Chronique|

Salutaires changements aux fonds de travailleurs

L’incertitude économique se ressent jusque dans le taux d’épargne des contribuables. En cette saison des REER, des conseillers financiers constatent un retard, ou un recul.

CHRONIQUE / Vous m’excuserez, je me suis montré expéditif sur les changements concernant le Fonds de solidarité de la FTQ et Fondaction de la CSN dans mon compte-rendu du budget, mardi. Mettons ça sur le compte de mon obsession à l’égard du Régime de rentes du Québec qui a monopolisé une bonne partie de mon attention lors du huis clos.


Je vais en revenir du RRQ, ne vous inquiétez pas. Je crois bien avoir raclé le fond du pot, quoiqu’il y a toujours moyen d’aller en ramasser un peu sur les bords, avec mon doigt. Ce qui m’aiderait, c’est que vous me proposiez des thèmes sur lesquels je pourrais développer une nouvelle fixation. Je ne sais pas, moi… Le couponnage, ça marche encore? Y a-t-il toujours des «artisans» qui, pour sauver de l’argent, importunent leurs amis avec leur piquette maison?

Pensez-y, en attendant, revenons aux fonds de travailleurs. Ils feront l’objet de changements que j’oserais qualifier de «significatifs».



J’aurais dû m’en douter, car j’ai eu vent de représentations menées auprès du gouvernement afin de résoudre des problèmes d’accessibilité grandissants. Depuis deux ans, à moins de participer à un programme de retenue sur la paie, il est de plus en plus difficile de cotiser au REER de Fondaction et, plus particulièrement, du Fonds de solidarité. Durant la pandémie, alors que l’épargne a explosé, les deux fonds ont été pris d’assaut, ils sont saturés depuis.

La solution facile consisterait à ouvrir les vannes, à offrir plus d’actions aux épargnants, mais Québec se montre réticent à le permettre, non sans raison. Il y a un coût pour le trésor public à faire cadeau de crédits d’impôt qui, contrairement aux déductions fiscales offertes sur les contributions REER, ne reviennent jamais dans les coffres.

Les Québécois peuvent verser jusqu’à 5000 $ par année dans un fonds de travailleurs, ce qui donne droit à des crédits de 30 %, pour un maximum de 1500 $, en sus de la déduction fiscale dans le cas d’une cotisation REER. La moitié des crédits provient de Québec, l’autre d’Ottawa.

Simple et efficace (et à coût nul!), voilà comment je qualifierais la solution proposée par Québec. Les personnes dont les revenus nets atteignent le dernier palier d’impôt ne seront plus admissibles au crédit d’impôt de 15 % provincial à compter de 2024. Le fisc se basera sur les revenus déclarés deux années en arrière, en l’occurrence 2022 à l’introduction de la mesure. Le seuil se situe à 112 655 $, il sera indexé chaque année.



Pourquoi reculer de deux ans? Ce ne serait pas possible en tenant compte de l’année précédente. Les déclarations de revenu de l’année 2023, par exemple, sont pour la majorité produites durant les cinq premiers mois de 2024. Imaginez les problèmes pour ceux qui cotisent par prélèvement sur la paie et qui bénéficient du crédit d’impôt à la source. S’ils devaient s’avérer inadmissibles après coup, ils seraient pris pour rembourser le cadeau fiscal. Ce serait des plus irritants pour le contribuable et lourd à administrer pour l’agence du revenu.

La question maintenant: le fédéral harmonisera-t-il son approche sur celle de Québec. Patrick McQuilken, porte-parole du Fonds de Solidarité, et sa consœur chez Fondaction, Stéphanie Dunglas, n’osent pas s’avancer, bien que je me doute qu’ils s’en doutent. Je vais le faire: Ottawa suivra (je suis prêt à m’abreuver de votre piquette maison durant un week-end si je me trompe).

Les mieux nantis ne représentent pas la portion la plus importante de l’actionnariat de ces fonds, en nombre. Toutefois, ce sont les plus susceptibles d’y cotiser le maximum. Au Fonds de solidarité, les actionnaires participent en moyenne à hauteur de 2800 $ par année. On doit être dans les mêmes eaux chez Fondaction. En excluant les plus gros contributeurs, on libère beaucoup de places, presque deux pour chaque personne écartée. Selon Québec, 60 000 nouveaux épargnants pourront joindre l’actionnariat des fonds fiscalisés.

Est-ce par année? Je ne saurais dire. Janie Béïque, PDG du fonds de Solidarité, a déclaré vouloir accueillir 100 000 nouveaux actionnaires en cinq ans, une ambition exprimée bien avant l’annonce de mardi. Le fonds de la FTQ a fermé les portes aux nouvelles cotisations forfaitaires au début de 2021, l’accès par l’épargne automatisée est intermittent, si bien que les travailleurs autonomes sont exclus depuis un bon moment. Patrick McQuilken ne peut pas dire si les changements annoncés mardi pourront débloquer la situation pour cette clientèle, il affirme néanmoins que son organisation cherche activement une solution.

Autre élément important annoncé dans le budget d’Eric Girard, la période de détention minimale des actions des fond passera de deux ans à cinq ans d’ici 2026. C’est une bonne nouvelle pour les fonds de travailleurs, car cette modification favorisera leur mission de «capital patient».

Certains actionnaires pourraient voir la chose d’un autre œil. On ne peut pas retirer ses billes d’un fonds de travailleur avant la retraite, et à condition que l’argent y soit demeuré deux ans. Il est une opinion répandue dans l’industrie des services financiers: un investissement dans Fondaction ou le Fonds de solidarité, c’est particulièrement rentable à la toute fin de sa carrière. On cotise, on récolte les crédits d’impôt et, deux ou trois ans plus tard, on décaisse. Incontestablement, la stratégie est excellente. Elle restera bonne sur une durée de cinq ans, mais elle sera moins attrayante. On verra l’impact avec le temps, mais l’allongement de la période de détention minimale pourrait aussi libérer de l’espace pour les jeunes.

À mon avis, ces changements sont salutaires, mais qu’en pensez-vous, vous ?