Des logements HLM parmi les plus vétustes au Québec

Sur la rue Bellevue, à Waterloo, en Estrie, plusieurs maisons HLM sont barricadées en vue d'une démolition éventuelle.

En région, l’Estrie figure en queue de peloton quant à la vétusté de son parc de logements HLM. Pire, elle comprend l’office d’habitation où l’urgence de rénover les logements est la plus criante. À Cowansville, les coûts de rénovation de plusieurs immeubles dépassent la valeur estimée de l’immeuble lui-même. La crainte de démolitions éventuelles plane au-dessus de ces logements en mal d’amour.


À l’office d’habitation (OH) de Brome-Missisquoi, la majorité des immeubles HLM —27 sur un total de 50 — affichent la côte de vétusté E, soit «très mauvais état», selon l’indice de la Société d’habitation du Québec (SHQ). Et plus largement, 83% de l’ensemble des 497 logements gérés par l’OH sont considérés en mauvais état (côte de vétusté D, «mauvais état», ou E).

Dans une réponse à nos questions par courriel, la directrice générale de l’OH de Brome-Missisquoi, Annie Blanchard, reconnaît qu’il «n’est pas exclu que certains bâtiments soient démolis et reconstruits».

Soulignant du même souffle que «la sécurité et la santé des locataires demeurent [s]a priorité numéro un».

Nous n’avons pas été en mesure de savoir de quels immeubles il était question. «Nous travaillons à prioriser les travaux à réaliser», a-t-elle indiqué par courriel à La Voix de l’Est.

Pour ramener les immeubles vétustes de Cowansville — la plupart des HLM de Brome-Missisquoi se retrouvent dans cette municipalité — et alentour (certains sont situés à Bedford, Bromont, ou Farnham) à une côte C («état acceptable»), la SHQ évalue les travaux de rénovation nécessaires à plus de 25 millions de dollars à l’échelle de Brome-Missisquoi.

Président-directeur général de la Société d'habitation du Québec, monsieur Claude Foster, ing.

Parmi 147 offices d’habitation situés en région, seul celui de Joliette affiche des résultats aussi inquiétants, si l’on se fie aux données de la SHQ obtenue via plusieurs demandes d’accès à l’information effectuées par la Fédération des locataires de logements HLM du Québec (FLHLMQ).

«Ce haut pourcentage de vétusté est évidemment préoccupant, a reconnu Isabelle Charest, députée de Brome-Missisquoi, après avoir été interpellée par La Voix de l’Est. Tout le monde a droit à un milieu de vie décent et sain. L’annonce d’une première allocation de 1 859 061 $ de notre gouvernement pour l’année 2023 remise à l’Office d’habitation de Brome-Missisquoi lui permettant d’effectuer des travaux de remplacement, d’amélioration et de modernisation est rassurante.»

En entrevue téléphonique avec La Voix de l’Est, le directeur général de la SHQ, Claude Foster, s’est montré déterminé à améliorer les choses, lui qui a oeuvré pendant 25 ans à l’office d’habitation de Québec. «Dans Brome-Missisquoi, nous avons la volonté de changer la situation dans les prochaines années.»

Une côte E, plusieurs réalités

Chaque immeuble affublé par la SHQ d’une côte de vétusté E signifie que le coût des travaux à réaliser, d’ici cinq ans, représente plus 30% de la valeur de l’immeuble.

Selon les données de la SHQ colligées par la FLHLMQ, dans Brome-Missisquoi, les coûts de rénovation de huit immeubles dépasseraient l’estimation de la valeur actuelle des bâtiments respectifs.

Le 70, place Caroline, à Cowansville, détient actuellement un triste record.

Sur ce triste podium, on retrouve le 70, place Caroline, à Cowansville, dont les coûts des travaux de rénovation sont estimés à plus de 150% de la valeur de l’immeuble, pour un montant de 2 214 336$, soit plus de 180 000$ par logement (il y en a 12).

Toujours à Cowansville, on évalue à 2 271 136$ les travaux requis au 90, rue James, correspondant à 138% de la valeur de l’immeuble, soit près de 380 000$ par logement (!), l’édifice en comprenant six.

Les immeubles de Terrasse Bellerive, à Cowansville, ont tous une côte de vétusté classée E, le 400 et 500 nécessitant les travaux les plus coûteux.

Un peu plus loin, le 400 Terrasse Bellerive n’est pas en reste avec des travaux représentant respectivement 130% de la valeur du bâtiment, à 1 829 428$, représentant l’équivalent de 365 000$ environ par logement (5).

«À Cowansville, on a un bon exemple de logements cheap, bâtis cheap, qui se sont dégradés rapidement, et qui ont besoin de plus d’argent [pour redresser la situation]», indique Robert Pilon, coordonnateur de la FLHLMQ, et qui suit le sujet depuis 30 ans.

Robert Pilon est le coordonnateur de la Fédération des locataires de logements HLM du Québec

Mme Blanchard se veut toutefois rassurante. «Il faut noter que notre parc est constitué de plusieurs petits immeubles dont les toitures sont à refaire, ce qui peut donner l’impression qu’il est en mauvais état. Malgré une cote E, l’immeuble demeure sécuritaire et habitable. Une cote E signifie principalement que des travaux importants seront à effectuer d’ici cinq ans, par exemple une toiture à refaire, des fenêtres à changer, etc.»

