L’ingérence étrangère et la loyauté canadienne

Les allégations d’ingérence étrangère dans le processus électoral canadien continuent de faire des vagues à Ottawa et la loyauté du premier ministre envers son pays est désormais remise en question.

SUR LA COLLINE / «Une crise», un «scandale» et un gouvernement qui «n’en fait pas assez». Les allégations d’ingérence étrangère dans le processus électoral canadien continuent de faire des vagues à Ottawa et la loyauté du premier ministre envers son pays est désormais remise en question.


En se présentant devant les médias dans le foyer de la Chambre des communes mardi, Pierre Poilievre n’allait pas seulement réitérer sa demande d’enquête publique indépendante sur l’ingérence étrangère dans les élections fédérales.

Cela faisait déjà quelques jours que le chef conservateur et ses homologues de l’opposition en faisaient la demande. Depuis que le  Globe and Mail et Global News ont levé le voile sur des gestes d’ingérences qu’aurait commis la Chine pour influencer les deux dernières élections générales, cette demande est sur toutes les lèvres.



Les Chinois auraient, selon des documents des services de renseignement canadien consulté par ces médias, tenté de favoriser l’élection des libéraux de Justin Trudeau, jugé moins dur à l’endroit de la République populaire de Chine.

Des fonds auraient été versés pour favoriser l’élection de certains candidats favorables au régime chinois par l’entremise d’un «large réseau de financement clandestin».

L’opposition veut faire la lumière sur cette affaire. Le gouvernement a plutôt opté pour référer l’affaire à un «rapporteur spécial», soit un éminent Canadien qui aurait pour mandat de lui recommander de poser les gestes qui s’imposent, et à un comité parlementaire dont les délibérations se font derrière des portes closes.

En fait, en se présentant devant la presse parlementaire mardi, le chef du Parti conservateur allait plutôt emprunter une voie rarement utilisée au Parlement.



«[Justin Trudeau] ne veut pas la vérité, il ne veut pas que les Canadiens connaissent la vérité parce qu’il sait que ça va l’impliquer dans le scandale de l’ingérence du gouvernement autoritaire de Pékin», a-t-il lancé.

D’autres intérêts à cœur?

Le fait qu’un ou des fonctionnaires des services de renseignement coulent de façon illégale des informations secrètes et confidentielles à des journalistes démontre selon le chef conservateur qu’il existe une préoccupation chez les espions canadiens que le premier ministre collabore avec un pouvoir étranger contre les intérêts du Canada et des Canadiens.

«Évidemment, ça fait des années que ces services ont essayé d’avertir le premier ministre, mais il n’a rien fait. En fait, il a encouragé l’ingérence étrangère parce que c’était son intérêt et l’intérêt de son parti», a-t-il déclaré sans broncher.

Puis d’ajouter: «[Justin Trudeau] se lève toujours en faveur de la corruption, contre les lanceurs d’alerte et dans ce cas-ci, contre les intérêts du Canada», a clamé Pierre Poilievre.

Pierre Poilievre, chef du Parti conservateur

À Ottawa, cette suggestion que le premier ministre favorise le régime chinois au détriment des Canadiens a été accueillie comme une douche froide.

Les libéraux ont qualifié de «honteux» et de «malhonnête» les propos du chef conservateur. Le chef du NPD Jagmeet Singh a parlé d’un «commentaire extrême» visant à «faire la manchette et à faire du bruit».



«Laisser entendre que qui que ce soit à la Chambre des communes ne se consacre pas au service des Canadiens et à la sécurité de ceux qui servent le Canada dans des postes dangereux est assez dégoûtant», a riposté le premier ministre en Chambre.

La chef du Parti vert Elizabeth May a d’ailleurs pris le micro quelques heures plus tard pour parler du manque de respect qui règne au siège de la démocratie canadienne.

«On manque de respect l’un envers l’autre. Ce n’est pas bon pour notre démocratie. Je pense que l’atmosphère maintenant est toxique», a-t-elle dit en visant les conservateurs.

Non à la partisanerie?

Les libéraux répètent depuis des jours qu’il est dangereux de verser dans la partisanerie lorsqu’il est question d’ingérence étrangère dans le processus démocratique.

Le leader du gouvernement à la Chambre des communes Mark Holland a confié que s’il était dans l’opposition, il ferait «très attention» dans les circonstances actuelles. De voir des conservateurs comme M. Poilievre remettre en question la loyauté de certains collègues députés des Communes lui fait croire que cela donne des munitions à ceux qui tentent de miner la démocratie canadienne.

«Quand je parle avec mon homologue de l’autre parti, j’explique clairement que c’est important de protéger notre sécurité publique, absolument, mais aussi de ne pas créer des idées qu’il y a des personnes qui ne sont pas fidèles envers leur pays. Ce n’est pas utile!», a-t-il dit.

Pendant ce temps, le chef du Bloc québécois Yves-François Blanchet suggère que la Chine «se tape sur les cuisses» en voyant ce qui se passe au Parlement.

Yves-François Blanchet, chef du Bloc québécois

Le premier ministre, soutient M. Blanchet, a la «responsabilité fondamentale» de poser des gestes qui «vont rassurer les électeurs canadiens», mais aussi «de démontrer la fermeté et la robustesse de sa colonne vertébrale face à une intrusion d’une dictature étrangère très puissante et à certains égards hostile» à ses partenaires étrangers.



«S’il avait [lancé une enquête publique indépendante], l’essentiel de la crise serait déjà apaisé», a dénoncé M. Blanchet.

La ministre des Affaires étrangères Mélanie Joly a assuré avoir été claire avec son homologue chinois la semaine dernière que «le Canada ne tolérera jamais quelconque forme d’ingérence étrangère dans notre processus démocratique».

À Pékin, le ministère des Affaires étrangères chinois a répliqué n’avoir «aucun intérêt» à s’ingérer dans les affaires intérieures du Canada.

«C’est absurde que certains au Canada fassent un enjeu à propos de la Chine en se basant sur la désinformation et des mensonges», a déclaré un porte-parole du ministère.

À Ottawa, les libéraux répètent sans cesse qu’ils prennent la situation au sérieux et qu’ils ont posé des gestes importants depuis 2015 pour protéger le pays contre toute ingérence étrangère.

«Pensez-y. Protéger notre démocratie n’est pas un enjeu partisan. C’est un enjeu canadien», a notamment dit le ministre des Affaires intergouvernementales Dominic LeBlanc.

S’il prône le délestage de partisanerie, le ministre LeBlanc a néanmoins noté en Chambre que lorsque M. Poilievre était ministre responsable des institutions démocratiques dans le gouvernement de Stephen Harper, «il n’a rien fait quand les agences de renseignement ont soulevé cette question [d’ingérence étrangère] il y a plus de dix ans».

«Nous n’avions pas à faire quoique ce soit, a répliqué Pierre Poilievre, parce que la dictature communiste de Pékin n’aidait pas le Parti conservateur à se faire élire.»