Un appel d’offres imprécis fait perdre près de 500 000$ à la Ville de Gatineau

La Cour supérieure a déterminé que la Ville de Gatineau n'a pas été assez précise dans ses documents d'appel d'offres pour un contrat visant l'achat de camions Mack.

La Ville de Gatineau vient d’échouer dans sa tentative de récupérer des dépenses de 471 000$ faites pour résorber un problème de vibrations causant des douleurs aux chauffeurs de camions à benne acquis il y a quelques années. La Cour supérieure a statué que les autorités municipales n’ont pas été assez précises, dans les documents d’appel d’offres, quant à l’utilisation qui serait faite des véhicules.


L’histoire remonte à l’été 2014, quand la Ville de Gatineau a procédé à l’acquisition de sept camions de dix roues – des Mack 2015 de Volvo – auprès de l’entreprise Surgenor. Le tout s’est fait par le biais d’un appel d’offres.

Les sept camions ont été reçus et intégrés à la flotte municipale à la fin du mois de janvier 2015. «Peu de temps après la mise en service des camions Mack, des chauffeurs se plaignent d’un important inconfort lors de la conduite; ils affirment ressentir un niveau élevé de vibrations ainsi que des chocs et des contrecoups lorsque la chaussée est accidentée», lit-on dans une décision rendue la semaine dernière par la juge Marie-Josée Bédard.

Implication de la CNESST

Les vibrations étaient à ce point incommodantes que certains chauffeurs ont rempli des formulaires d’accidents de travail. À l’hiver 2016, le syndicat des cols bleus a porté plainte auprès de la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité au travail (CNESST).

Un rapport d’une inspectrice de la CNESST a alors confirmé que plusieurs travailleurs ressentaient des «douleurs au dos et à d’autres parties du corps» lorsqu’ils conduisaient des Mack 2015, tout en demandant à la Ville de corriger la situation.

Dès la réception de ce rapport, la Ville de Gatineau a retiré les sept camions de sa flotte. Il a alors fallu maintenir en état des camions qui avaient atteint leur fin de vie utile.

Diverses expertises ont montré que les vibrations n’étaient pas problématiques lorsque les camions étaient équipés des pelles servant au déneigement. Les problèmes survenaient plutôt lorsque les pelles étaient retirées, comme c’était le cas en période estivale pour du transport en vrac. Les vibrations étaient également plus intenses sur des routes endommagées.

De nouvelles suspensions

La recherche de solutions a mené à la Ville à se tourner vers une entreprise de Baie-Saint-Paul pour obtenir «des suspensions pneumatiques dont la pression d’air s’ajuste automatiquement selon la charge». Après un essai concluant pour l’un des camions Mack 2015, la Ville a procédé au remplacement des suspensions sur les six autres.

«Les chauffeurs confirment [alors] une amélioration significative et satisfaisante», lit-on dans le jugement de la Cour supérieure. Or, le nouveau système de suspension avant est «complètement différent de celui exigé par la Ville dans les documents d’appel d’offres» visant l’achat des camions, poursuit le jugement.

Poursuite

La Ville estimait que les camions étaient «affectés d’un vice de qualité» qui les rendait «impropres à l’usage auquel ils sont destinés». Une poursuite en dommages-intérêts a ainsi été intentée contre Volvo et Surgenor, dans l’espoir de récupérer 471 406$.

  • 301 781$ pour des réparations sur de vieux camions qui devaient être remplacés par les camions MACK
  • 96 832$ pour le coût de remplacement des suspensions des camions Mack
  • 40 175$ pour le temps qu’ont passé des employés de la Ville à chercher des solutions
  • 18 784$ pour le coût d’«études vibratoires»
  • 13 834$ pour le coût des immatriculations des camions qui auraient dû être retirés de la flotte

La Ville a tenté de faire valoir que la suspension des camions était trop rigide et que les soumissionnaires auraient dû savoir que les véhicules ne serviraient pas uniquement aux opérations de déneigement.

Dans sa décision, la juge Bédard rappelle que «la Ville a elle-même préparé les documents d’appel d’offres et dicté les exigences prévues dans son devis». Le jugement note qu’à l’exception d’une mention pour une «boîte quatre saisons», les documents de l’appel d’offres ne contenaient «aucune mention» spécifiant que les camions seraient utilisés pour autre chose que des opérations de déneigement.

«La ville avait la responsabilité de définir ses besoins et elle a elle-même dicté ses exigences techniques, souligne la juge. Avec égards pour l’opinion de la Ville, on ne peut reprocher aux représentants de Volvo de ne pas avoir soulevé d’éventuelles problématiques concernant le fonctionnement des camions dans des circonstances autres que lors d’opérations de déneigement. […] Ainsi, il existe un écart entre l’usage que la Ville entendait réellement faire des camions et l’usage qu’elle a déclaré aux soumissionnaires dans ses documents d’appel d’offres.»

«La Ville doit subir les conséquences de son choix»

La juge a donc conclu que les Mack 2015 respectaient «en tous points les caractéristiques essentielles imposées dans les documents d’appel d’offres» et que les vibrations n’étaient pas excessives lorsque les véhicules étaient munis de l’équipement de déneigement.

«On peut se demander si la Ville a bien évalué ses besoins et si elle n’a pas elle-même limité la polyvalence des camions en exigeant une suspension aussi rigide, mais, le cas échéant, la garantie de qualité n’est pas en cause et la Ville doit subir les conséquences de son choix», poursuit la décision.

La Ville de Gatineau n’ayant pas été en mesure de prouver l’existence d’un vice de qualité dans les camions, sa poursuite a été rejetée.

La Ville a confirmé avoir été informée du jugement la semaine dernière. «La Ville analyse présentement la décision, a-t-on ajouté. Ainsi, aucun commentaire ne sera émis pour le moment.»