«J’aimerais bien voir la personne qui va me dire que mon fils n’a pas sa place»

Il y a une dizaine de jours, un propriétaire d’un Second Cup à Gatineau a raconté sur Facebook qu’une cliente avait traité l’un de ses employés avec un «handicap» de «stupide» et que «ce genre d’employé ne devrait pas travailler».

La 35e Semaine québécoise de la déficience intellectuelle se déroule du 19 au 25 mars sous le thème de la dignité. Si des avancées sont observées au fil des ans en matière d’intégration des personnes vivant avec une déficience intellectuelle, force est d’admettre qu’il reste encore beaucoup à faire en la matière.


Il y a une dizaine de jours, un propriétaire d’un Second Cup à Gatineau a raconté sur Facebook qu’une cliente avait traité l’un de ses employés avec un «handicap» de «stupide» et que «ce genre d’employé ne devrait pas travailler». Le propriétaire du café disait participé à plusieurs programmes d’intégration au travail. Son récit a été repris par certains médias de la région et a été partagé à plus d’un millier de reprises sur le réseau social où les commentaires de sympathie à l’égard de l’employé concerné ont afflué.

«Quand je repense à cette histoire, j’en ai encore des frissons. Je ne peux juste pas croire que des préjugés comme ça puissent exister encore aujourd’hui. Ça, c’est personnel à moi, mais toute la question par rapport aux tests prénataux et aux personnes avec une trisomie, je me suis toujours dit ‘’j’aimerais bien voir la personne qui va me dire que mon fils à moi n’a pas sa place‘’», lance Nancy Boudrias avec émotion en entrevue avec Le Droit.



Le fils de Mme Boudrias, Nathan, qui est âgé de 15 ans, présente une trisomie 21 et un syndrome Gilles de la Tourette. Pour Mme Boudrias, cet incident démontre bien la pertinence de tenir encore en 2023 une Semaine québécoise de la déficience intellectuelle dont l’objectif principal demeure de sensibiliser la population aux réalités que vivent les personnes ayant une déficience.

Les défis à l’école

Du plus loin qu’elle se souvienne, la mère de famille a toujours dû naviguer contre vents et marrées pour pouvoir offrir le meilleur à son fils qui demande une «surveillance constante» et qui communique essentiellement par le biais d’une tablette. À l’époque, Mme Boudrias et son conjoint avaient décidé d’acheter une maison à la campagne, dans le petit village de Luskville, dans la municipalité de Pontiac.

«On se disait que Nathan ferait une première maternelle intégrée à son école de quartier, mais ça ne fonctionnait juste pas. Pour aller en classe spécialisée, il devait aller jusqu’à Hull et faire 45 minutes de transport, le matin pour se rendre à l’école. Le pauvre chauffeur faisait ce qu’il pouvait. Nathan et le petit ami dans l’autobus arrivaient des fois et ils étaient en boxer parce qu’ils s’étaient déshabillés pendant le transport parce que c’était trop long. Il n’était plus disposé à l’école. On embarque dans les comportements qui sont difficiles. Quand on n’a pas les conditions gagnantes, on le met en échec en partant», raconte la mère. La famille a finalement déménagé à Gatineau et le jeune homme a terminé son niveau primaire à Gatineau.

Aujourd’hui, l’adolescent fréquente l’école secondaire Grande Rivière, dans le secteur Aylmer. Grâce à un projet pilote géré par un organisme communautaire, un service de surveillance - l’équivalent d’un service de garde - est en place depuis l’automne dernier au sein de l’établissement scolaire. Mais avant, Mme Boudrias devait pratiquer une gymnastique d’horaire pour arriver à concilier son travail et les besoins de son fils.



«Dans les deux premières années de son secondaire, j’ai dû jongler avec mon horaire pour la flexibilité au niveau du travail. Ce n’est pas réalité de tous les parents de terminer à 14h30 pour aller chercher leur enfant. Je devais m’occuper de Nathan jusqu’à ce que mon mari arrive. Je devais reprendre mes heures de travail après la routine du soir. Ça devenait exigeant parce que je me lève quand même avec lui vers 4h ou 5h le matin», témoigne Mme Boudrias.

Des employeurs plus ouverts d’esprit

L’Association pour l’intégration communautaire de l’Outaouais (APICO) dessert environ 365 membres, pour la plupart des personnes présentant une déficience intellectuelle, mais aussi des proches, par l’entremise de 20 programmes. L’organisme a deux centres de jour qui fonctionnent au maximum de leur capacité. L’APICO gère une liste d’attente pour accueillir les personnes âgées de 21 ans et plus.

Son directeur général, Stéphane Viau, affirme que l’intégration des personnes ayant une déficience intellectuelle, sur le marché du travail, notamment, a fait un bond important dans les dernières années.

Stéphane Viau, directeur général de l’Association pour l’intégration communautaire de l’Outaouais.

Tout juste avant la pandémie, on comptait 85 personnes membres de l’APICO avec une déficience sur le marché du travail dans la communauté. Actuellement, elles sont une soixantaine avec un emploi. La pénurie de main-d’œuvre a changé la donne, indique M. Viau qui appuie ses données sur le programme de démarchage de l’organisme.

«Si on compare l’ouverture des employeurs, entre il y a cinq ans et aujourd’hui, la différence est énorme. Les employeurs sont prêts à s’investir et à encadrer la personne avec une déficience pourvu que nous soyons là pour les aider. Je pense que ça va être de plus en plus positif à cause de la pénurie de main-d’œuvre et à cause de la sensibilisation qui a été faite pour dire que les personnes avec une déficience sont capables d’avoir un travail et d’aller à l’école», affirme le directeur général de l’APICO.

De l’avis de M. Viau, il y a encore place à l’amélioration au chapitre de l’intégration particulièrement en milieu scolaire et dans les garderies.



«On dit souvent que toute personne est unique et que chaque personne a le droit à une place à un travail, à une garderie, à une place dans une école, mais en 2023, c’est encore un enjeu, aussi bien dans les garderies que dans les écoles. On aime bien placer les personnes avec une déficience dans une classe spéciale, mais nous, on prône beaucoup l’intégration. C’est bien de voir une personne non typique avec une personne atypique. Chaque personne peut gagner en apprenant les défis des autres. Ça aide aussi à se sentir valorisé dans la société.»

Au Québec, on compte plus de 174 000 personnes vivant avec une déficience intellectuelle, selon la Société québécoise de la déficience intellectuelle.