Chronique|

Le Bonheur intérieur brut

Le Canada se classe au 13e rang des pays où les gens sont les plus heureux, selon le plus récent Rapport mondial sur le bonheur.

CHRONIQUE / Parlons de bonheur, si vous le voulez bien.


Le Canada figure au 13e rang du palmarès annuel des pays les plus heureux du monde de l’ONU.

Apparemment, nous sommes heureux. Même si, à lire les manchettes parfois déprimantes, on ne le dirait pas toujours!



Le Canada arrive derrière les pays nordiques comme la Finlande, le Danemark et la Norvège. Mais devant les États-Unis, le Royaume-Uni, l’Allemagne, la France…

J’aime ce classement annuel. Vrai, il peut sembler futile. Quoi, mesurer le bonheur comme on mesure l’inflation, le chômage ou la croissance économique?

Bien oui, justement.

Ce classement du bonheur, qui existe depuis 2012, part d’une prémisse que j’aime: le bonheur des citoyens devrait être l’objectif premier de l’État. Après tout, le bonheur n’est-il pas le but suprême, la finalité de la vie humaine? Aristote le pensait déjà en son temps. Et l’idée ne vieillit pas si mal…



J’irais plus loin: toute nation, toute institution publique digne de ce nom, devrait se doter d’un nouvel indicateur de performance: le BIB.

Le Bonheur Intérieur Brut.

On peut penser qu’une fois le bonheur reconnu expressément comme la finalité première de l’État, on devrait évaluer les politiques publiques à l’aune de la béatitude nationale. Et se poser la question plus souvent: quelles politiques publiques produisent le plus de bonheur?

Qui sait si un enjeu comme la santé mentale, si souvent balayé sous le tapis, ne surgirait pas soudain en haut de la pile. Mais aussi la qualité du travail ou de la vie de famille. La vitalité des communautés aussi, si fortement ébranlée par la pandémie.

Qu’est-ce qui rend les citoyens plus heureux?

Des centres-villes à échelle humaine ou des tours à condos? Une présence obligatoire au travail deux fois par semaine ou bien du télétravail à volonté? Des soins de santé à l’hôpital ou bien à domicile?



J’ai hâte d’entendre le futur ministre du Bonheur Intérieur Brut se prononcer là-dessus.

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Le classement 2023 nous enseigne aussi une chose intéressante: le bonheur semble survivre aux grandes tragédies comme une pandémie ou même à la guerre. Grâce, entre autres, à la bienveillance que les gens manifestent les uns envers les autres.

Ainsi, la bonté, l’un des six indicateurs mesurés pour établir le classement du bonheur, a augmenté en Ukraine durant l’invasion de 2022. Le bonheur a survécu aux milliers de morts. Peut-être parce que le conflit a cimenté l’esprit de corps des Ukrainiens. La guerre a fait de ce peuple qui se cherchait une nation à part entière. Sans compter que les Ukrainiens ont regagné la confiance perdue en leurs dirigeants. On oublie qu’avant de devenir un héros national, le président Volodymir Zelensky s’empêtrait dans les scandales...

Mais soyons justes, le bonheur ne survit sans doute pas longtemps aux conflits armés. Les deux pays au fond du classement, l’Afghanistan et le Liban, sont déchirés par la guerre. Là-bas, c’est un autre indice, la Misère Intérieure Brute, qui atteint des sommets inégalés.

De manière générale, le bonheur fleurit dans les pays où c’est l’intérêt commun qui prime sur les intérêts particuliers. Les gens sont plus heureux quand tout le monde est heureux égal au sein de la communauté.

Les iniquités sociales tuent le bonheur à petit feu.

C’est d’ailleurs pourquoi, selon des experts, le Canada et les États-Unis perdent des plumes au palmarès par rapport aux pays nordiques.

En Amérique du Nord, les inégalités s’accroissent, le tissu social s’effrite, plombé par l’inflation et une crise du logement généralisée. La confiance dans les institutions, autre mesure du bonheur, prend aussi du plomb dans l’aile, notamment avec la montée des mouvements d’extrême-droite.

Alors, prenons garde. Comme le chante Christophe Maé, le bonheur est une bougie qu’on risque d’éteindre en riant trop fort…