Hydro-Québec pourrait retarder des projets résidentiels à Gatineau en raison d’un manque d’électricité

Hydro-Québec a le devoir de desservir tous les foyers québécois, c’est dans la loi. Mais que des enjeux de capacité puissent justifier des délais dans le respect de cette obligation, tel qu’évoqué devant le conseil municipal de Gatineau, mardi, par un haut dirigeant d’Hydro, est tout nouveau dans le discours public de la société d’État.

Est-ce qu’Hydro-Québec a suffisamment d’électricité pour soutenir le développement de Gatineau, même résidentiel? Au terme d’une visite de représentants de la société d’État qui s’est échelonnée sur deux jours dans les bureaux de la Ville, la question se pose. Pour l’instant, ça va, assure-t-on, mais des projets à venir pourraient être retardés afin de laisser le temps à Hydro d’augmenter sa capacité de distribution dans la région.


Hydro-Québec a le devoir de desservir tous les foyers québécois, c’est dans la loi. Mais que des enjeux de capacité puissent justifier des délais dans le respect de cette obligation, tel qu’évoqué devant le conseil municipal de Gatineau, mardi, par un haut dirigeant d’Hydro, est tout nouveau dans le discours public de la société d’État.

La présentation faite par Éric Bernier, directeur clientèles affaires et solution énergétiques chez Hydro-Québec, sur la transition énergétique et les avantages de la biénergie avait auparavant été offerte à Montréal, Québec, et dans quelques autres municipalités près de la métropole. Chaque fois, c’était en privé et à l’intention de fonctionnaires. Elle a été faite en public et devant des élus pour la première fois à Gatineau, confirme Caroline Milliard, responsable des communications pour Hydro-Québec. M. Bernier a par la suite longuement répondu aux questions des médias.

Hydro-Québec assure répondre à la demande actuelle en électricité. Mais M. Bernier ne cache pas qu’un promoteur immobilier qui présenterait aujourd’hui un projet tout électrique de plusieurs centaines d’unités pourrait «possiblement représenter un enjeu» de capacité pour la société d’État. «Ça fonctionne aujourd’hui, mais l’enjeu c’est la pression de la croissance et la pointe, a-t-il ajouté. Il faut que ce soit coordonné dans le temps. […] C’est possible qu’on dise que pour faire un tel projet on doive réaliser des travaux aux postes de distribution et à nos réseaux électriques et que ça décale un peu dans le temps.»

La centrale hydroélectrique des Rapides-Farmer

Ce n’est pas tant un manque de capacité qu’un développement qui doit être mieux coordonné, assure le haut dirigeant. «La demande vient de plusieurs clientèles et il faut s’assurer que les postes de distribution qui alimentent tous ces clients puissent bien coordonner dans le temps la demande et les travaux de développement de ces postes.»

Construire un nouveau poste de distribution afin d’augmenter la capacité de distribution sur le territoire de Gatineau pourrait prendre cinq à dix ans, a fait savoir Mathieu Boudreau, ingénieur et planificateur du réseau de transport chez Hydro-Québec. Des travaux pour augmenter la capacité des postes existants peuvent aussi s’échelonner sur plusieurs années et doivent être planifiés longtemps à l’avance. «Il faut se coordonner avec la croissance de la demande locale, a-t-il indiqué. On a déjà parfois des postes en dépassement et ça amène des problèmes dans la qualité du service.»

Avec dans ses cartons l’un des plus importants projets d’électrification des transports de la province [tramway], la Ville de Gatineau, mais aussi tous les promoteurs industriels, commerciaux et résidentiels qui convoitent la 4e ville en importance de la province doivent dès maintenant intensifier leurs relations avec Hydro-Québec pour s’assurer d’avoir de l’électricité le moment venu, insiste aujourd’hui la société d’État.

Hydro-Québec est consciente que des «investissements majeurs» en matière de transport, distribution et approvisionnement sont à faire pour soutenir la croissance. «On s’attend à ce que nos investissements doublent au cours des prochaines années», a noté l’ingénieur. C’est aussi pour cette raison qu’Hydro-Québec fait la promotion de la biénergie. L’utilisation de gaz naturel pour chauffer des immeubles produit des GES, mais donne un peu plus de temps à la société d’État pour préparer son réseau aux besoins énergétiques de demain.