Son alter ego à l’office d’habitation de la Haute-Yamaska Rouville abonde dans le même sens. «Il faut mettre les chiffres en perspective», tempère Guy Mongeau, avec qui nous nous sommes entretenus.

Il donne l’exemple de l’immeuble situé au 33, rue City, à Granby, également classé E. «Il n’y a pas de condition insalubre ici, puisqu’il s’agit d’un stationnement à faire. Ça ne rend pas l’immeuble inhabitable.»

Sur le territoire de l’OH de la Haute-Yamaska Rouville, la situation est un peu moins sombre, quoique 59% des logements sont tout de même considérés en mauvais état, selon les critères de la SHQ, ce qui fait de cet OH l’avant-dernier sur les neuf que compte l’Estrie.

Source : Fédération des locataires de logements HLM du Québec

M. Mongeau donne un autre exemple d’un immeuble côté «D», celui du 95, rue de l’Assomption, à Granby, pour lequel les 772 582$ de travaux estimés (25% de la valeur du bâtiment) correspondent aux fenêtres qui doivent être changées. «Ça ne rend pas pour autant l’immeuble dans un piteux état», souligne-t-il.

En revanche, plusieurs maisons HLM situées sur la rue Bellevue, à Waterloo, sont elles si mal en point que les occupants en ont été évincés il y a de cela plusieurs années, qu’elles sont barricadées et en attente de démolition pour être éventuellement reconstruites.

Plusieurs maisons HLM de la rue Bellevue, à Waterloo, ont été barricadées, dans l'attente d'une éventuelle démolition et reconstruction. Sur la photo, le 221 rue Bellevue.

Ces bâtiments ont été identifiés pour bénéficier d’un «programme gouvernemental de régénération», indique M. Mongeau. On ne sait pas toutefois quand les subsides publiques permettront de créer ici de nouveaux logements HLM.


«Le gouvernement privilégie la création de HLM à la rénovation»

Pour Robert Pilon, de la Fédération des locataires de logements HLM du Québec (FLHLMQ), «cette situation inacceptable pour les locataires n’est pas due à la négligence des offices d’habitation, mais plutôt au sous-financement des travaux de rénovation dans plusieurs régions du Québec».

«La Société d’habitation du Québec (SHQ) a réduit ses investissements dans la rénovation des HLM. Ceux-ci sont passés d’une moyenne annuelle de 352 M $ de 2015 à 2019 à 281 M $ de 2019 à 2022 », détaille-t-il, en se basant sur les données du gouvernement souvent obtenues par le biais de demandes d’accès à l’information.

Ce manque de 70M$ aurait dû provenir d’une entente signée en octobre 2020 entre le Québec et le gouvernement fédéral, mais ces deux dernières années, cet argent a été, selon M. Pilon, détourné au profit de la création de nouveaux logements HLM, ce dernier citant à ce sujet le rapport annuel de la SHQ.

«C’est fâchant, dit-il, car si les sommes prévues avaient été utilisées pour rénover, on aurait pu accélérer les rénovations, mais là, on a reculé.»

Et si on tarde trop à rénover ces bâtiments HLM, pour la plupart construits entre 1970 et 1994, l’accélération de leur détérioration pourrait mener à la démolition de certains d’entre eux, obligeant alors les offices d’habitation à reloger leurs locataires.

À la SHQ, M. Foster assure cependant que le «2,2 milliards $ de l’entente [avec le fédéral] va être utilisé pour la rénovation».

Un parc qui s’améliore tout de même

En Haute-Yamaska Rouville, le DG de l’office d’habitation Guy Mongeau croit que sur le terrain, les choses s’améliorent tout de même. «Avec [un rythme actuel d’investissement] de 2,5 M$ par an, on peut affirmer qu’on améliore le parc chaque année», calcule-t-il, alors que l’ensemble des travaux prévus pour les immeubles cotés D et E du parc dont il a la gestion totalisent 11 M$.

Dans Brome-Missisquoi, «depuis [...] 2019, c’est plus de 9 600 005$ qui ont été investis en travaux de rénovation en tenant compte des priorités», précise Annie Blanchard, DG de l’office d’habitation régional.

À l’échelle du Québec, entre 2020 et 2002, le nombre de logements HLM en mauvais ou en très mauvais état au Québec est passé de 18 644 à 25 974, soit une hausse de 39 %, selon des données obtenues par la Fédération des locataires de HLM du Québec. Le plus récent bilan de santé des immeubles, réalisé par la Société d’habitation du Québec en date du 31 mars 2022, révèle que 40,2 % des 64 663 logements à prix modique du Québec nécessitent des travaux majeurs alors que ce pourcentage n’était que de 28,9 % en 2020.

La faute à la conjoncture

«Sans la pénurie de main-d’oeuvre, l’inflation et la pandémie, coup sur coup, on ne serait pas rendus là», analyse M. Foster, DG de la SHQ.

Dans l’ensemble du Québec, les statistiques sont tirées vers le bas par la situation exécrable des HLM montréalais et lavallois, dont respectivement 73% et 69% sont en mauvais état.

Les travaux de rénovation nécessaires dans les offices d’habitation de Montréal et Laval nécessitent des investissements supérieurs à 605 M$, alors que la facture est de 893 M$ pour l’ensemble du Québec, selon des calculs de la FLHLMQ.

Le ministre responsable de l’Estrie et député de Granby, François Bonnardel, a refusé de nous accorder une entrevue à ce sujet.