Avec ce pouce en trop, est venu l’amertume. La colère. La furie...
Cette fille, ce fille-gars, c’est Hedwig. On va l’appeler par son prénom, dorénavant; ça va être plus facile, pour les pronoms.
Mais tout cela remonte à une autre vie. Une autre décennie. Un autre pays. Des souvenirs. C’était à Berlin, quand la ville était occupée par l’armée américaine. Sur scène, nous sommes une ou deux décennies plus tard, aux État-Unis, où Hedwig a migré avec l’élu de son cœur, son beau G.I. Des soirées berlinoises, le sergent Robertson. Qui a fini par la laisser choir.
Colère. Amertume. Souvenirs.
Aujourd’hui Hedwig est chanteuse. D’un band punk-rock baptisé The Angry Inch. Le pouce en furie, en français.
Hedwig, c’est le comédien Benoît McGinnis qui l’interprète sur les planches. Avec perruque blondasse, make-up rubis bad ass incandescent, bottines à talons hauts – et toute l’arrogante exubérance que lui confère sa féminité de rock-star scénique.
L’androgyne personnage a fini par marier Yitzhak, une drag-queen made in Zagreb, devenue la choriste du band. Hedwig et ses Pouces sont en tournée pan-québécoise, écumant une à une les scènes interlopes ou moins louches. Celle de la Maison de la culture de Gatineau, jeudi soir.
Mais Yitzhak, ici campé par une Élisabeth Gauthier Pelletier toute en voix et en provoc’, n’est époux que «du mercredi au samedi», prévient Hedwig... qui continue d’avoir les yeux plus gros que le ventre pour un autre ancien amant, Tommy Gnoses, qui fait, en toute indépendance, une belle carrière de rock-star. Hedwig est entichée au point de coller son itinéraire de tournée sur celle de Tommy. Qui se produit, «coïncidence», à deux pas.
Colère. Amertume. Jalousie.
Marquée par les riffs de Lou Reed, Iggy Pop, David Bowie, Hedwig est donc ici pour chanter. Nous sommes au concert, mais nous sommes aussi au théâtre. Hedwig a trop de souvenirs, et trop envie de connecter avec le public, pour se contenter d’un tour de chant. Alors elle partage son passé, et, de confession en confession, tonne autant qu’elle n’entonne.
Au chapitre des souvenirs, tout y passe: l’abandon du père, dès l’enfance; les émois pubères d’Hedwig; sa «résurrection» en femme, façon Lazarre; la poudre; son premier sugar daddy, Luther; le prix à payer pour partir en Amérique, «pays de la liberté»; la petite cicatrice qui, depuis, grimace au creux de son entrecuisse; et, surtout, son idylle de mobil home avec Tommy, quand le couple pouvait écouter du Witney Houston en boucle.
Ce soir, comme elle semble l’avoir fait durant toute sa vie, Hedwig ouvre son grand cœur d’artichaut toujours prêt à se laisser prendre au piège de l’amour – ah, l’Amour! – et ses jambe suivent, ces grandes jambes toujours trop promptes à s’écarter, toujours au diapason de ses battements de cœur.
Tsé, fille ou gars, appendice ou pas, Hedwig est comme tout le monde: iel cherche son autre moitié.
Au fil de son monologue impudique, Hedwig rit, pleure, met son cul en exergue et ses fantasmes en joie, jure et sacre, osant au passage quelques blagues queer et d’autres plus salaces.
Et Benoit McGinnis, dans sa robe à paillette, suit. Se donne à fond. Prend toute la scène. Toute la place.
Tour à tour icône glam-rock, diva pop enrubanée, égérie trashy-saloon portant outrageusement fourrure d’animal mort, Benoît/Hedwig séduit, cajole, chante et déchante, dans ce qui devient une lente mise à nu rock n’ roll, une mue progressive et savoureuse, où l’on finira par toucher du doigt une vérité plus intime. Exit, les costumes. Ecce homo. Voici l’être humain, sous les oripeaux.
Vociférant quand iel chante son opération «botchée», tandis que ses acolytes alignent les riffs punk décoiffants; sautillant tel un canard hilare quand les accords virent au country-rock; sensible et émouvant quand vient le moment, plus sobre, d’évoquer le spectre de Tommy.
Hedwig et Yitzhak sont flanqués de quatre musiciens: Amélie Mandeville, Marc Chartrain, Guillaume Lecompte et André Papanicolaou, qui assure la direction musicale du show. Eux aussi présents, attentifs, à l’écoute.
La traduction-adaptation québécoise – signée René Richard Cyr – de cette œuvre théatro-musicale créée par John Cameron Mitchell (et Stephen Trask, auteur-compositeur des chansons originales) est franchement réussie. La mise en scène
Et McGinnis trouve dans son rôle une seconde peau. Il sont plus fusionnels qu’Hedwig ne le sera jamais avec Tommy.
Ni tout à fait pièce de théâtre, ni tout à fait concert, Hedwig et le pouce en furie est un spectacle fluide et lumineux sur, non pas la quête d’amour, mais l’acceptation. Un spectacle du haut duquel se dresse un Benoît McGinnis au sommet de son art.
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Colère, amertume, jalousie?
Pas tant, finalement.
Sous la «furie», somnolent aussi la douceur, la solitude et le besoin d’amour. Qui sauront jaillir aux moments opportuns, dans de joyeuses explosions.
Car, en définitive, l’androgyne n’aspire qu’à aimer et être aimé(e). À être accepté tel qu’iel est, hors du temps, hors frontières, hors genres. Accepté avec ses bagages. Ses larmes. Et son petit pouce de peau qui fait déborder le vase. Un pouce plus doux que furieux, car, au fil de ce tour de chant, Hedwig parvient à dévoiler toute l’étendue de son éclatante humanité.
Renseignements: https://hedwigetlepouceenfurie.ca
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Le reste de la tournée d’Hedwig et le pouce en furie :
Vendredi 31 mars: Sainte-Thérèse
Jeudi 6 avril: Drummondville
Vendredi 7 avril: Sainte-Agathe
Samedi 8 avril:Terrebonne
Samedi 15 avril: Mont-Laurier
Jeudi 20 avril: Saint-Hyacinthe
Vendredi 21 avril: Shawinigan
Samedi 22 avril: Sorel-Tracy
Dimanche 23 avril: Brossard
Du 4 mai au 6 mai: Montréal [supplémentaires]
Samedi 13 mai: Joliette
Les 24 et 25 mai: Québec
Vendredi 26 mai: Saguenay
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