Voie de passage serrée pour le budget à Gatineau

La mairesse de Gatineau, France Bélisle, reproche régulièrement aux médias de dépeindre une ambiance trop négative au conseil municipal. Vendredi, les éclats de rire étaient nombreux à la Maison du citoyen, alors que les élus mettaient la dernière touche au «difficile» budget 2024.

ANALYSE / La mairesse de Gatineau, France Bélisle, critique régulièrement les médias locaux qui, selon elle, ont tendance à dépeindre négativement l’ambiance au conseil municipal. Elle l’a de nouveau fait, vendredi, au terme d’une cinquième journée d’étude budgétaire qui s’est déroulée dans une bonne humeur manifeste à la Maison du citoyen. «On se croirait presque dans un théâtre d’été tellement on rigole», a lancé une conseillère lors d’une pause biologique décrétée par le président du conseil entre deux décisions finales en milieu d’après-midi.


L’ambiance bon enfant probablement amplifiée par une bonne dose de fatigue tranchait toutefois avec la tension, parfois vive, des derniers jours. Cela n’a pas empêché les élus d’abattre un travail sérieux pour trouver une voie de passage à ce budget 2024 fortement teinté par un contexte inflationniste difficile et l’explosion des valeurs au nouveau rôle d’évaluation. La «capacité de payer des citoyens» est demeurée en filigrane des débats toute la semaine. La formule revenait tellement souvent dans la bouche de la mairesse que le conseiller Steven Boivin a affirmé qu’il avait l’impression qu’il s’agissait plus d’un exercice de relations publiques qu’autre chose de la part de l’administration Bélisle.

Le président du comité exécutif, Daniel Champagne, a cependant démontré une fermeté à vouloir contenir la hausse de la taxe foncière à 2,9% dès les premiers instants de l’étude budgétaire, lundi. Son intransigeance à vouloir plafonner ainsi les nouveaux revenus fonciers de la Ville à 22 millions de dollars pour 2024 s’est butée à des enjeux importants tout au long de la semaine.

Des nombreux travaux de pavage seront reportés à plus tard.

Les paramètres financiers défendus par l’administration Bélisle forçaient le conseil à repousser, voire à faire le deuil de nombreux travaux de pavage aux quatre coins de la Ville. La réponse municipale face à la problématique de l’eau jaune qui touche des milliers de Gatinois s’en trouvait aussi affaiblie. Des engagements financiers pris en juin dernier pour une amélioration du déneigement des trottoirs se retrouvaient à risque. Alors qu’ils sont déjà submergés par un déficit d’entretien des infrastructures de 1,8 milliard de dollars, la volonté de respecter la capacité de payer des citoyens forçait les élus à repousser pour plus de 200 millions de travaux d’entretien.

Les conseillers Edmond Leclerc, Steven Boivin et Mike Duggan s’en sont particulièrement inquiétés toute la semaine, ouvrant même la porte à transgresser le mot d’ordre du comité exécutif quant à la hausse de taxes s’il le fallait. La conseillère d’Action Gatineau, Tiffany-Lee Norris Parent est pour sa part revenue régulièrement à la charge sur la nécessité d’agir plus vite et plus intensément pour lutter contre la problématique de l’eau jaune qui touche son quartier, Touraine, mais aussi de nombreux Gatinois aux quatre coins de la Ville. «De l’eau claire, ce n’est pas un luxe en 2023», a-t-elle lancé en début de semaine.

«Sale boulot»

Ne trouvant finalement pas l’espace nécessaire dans la proposition budgétaire pour éviter de continuer de creuser le déficit dans l’entretien des routes, Mike Duggan a proposé, vendredi, une hausse de taxes de 3,4% pour 2024. «Il fallait quelqu’un pour faire le sale boulot», a-t-il lancé. Seuls MM Leclerc et Boivin l’ont appuyé. Les huit élus d’Action Gatineau sont demeurés fidèles à leur volonté énoncée dès le début de la semaine de respecter la hausse proposée par le comité exécutif. Ils se sont donc opposés à la proposition de M. Duggan.

Le conseiller municipal, Mike Duggan.

