enseignants et soutien) dont la mission sera d’inspecter les milieux et de faire des recommandations à l’employeur.
«C’est une courroie de transmission», décrit-il.
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Le faible nombre de finissants universitaires crée aussi une pression sur le réseau, précise M. Girard, qui croit que la nouvelle formation accélérée offerte dès cet automne par l’Université TÉLUQ pour former le personnel enseignant non légalement qualifié au primaire en vue qu’ils obtiennent un brevet d’enseignement permettra de donner du souffle au milieu.
Une vingtaine de personnes ont levé la main jusqu’ici au sein du CSSD.
«Ce cursus-là devient vraiment intéressant, ça permet de former les gens qui ont un intérêt, on va avoir des gains à long terme avec des gens formés et expérimentés. On espère que ce genre d’initiative va venir au secondaire», commente-t-il.
Pierre Girard espère malgré tout que le nombre de joueurs manquants dans le réseau ne soit pas en hausse constante dans le futur.
«On espère que ça n’empire pas, les manoeuvres qu’on fait sont pour aider à résorber la situation, mais il ne faut pas se leurrer, la pénurie est là, ce sera jusqu’en 2031 et on est en plein dedans», dit-il, précisant que le travail de collaboration est la clé et qu’on doit éviter «de travailler chacun dans son coin».
Pour le Syndicat de l’enseignement de l’Outaouais, qui répète sur toutes les tribunes que la lourdeur de la tâche s’est amplifiée depuis quelques années, ces chiffres sont à interpréter de différentes façons.
«Je ne pourrais pas dire si cela a augmenté, par contre il est clair, dans le cas des enseignants, qu’on est dans une profession à prédominance féminine. Alors c’est sûr qu’en partant, il y a tout le volet des congés parentaux et de maternité, qui sont souvent pris par les femmes. Comparativement à d’autres professions, on en a sûrement plus. L’autre chose aussi, c’est qu’on le veuille ou non, il y a encore un écart entre hommes et femmes par rapport à tout ce qui touche l’équité au niveau des tâches ménagères et au niveau de la charge mentale, alors si tu ajoutes à la charge mentale au travail tout ce qui se passe en éducation aujourd’hui en plus de la maison, on a plus de chances d’avoir des profs qui se retrouvent en difficulté, en détresse psychologique, qui s’absentent à cause de ça», lance la présidente Nathalie Gauthier.
Celle-ci affirme que les conditions de travail pèsent un certain poids dans la balance des causes des absences prolongées.
«J’ai toujours les mêmes chiffres qui me reviennent en tête: 25 à 30% des enseignants qualifiés, qui ont fait un BAC de quatre ans et qui ont fait des stages non rémunérés, quittent l’emploi avant cinq ans. Ces enseignants-là, s’ils ont quitté, c’est sûr que ce ne sont pas des caprices, c’est vraiment qu’ils sont au bout du rouleau, Alors si on donnait des conditions intéressantes, pour garder ce monde-là dans le milieu, on viendrait régler une bonne partie de la pénurie. Le gros du problème se retrouve là», affirme-t-elle.
À bout de souffle
Mme Gauthier estime qu’il est ardu de statuer avec certitude si le nombre d’enseignants qui prennent des congés d’invalidité parce qu’ils ont besoin d’une pause, sont à bout de souffle, est en croissance.
«C’est difficile à dire, car certains font du présentéisme (réduction de la performance d’un employé, présent au travail, en raison d’un problème de santé). Certains ne sont plus capables, à bout, mais se disent: oh, avec le coût de la vie, on est de paie en paie, je ne suis pas capable, alors je vais endurer. Sauf que ça fait encore plus mal quand ils en viennent à prendre une pause parce que c’est un arrêt de travail forcé», explique-t-elle.
Le syndicat précise par ailleurs que les congés sabbatiques à traitement différé, option privilégiée par certains pour prendre une pause, sont plus fréquemment refusés en raison de la pénurie de main-d’œuvre. Plusieurs optent pour les congés sans solde partiels.
«On est devant un cercle vicieux, car les enseignants qui auraient besoin de ça pour préserver leur santé, on leur accorde de moins en moins car on a personne pour les remplacer, c’est une roue qui tourne et ça devient éreintant», dit-elle.
L’Association des enseignantes et enseignants franco-ontariens (AEFO) n’a pas souhaité commenter directement le sujet en raison des négociations en cours pour le renouvellement des conventions collectives. Elle précise que dans un contexte socio-économique postpandémique où les travailleurs de l’éducation doivent s’adapter à des conditions d’apprentissage en constante évolution et où la pénurie de main d’œuvre francophone et qualifiée continue à surcharger de travail du personnel déjà épuisé, il est essentiel que le gouvernement s’attarde aux vrais enjeux, comme l’ajout de personnel, de ressources et de réels investissements pour maintenir la qualité du système d’éducation en langue française.
Pour Pierre Provençal, premier vice-président du Syndicat du soutien scolaire de l’Outaouais (SSSO-CSQ), qui rappelle que les congés de longue durée représentent un coût important compte tenu que l’employeur est l’assureur pour les deux premières années, il est clair que la pénurie mais aussi la pression sociale, le coût de la vie et la charge de travail sont des agents stresseurs.
«Le citron, on arrive au bout, il n’y a plus de jus. En 2010, je le disais déjà, on le savait déjà qu’il y avait une pénurie de main-d’oeuvre. Les gens disent que les nouvelles technologies facilitent le travail sauf que la reddition de comptes est 100 fois plus (importante). On a facilité le travail mais on en demande 10, 20, 30 fois plus», plaide-t-il.
À son avis, le nombre grandissant de gens non qualifiés, malgré toute la volonté et l’empathie de ces derniers, ajoute une couche de stress au personnel qualifié puisque sans expérience, ils n’arrivent souvent «qu’à étouffer les feux» au quotidien avec les élèves et non les éteindre complètement.
Il dit fonder de l’espoir quant aux nouvelles dispositions législatives de la loi sur la santé et la sécurité au travail (le régime intérimaire), qui permettra à son avis de mieux documenter les causes des invalidités.
«Ça ne règlera pas tout, mais on en verra les bienfaits sur une plus longue période», dit-il.