APCHQ surprise

Le directeur général de l’Association des professionnels de la construction et de l’habitation du Québec (APCHQ) en Outaouais, Nicolas Brisson, a affirmé avoir été surpris des propos tenus par le directeur de la clientèle affaires d’Hydro-Québec. «Ce problème de capacité pour le résidentiel n’a jamais été porté à notre attention, a-t-il lancé. Il y a des lenteurs pour l’enfouissement des fils et le raccordement des projets, mais c’est la première fois que j’entends Hydro-Québec évoquer des enjeux de capacité pour des projets résidentiels.»

Nicolas Brisson, directeur général de l’Association des professionnels de la construction et de l’habitation du Québec en Outaouais (APCHQ)

La situation est pour le moins inquiétante, selon le directeur de l’APCHQ, sachant que la région n’échappera pas à la croissance démographique, à l’électrification des transports et au développement commercial et industriel pour encore plusieurs années. «Je crois que le premier ministre Legault doit avoir une discussion avec le président-directeur général d’Hydro-Québec, Michael Sabia, a-t-il insisté. On est en pleine crise du logement et un représentant d’Hydro vient dire à la Ville de Gatineau que des projets résidentiels pourraient être retardés parce qu’on n’a plus d’électricité. Ça devient un enjeu important qu’Hydro-Québec doit clarifier rapidement.»

Nouvelle ère, dit la mairesse

La mairesse de Gatineau, France Bélisle, a reconnu que la capacité de fournir de l’électricité à une Ville en croissance comme la sienne représente de plus en plus un défi. «On n’est plus à l’ère où on pouvait développer en présumant que l’électricité serait naturellement et rapidement disponible, a-t-elle affirmé. C’est pour ça que la collaboration avec Hydro-Québec est absolument essentielle si on veut que notre ville se développe correctement et de façon durable. On a tous la responsabilité de faire une planification plus soutenue. On ne peut plus tenir pour acquis que l’électricité sera immédiatement disponible.»

La mairesse de Gatineau, France Bélisle

Le président du comité-choc en logement, Daniel Champagne, a précisé que la question de la capacité énergétique d’Hydro-Québec n’a encore jamais été évoquée lors des discussions au sein de son comité. «Il faut continuer à faire du logement, a-t-il affirmé. S’il y a des préoccupations, il faut les régler. Ça ne peut pas devenir une question technique avec Hydro-Québec qui fasse en sorte qu’on ne pourrait pas livrer du logement sur notre territoire.»

Tramway

Éric Bernier n’avait pas tous les détails entourant l’impact d’un éventuel tramway sur la demande future en électricité à Gatineau, mais la société d’État assure avoir toute l’information pertinente en main. «L’électrification des transports est la donnée qui a le plus d’impact pour Hydro-Québec, ça change la donne, a noté M. Bernier. De manière systématique, tous les projets ont des impacts, une maison ou un tramway. Ça s’accumule à la demande sur les postes de distribution. C’est pour ça qu’on doit coordonner la croissance de manière intelligente avec tous les intervenants, la municipalité et nos clients.»

Obésité énergétique

Dans ce contexte, Hydro-Québec aime à rappeler que «le kilowattheure qu’on ne consomme pas est le kilowattheure le plus payant. En d’autres mots, la société d’État invite tout le monde à réduire sa consommation d’énergie. «On est dans une dynamique d’obésité énergétique au Québec, on ne consomme vraiment pas bien, a souligné M. Bernier. On n’est pas les meilleurs. Le consensus doit être fait sur le bâtiment efficace et la réduction de la consommation.»

Ce discours parle particulièrement à la conseillère d’Action Gatineau, Anik Des Marais, qui voit là une façon pour la Ville de Gatineau d’en faire plus en exigeant dans sa réglementation que les nouveaux bâtiments construits à Gatineau aient une meilleure efficacité énergétique. «On devrait le considérer dans chaque projet, comme on le fait pour la circulation, a-t-elle dit.. On fait des études de circulation avant d’autoriser des projets. On s’assure de la disponibilité de transport en commun. Ça devait être la même logique pour l’efficacité énergétique.»