C’est une autre taxe, une mesure d’écofiscalité, qui a probablement sauvé le budget de l’administration Bélisle. Le conseil a décidé de commencer à progressivement taxer les stationnements commerciaux et des édifices à bureaux du centre-ville dès l’an prochain. La mesure qui était dans les cartons de la Ville depuis 2018 rapportera environ 400 000 dollars en 2024. Les élus ont toutefois une volonté claire d’étendre cette taxe à l’ensemble des stationnements de la Ville dès 2025. Une analyse doit être réalisée pour déterminer avec précision quels types de stationnements seront touchés, et avec quelle vigueur, mais cette nouvelle taxe devrait rapporter au moins 3,3 millions de dollars par année.

Comme proposé par Mme Norris Parent et adopté à l’arraché par une majorité du conseil [11 pour et 9 contre], les revenus de cette taxe seront directement investis dans les travaux de pavage et le chantier de l’eau jaune chaque année jusqu’en 2028. Une autre somme de 13 millions rescapée de la rationalisation de quelque 200 millions dans l’enveloppe pour le maintien des infrastructures permettra aussi de financer d’autres travaux de pavage, ainsi que l’achat de 15 chenillettes pour le déneigement des trottoirs. La conseillère Caroline Murray y tenait. La nouvelle machinerie n’arrivera toutefois pas avant deux ans.

Lettre à la poste et avalanche de courriels

La hausse de 3% pour les trois prochaines années du tarif de camps de jour est passée comme une lettre à la poste. Le concept des études d’opportunité proposé par la haute direction de la Ville pour une dizaine d’«infrastructures soleil» aussi. Les fonctionnaires approfondiront sous peu plusieurs projets d’infrastructures sportives et récréatives afin de permettre aux élus d’établir de véritable priorité en la matière.

La Ville de Gatineau va abolir les frais de retards en bibliothèque dès janvier 2024.

Même l’abolition des frais de retard en bibliothèque, dont la proposition a provoqué un débat rangé plus tôt dans la semaine, a finalement été adoptée à l’unanimité par le conseil. Certains élus réfractaires ont avoué avoir reçu plusieurs courriels de citoyens dans les derniers jours pour tenter de les convaincre de devenir la 637e ville au Québec à emboîter le pas à l’abolition des frais de retard.

Suspense

Le chef d’Action Gatineau, Steve Moran, a admis que sa formation politique était prête à voter contre le budget 2024 en début de semaine. La situation a toutefois suffisamment évolué au courant de la semaine pour faire tergiverser ses collègues. Ces derniers se sont d’ailleurs abstenus de dévoiler leurs intentions en prévision du vote officiel sur le budget qui aura lieu au début du mois de décembre. Le chef d’Action Gatineau fonde un certain espoir dans le projet de loi 39 qui accorderait de nouveaux pouvoirs fiscaux aux villes pour bonifier le budget.

«C’est comme ça depuis qu’on est là, a noté Mme Bélisle. C’est la troisième étude du budget, c’est la troisième fois qu’ils s’abstiennent rendu au vendredi. […] Ce n’est pas un jeu de faire durer un suspense pour toute une équipe administrative qui attend de se mettre en marche. J’espère qu’ils ne feront pas durer le jeu trop longtemps.»

Les conseillers municipaux indépendants, Edmond Leclerc et Steven Boivin.

Les conseillers Boivin, Leclerc et Duggan ont aussi souhaité garder leur jeu caché encore un peu. Le budget 2024 est selon eux encore perfectible. «Selon moi, le travail n’est pas terminé, a affirmé M. Leclerc. Je pense qu’on peut encore se donner une petite marge de manœuvre. Il manque quelque chose dans ce budget et je vais continuer de travailler pour aller le chercher. Ce n’est pas irréconciliable. Je cherche le coussin supplémentaire pour éviter de maintenir un retard grandissant dans l’entretien des infrastructures. Il reste quelque chose à aller chercher pour que je signe ce budget.»

Les prochaines semaines seront donc à suivre à Gatineau. Le troisième budget de l’administration Bélisle est de nouveau entre les mains d’Action Gatineau et des conseillers indépendants Steven Boivin et Edmond Leclerc.