Ce sont Christian Messier, professeur à l’Institut des sciences de la forêt tempérée (ISFORT) à l’Université du Québec en Outaouais (UQO), et Chantale Doucet, chercheuse en sciences sociales avec Projets Territoires, qui ont analysé les bouleversements naturels et les impacts de l’activité humaine sur cette forêt lors des trois cents dernières années. Dans la MRC des Collines-de-l’Outaouais, qui regroupe les municipalités de Cantley, Chelsea, L’Ange-Gardien, La Pêche, Pontiac et Val-des-Monts, la forêt recouvre près de 75% du territoire et 45,9% de la superficie de celle-ci est âgée de 80 ans et plus.
Mme Doucet, qui a agi comme consultante pour le projet, a effectué une cartographie préliminaire du couvert forestier alors que le professeur Messier a validé les données recueillies par cette dernière.
«Nous sommes à un point tournant dans l’évolution de nos forêts. C’est important de démontrer les impacts des changements climatiques et ce qui se passe dans nos forêts qui sont vulnérables. Le partage des connaissances scientifiques va aider les gens à visualiser», explique Shelley Crabtree, directrice générale du Campus environnemental de l’Outaouais. Ce dernier chapeaute le projet d’inventaire, lequel a pu être réalisé avec le soutien du gouvernement provincial et de la MRC des Collines-de-l’Outaouais. Une enveloppe de 50 000$ a été injectée pour la réalisation de l’étude.
L’art et la science
Pour tenter d’attirer une oreille plus attentive de la part du public, le Campus environnemental de l’Outaouais va allier la science et l’art dans sa proposition de transfert de connaissances, note Mme Crabtree. Douze ateliers artistiques seront ouverts aux citoyens en octobre et novembre. La première activité aura lieu le 7 octobre au Centre Wakefield, à La Pêche.
Lors de ces ateliers, le fruit de la recherche sera transmis au grand public. Les personnes désirant assister aux séances seront invitées à partager leur point de vue sur les forêts communautaires et à créer des images, en compagnie de l’artiste de la région CJ Fleury. Les œuvres d’art visuel et les résultats de la recherche feront l’objet d’une exposition itinérante dans la MRC à compter d’avril 2024.
«On pense qu’en mariant la recherche et une expérience artistique et collective, on peut susciter une meilleure réaction face à l’information présentée. On a fait 12 ateliers d’éducation forestière entre octobre 2022 et mai 2023 et à partir de notre expérience, on a constaté que quand les gens sont invités à interagir, on a eu un très bon succès», note Mme Crabtree, qui rappelle qu’Éco Écho a comme mission de mettre en évidence «le pouvoir de l’infrastructure verte».
Une forêt en transformation
Les données récoltées dans le cadre de cette la cartographie préliminaire ont permis d’identifier de nombreux changements survenus dans la forêt de la MRC des Collines-de-l’Outaouais, principalement dans le dernier siècle, fait remarquer le professeur Christian Messier. S’il y a eu plusieurs changements au fil des décennies en termes de pratiques forestières et de réseaux de conservation, les changements climatiques et globaux (insectes et maladies) ont aussi laissé leur empreinte sur cette importante forêt.
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Par exemple, fait remarquer le chercheur à l’ISFORT, une hausse des superficies en eau de 1% sur le territoire a été observée. Cela est causée par la présence plus accrue du castor qui était devenue une espèce animale en voie de disparition au début du 20e siècle. Il y a également une diminution assez marquée des conifères qui a été observée.
«Les forêts ont beaucoup changé, souligne M. Messier. Il y a de plus en plus de feuillus et d’érables. Il y a plusieurs causes qui expliquent ça. Il y a de plus en plus de coupes forestières, mais il y a aussi le fait qu’avec les changements climatiques, les conditions deviennent plus favorables à la croissance des bouleaux jaunes et des érables à sucre. Les espèces qui tolèrent moins bien la sécheresse, comme le sapin, ont de plus en plus de difficulté.»
Un projet de recherche aux quatre coins du Canada
Cette cartographie préliminaire aura au final bien plus qu’un simple impact de sensibilisation sur la population locale puisqu’elle servira de base dans le cadre d’un vaste projet scientifique pan canadien, affirme M. Messier qui vient tout juste d’obtenir la confirmation d’un financement de 8 millions de dollars pour la réalisation d’une étude visant à évaluer l’état de la vulnérabilité de la forêt au pays. Ce projet, sur lequel le professeur en écologie forestière fonde beaucoup d’espoir - il en sera le titulaire principal -, aura comme objectif d’identifier des pistes de solution pour augmenter la résilience des forêts au Canada face aux changements globaux.
«Ce qu’on va faire dans les prochains mois, c’est évaluer l’état de la vulnérabilité de la forêt actuelle et comment cette vulnérabilité a-t-elle évolué dans les 100 dernières années, explique le chercheur. On va regarder la diversité des espèces que nous avons et on va évaluer si les espèces présentes vont permettre de rendre nos forêts plus résilientes face au climat prévu dans la région, mais aussi face aux insectes et aux maladies que nous attendons dans le futur.»
L’étude, financée à 70% par le fédéral via le Conseil de recherche en sciences et génie et à 30% par des partenaires privés et des organismes provinciaux, se déploiera de la Colombie-Britannique jusqu’à la Nouvelle-Écosse. Les gouvernements, les groupes environnementaux et les Premières Nations seront appelés à y collaborer. Le professeur de l’ISFORT parle d’un «projet très ambitieux».
«Ce que je veux faire, c’est plus ou moins révolutionner la pratique de la foresterie au Canada, dit-il. On veut utiliser l’évaluation de la vulnérabilité des forêts, de la diversité fonctionnelle, pour déterminer quelles espèces on devrait favoriser à la suite de la coupe forestière pour maximiser la résilience des forêts face aux changements globaux qui s’en viennent. Ça veut dire qu’on va favoriser des espèces non pas parce que l’industrie en a besoin, mais parce que ce sont des espèces mieux adaptées pour maintenir les fonctions importantes de la forêt. Ça, c’est un chambardement total parce que la loi ne permet pas ça en ce moment. La loi exige des compagnies forestières de remettre les espèces qu’elles ont coupées.»