Relance de l’usine de Thurso: Rio Tinto serait sur le coup

Selon une source digne de confiance, Rio Tinto souhaiterait également acquérir le transfert de volume de bois associé à l’usine.

Rio Tinto aurait déposé une offre d’achat pour mettre la main sur l’usine de Fortress à Thurso, en Outaouais, a appris Le Droit de source sûre. La multinationale serait l’un des deux repreneurs avec qui le gouvernement du Québec négocie présentement pour la relance des installations de la rue Victoria en vue d’une conversion vers la production de biocarbone.


Selon au moins deux sources bien au fait du dossier, Rio Tinto souhaiterait également acquérir le transfert de volume de bois associé à l’usine. Le département des communications de la multinationale n’a pas voulu commenter ces informations, mais il n’a pas nié celles-ci.

Au début du mois de mai, le ministre québécois de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie et ministre responsable du Développement économique régional, Pierre Fitzgibbon, a annoncé que le gouvernement provincial travaillait avec deux groupes d’investisseurs pour tenter d’arriver à un projet de relance pour l’usine à Thurso dont les cheminées ont cessé de fumer en octobre 2019. L’entreprise Fortress Global avait mis la clé sous la porte à l’époque en justifiant sa décision par le recul du prix de la pâte cellulosique sur le marché mondial.



Lors de son passage en Outaouais, le ministre s’est dit optimiste que le gouvernement puisse arriver à une entente avec l’un des repreneurs à temps pour la fin juin, ajoutant qu’une annonce officielle pourrait être faite au plus tard à la fin de l’été. Des investissements de plus de 100 millions de dollars, de la part de l’acheteur, seraient nécessaires pour mener à terme le projet qui serait sélectionné, a précisé M. Fitzgibbon qui a évoqué le haut volume de biomasse forestière disponible dans la région comme étant un fort incitatif pour les deux repreneurs à la table de négociations puisque c’est cette biomasse qui va servir à produire du biocarbone qui est une forme de bioénergie, a expliqué le ministre.

Pierre Fitzgibbon, ministre québécois de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie et ministre responsable du Développement économique régional.

Au cabinet de Pierre Fitzgibbon, on a confirmé dans les derniers jours que les négociations sont toujours en cours avec les deux repreneurs. Invité à réagir sur l’implication de Rio Tinto dans le processus de rachat de l’usine de Thurso, le cabinet du ministre de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie a indiqué au Droit ne pas vouloir commenter.

298 800 mètres cubes de feuillus durs en garantie

D’après les données du ministère des Ressources naturelles et des Forêts (MRNF), l’usine de Fortress, à Thurso, bénéficiait d’une garantie d’approvisionnement de 298 800 mètres cubes de feuillus durs, en provenance de l’Outaouais et des Laurentides, jusqu’au 31 mars 2023.

«Aujourd’hui, ces volumes de bois ont été mis en réserve pour un éventuel projet de relance. En attendant ce projet, la ministre des Ressources naturelles et des Forêts peut vendre ponctuellement les bois à d’autres usines, à l’extérieur de la région, afin de supporter la structure industrielle régionale», mentionne un porte-parole du ministère dans une réponse écrite.



Professeure en bioproduits forestiers à l’Institut de recherche sur les forêts à l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue (UQAT), Flavia Braghiroli parle d’une «quantité importante» de biomasse garantie pour un futur projet de relance dédié à la production de biocarbone lorsqu’on lui présente le dossier de l’usine de Thurso. «S’il n’y a pas d’approvisionnement, ce sera impossible d’avoir une entreprise», lance-t-elle.

Mme Braghiroli a oeuvré comme coordonnatrice au laboratoire du Centre technologique des résidus industriels à Rouyn-Noranda. Elle a travaillé avec un four pilote de pyrolyse rapide pour Airex Énergie, une entreprise qui se spécialise dans la fabrication de granules de biocharbon. L’équipement permettait de traiter 250 kg de biomasse à l’heure. Impossible pour la spécialiste en matériaux biosourcés carbonés de se prononcer sur la viabilité d’un potentiel projet d’usine de biocarbone à Thurso puisqu’elle ne connaît pas les technologies sur la table.

«C’est sûr que ce sera un test (l’usine de Thurso). Il faudra bien voir l’approvisionnement de cette biomasse. Peut-être qu’il faudra trouver d’autres techniques de production des arbres qui peuvent grandir plus rapidement pour pouvoir utiliser ces espèces, par exemple pour la bioénergie», souligne-t-elle en guise d’hypothèse.

«Comme une recette de gâteau»

Le procédé industriel du biocarbone ou du biochar est relativement «complexe», note la professeure de l’UQAT. Le biocarbone ou biochar s’obtient en brûlant des résidus de bois, forestiers - copeaux et sciures -et agricoles par la technique de pyrolyse lente ou rapide ou par torréfaction. «Les gaz vont former des liquides et des solides, illustre la professeure de l’UQAT. C’est comme une recette de gâteau. On va varier les types de résidus, la température, les temps dans les fours et les différents fours et on va avoir différents types de biocarbones. Ça va dépendre des caractéristiques que je veux avoir dans mon matériau en fonction des usages spécifiques.»

Un géant comme Rio Tinto, dont les opérations au Québec sont concentrées dans le secteur de l’aluminium, au Saguenay-Lac-Saint-Jean, peut certainement être intéressé à acquérir un tel site industriel, croit l’experte. L’entreprise anglo-australienne, qui exploite une mine d’ilménite à ciel ouvert au lac Tio, près de Havre‑Saint‑Pierre, dans la région de la Côte-Nord, et qui est le plus grand producteur nord-américain de ce minéral, cherche des techniques pour notamment aller séquestrer du CO2, note Mme Braghiroli. Les applications associées au biocarbone sont multiples, fait valoir la professeure.

Cette énergie renouvelable permet entre autres de remplacer les charbons venant de sources pétrochimiques. Le biocharbon a une teneur très élevée en carbone. Une fois modifié ou activé, il peut remplacer le coke ou le charbon provenant de combustibles fossiles dans les fourneaux où le minerai est fondu, détaille Mme Braghiroli.



«Avec tous les plans de réduction des émissions pour 2030 et les cibles de carboneutralité d’ici 2050, c’est sûr qu’il faudra trouver ce type d’initiative pour développer des bioénergies […] Les entreprises au Québec sont de plus en plus intéressées à produire du biochar vu l’infinité d’applications qui existe», précise la spécialiste.

Vers un aluminium vert

Ce n’est pas un secret que Rio Tinto intensifie ses efforts pour effectuer un virage énergétique. Avec Alcoa, la multinationale a lancé en 2018 Elysis, un projet «révolutionnaire» qui vise à produire un aluminium vert à 100% en éliminant les gaz à effet de serre reliés au procédé d’électrolyse du métal blanc. C’est plutôt «de l’oxygène propre et pur» qui pourrait être bientôt produit par Rio Tinto.

Le géant américain de l’électronique, Apple, a investi 13 millions de dollars, alors que Québec et Ottawa ont chacun injecté 80 millions dans le projet qui est toujours en élaboration à l’usine de l’entreprise, à Alma, au Saguenay. La commercialisation de la technologie est attendue pour 2024.

«Au Canada seulement, la technologie ELYSIS pourrait éliminer l’équivalent de près de 7 millions de tonnes métriques d’émissions de GES si elle était pleinement déployée dans les alumineries existantes du pays. Cela équivaut à retirer environ 1,8 million de véhicules de la circulation», peut-on lire sur le site web du projet.