De la fierté dans le macaroni au jus de tomate

La mairesse de Gatineau France Bélisle a frappé un grand coup lors des assises de l’UMQ.

ANALYSE / Les Gatinois apprennent à la connaître depuis maintenant deux ans. Dans les dernières semaines, c’est tout le monde municipal qui l’a découverte, voire tout le Québec. «Avant d’être la mairesse de Gatineau, je suis France, à la mairie, et je n’ai pas le goût de négocier ça», a lancé France Bélisle aux quelque 400 participants réunis à Québec, il y a une semaine, pour l’important sommet sur l’itinérance


Ses propos venaient en quelque sorte boucler la boucle d’une semaine de présence médiatique particulière pour une ou un politicien municipal de la région au niveau national. «La dernière semaine n’a pas été un tourbillon médiatique, mais un tsunami médiatique et notre collègue France y est pour quelque chose et on la remercie d’avoir été d’une efficacité hors du commun», a d’ailleurs déclaré Martin Damphousse, président de l’Union des municipalités du Québec (UMQ), sous les applaudissements nourris d’élus municipaux de partout en province.

La déclaration de Mme Bélisle sur cette femme itinérante contrainte d’accoucher dans un boisé, à Gatineau, et sa sortie en règle contre le ministre responsable des Services sociaux Lionel Carmant qui a suivi, ont propulsé la mairesse de Gatineau au devant de la scène à un moment où le Québec n’avait probablement jamais discuté aussi intensément d’itinérance dans son histoire.

L’ex-maire Maxime Pedneaud-Jobin parlait souvent de l’importance d’avoir une «voix forte» à Québec pour défendre les intérêts de Gatineau. France Bélisle a une approche résolument différente de son prédécesseur, mais cela n’a pas empêché sa voix de porter. Tellement que le ministre Carmant est sorti du caucus de la Coalition avenir Québec (CAQ) qui se tenait à Jonquière pour lui suggérer de baisser le ton.

Il n'est pas surprenant que l’itinérance et l’habitation soient au centre d’une bonne partie de l'action politique de la mairesse Bélisle jusqu’ici.

Le style revendicateur et parfois accusateur de la mairesse en matière d’itinérance et d’habitation n’est probablement pas appelé à changer de sitôt, surtout que dans le débat sous-jacent des juridictions, les villes ont le haut du pavé. France Bélisle a ces deux sujets dans la peau. Elle en a d’ailleurs fait la démonstration en tentant de ravaler beaucoup d’émotions à la fin de son discours devant ses homologues à Québec.

«Je viens d’une famille qui a vécu des difficultés financières importantes à certaines époques, a expliqué la mairesse Bélisle, du haut de la tribune du sommet sur l’itinérance. Mon père était souvent au chômage et ma mère travaillait à temps partiel chez Zellers. On a souvent mangé du macaroni jus de tomate. Je suis fière aujourd’hui de porter les valeurs inculquées par mes parents. Je sais ce que je pourrais dire pour ne pas faire les nouvelles, que je pourrais avoir la langue de bois et qu’être une cassette serait moins difficile, mais je n’ai pas choisi de faire de la politique comme ça. Tout ce que je peux faire pour porter la voix de ceux qui n’en ont pas, je vais le faire et le dire en toute humilité.»

Pas surprenant que l’itinérance et l’habitation soient au centre d’une bonne partie de son action politique jusqu’ici. C’est d’ailleurs devenu les deux priorités clairement énoncées de son administration. L’avenir dira si la façon dont France Bélisle aborde ces enjeux avec ses partenaires est la bonne. Le conseil municipal est pour l’instant rangé serré derrière elle. En autorisant des dépenses importantes complètement hors juridiction comme les cinq millions de dollars pour construire une halte-chaleur permanente dans le centre-ville, le conseil lui donne tous les outils lui permettant de maintenir la pression sur ses vis-à-vis à Québec que sont évidemment le ministre Carmant, mais aussi la ministre de l’Habitation, France Élaine-Duranceau, et par la bande le ministre responsable de l’Outaouais, Mathieu Lacombe.

Vent de face, vent de dos

Quelques voix, discordantes et un peu plus ténues, ont invité la mairesse, la semaine dernière, à ne pas bouder les plaisirs de la diplomatie afin de s’assurer de conserver des liens cordiaux avec le caucus caquiste. Tramway, hôpital régional et palais des congrès, voilà de grands projets qui nécessiteront des canaux de communications bien ouverts dans les prochaines années, ont-ils rappelé.

D’entendre sur tous les réseaux de télévision et de radio la mairesse Bélisle pratiquement remettre toute la faute de la crise de l’itinérance sur les épaules de leur collègue Carmant a sans doute fait vibrer la fibre de la solidarité ministérielle de certains à Québec. La machine est lente à réagir, certes, et Québec doit prendre acte de l’anxiété provoquée par l’itinérance dans bien des hôtels de ville de la province, mais le ministre Carmant a rappelé que les sources de la crise actuelle sont multiples et complexes, et qu’elles ne relèvent pas toutes de son bureau.

Toute cette dose d’attention médiatique, d’impact national et de tapes dans le dos de la part de ses pairs a quelque peu galvanisé la mairesse Bélisle en cette rentrée politique. Les derniers mois ont été difficiles pour son leadership à la Maison du citoyen, alors que c’est la plupart du temps Action Gatineau qui occupait la position de force et qui semblait diriger les destinées du conseil.

Il en faut cependant parfois bien peu pour faire tourner le vent en politique. Un matin Éole peut souffler de face et le lendemain de dos. La mairesse Bélisle n’a d’ailleurs pas été en mesure de dissimuler un sourire en coin, mardi, en voyant les élus d’Action Gatineau médusés face à leur défaite surprise lors du vote devant officialiser l’entrée en vigueur du concept de colistier. Le parti croyait que c’était dans la poche et rêvait déjà aux effets de ce nouvel argument de vente dans sa recherche d’un chef pour l’élection de 2025. Il leur faudra trouver autre chose.

Un œil au provincial?

France Bélisle continue de son côté à tester la température de l’eau quant à son avenir politique et sa capacité à réunir autour de sa personnalité une équipe de candidats capables de barrer la route aux aspirations d’Action Gatineau en 2025. Elle a déjà confirmé qu’elle ne sera pas de retour comme candidate indépendante à la mairie. Ce sera au sein d’une équipe dûment autorisée, capable de récolter du financement électoral et susceptible de représenter un bloc politique à la table du conseil ou pas du tout.

Des observateurs de la scène politique gatinoise la voient déjà tourner son regard en direction de Québec, où des élections provinciales auront lieu en 2026. Gageons que sa prestation des dernières semaines aura à tout le moins attiré l’attention de plusieurs dans la Vieille Capitale. Est-ce que les libéraux de la région verraient en elle la bonne personne pour reprendre la circonscription de Hull, un véritable château-fort pendant des générations qui est tombé aux mains de la CAQ l’an passé? France Bélisle n’a jamais évoqué une telle possibilité. L’échéance est de toute façon encore très loin.

Trois ans, en politique, c’est une éternité. Et si les derniers mois sont garants du reste de l’année, l’attention de la mairesse au cours des prochaines semaines sera certainement plus portée sur l’adoption du budget 2024. Tout ne tourne pas autour de l’itinérance et de l’habitation. La partie est loin d’être jouée d’avance.