Ma lecture initiale s’est avérée des plus mauvaises. Après la diffusion de détails supplémentaires, et une éprouvante séance boursière plus tard, un observateur avisé a posé la question, toujours sur les réseaux sociaux : «Et si c’était le début de quelque chose?»
On devinait que ce n’était pas quelque chose de joyeux.
La semaine dernière, la SVB s’est retrouvée à court de liquidités pour honorer les demandes de retraits de ses clients, des entreprises du domaine des technologies et des firmes de capital de risque. La nouvelle a entraîné un vent de panique durant le week-end, emportant une autre institution, la Signature Bank, proche du secteur des cryptoactifs.
Il s’en est suivi une crainte de contamination sur l’ensemble du secteur bancaire américain, ce qui a fait remonter en mémoire la crise financière de 2008, qui fut une vraie catastrophe.
Qu’est-ce que tout ça veut dire?
Le scénario apocalyptique (un autre!) semble écarté, alors, disons-le : c’est franchement intéressant comme histoire. Cette débandade est le résultat d’une suite d’événements imprévisibles superposés à une mauvaise appréciation du risque de la part des dirigeants de la SVB. Surtout, elle montre à quel point le système financier repose sur la confiance de ses participants.
Revenons sur les événements.
Fondée dans les années 1980, la Silicon Valley Bank n’est pas si obscure que ça, elle est la 18e banque en importance aux États-Unis, qui en compte des milliers. Elle détient plus 209 G$ US en actif, dont 175 G$ US en dépôt. Elle est gardienne des liquidités de nombreuses sociétés de technologies et des financiers de la région.
Au plus profond de la pandémie de COVID-19, une période faste pour les technos, la SVB a reçu des quantités inhabituelles de dépôts de la part de ses clients. La banque a placé cet argent dans des titres obligataires et des bons du trésor. Jusque-là, pas de problème, quoiqu’on accusera l’institution d’avoir mal géré le risque.
Au sortir de la pandémie, quelle autre calamité nous attendait? L’inflation. Comme au Canada, et de manière plus agressive encore qu’ici, la banque centrale américaine, la FED, a entrepris une remontée abrupte de ses taux d’intérêt. Ces hausses ont eu des effets multiples. Elle a augmenté les coûts d’emprunt des sociétés et réduit l’afflux des capitaux vers les entreprises technologiques, déjà aux prises avec un ralentissement de leurs affaires, puis frappées par des resserrements réglementaires.
Les détenteurs d’obligations sont au courant, la hausse des taux a aussi pour effet de faire diminuer la valeur des titres à revenus fixes sur les marchés secondaires (et non à l’échéance).
Que s’est-il passé? Ayant un accès limité à de l’argent frais, les clientes de la SVB ont commencé à puiser dans leurs réserves, à la banque. Celle-ci s’est rapidement montrée incapable de répondre à la demande, puisqu’elle n’avait pas conservé assez de liquidités. Elle s’est donc retrouvée à devoir liquider des obligations à perte.
C’est là que l’aspect psychologique entre en jeu. Sachant que l’institution éprouvait des difficultés à rendre les dépôts, plus de clients ont voulu retirer leurs avoirs, pour les sécuriser. Aux États-Unis, l’assurance-dépôts couvre jusqu’à 250 000 $ par compte. Les sommes en jeu dépassent de beaucoup cette protection.
«Imagine une salle où il y a mille personnes, et une seule porte de sortie. Quelqu’un se met alors à crier au feu. Ceux qui se trouvent à côté de celui qui lance l’alerte voient bien qu’il n’y a pas de feu, mais la rumeur d’un incendie se répand plus loin, et de plus en plus de gens veulent sortir, puis la panique s’empare de la salle, tout le monde veut prendre la porte. C’est un peu ça qui s’est passé», illustre le gestionnaire de portefeuille Pierre-Olivier Langevin, chez Medici. Il surveille la situation de près, Medici possède des investissements dans le secteur bancaire américain.
C’est la deuxième faillite du genre en importance aux États-Unis, après celle de la Washington Mutual Bank, en 2008. Cette fois-là, l’effondrement s’était produit en quelques jours, se souvient Pierre-Olivier Langevin. Le montant des retraits s’était élevé à 16,7 G$ US. Avec la SVB, ça n’a pris que quelques heures. Dans la seule journée de jeudi, la valeur des retraits a atteint 42 G$ US.
«La rapidité à laquelle circule aujourd’hui l’information et l’argent a accéléré la descente», constate l’investisseur. D’où le risque accru de contamination. Voyant cela, des clients d’autres banques pourraient facilement être tentés de récupérer leur argent, par craindre d’en perdre. Ce serait un problème, car seule une partie des dépôts est liquide, la majeure partie étant investie ou prêtée.
Lorsque la confiance s’effrite, les autorités n’ont d’autres choix que de poser un geste important pour la restaurer. «La réponse de la FED a été rapide, elle a promis à tous déposants que leur argent était en sécurité. Elle a mis en place un programme de prêt à la disposition des banques pour qu’elles soient en mesure de satisfaire les demandes de retraits», explique Luca Lin, professeur adjoint en finance à HEC Montréal.
Le flot de nouvelles négatives n’est pas moins demeuré intense hier, les médias américains spéculant sur d’autres faillites à venir. Le gouvernement américain s’est montré assez clair : s’il est disposé à protéger les déposants, il ne viendra pas à la rescousse des banques prises en défaut, comme en 2008.
Pour les investisseurs qui détiennent des actions de banques américaines, les prochains jours s’annoncent cahoteux. À suivre.