Notre lectorat compte un bon nombre de salariés de l’État, m’a-t-on dit, et j’ai constaté un intérêt particulier de nos abonnés pour les sujets évoquant la faune. Je pense aux vaches en cavale, bien sûr, mais aussi à la touchante histoire d’amitié entre un lecteur du Lac-Saint-Jean et une perdrix répondant au nom de Poulette, racontée dans Le Quotidien.
Maintenant que j’ai votre attention, j’ai le regret de vous annoncer qu’il ne sera pas du tout question de volaille et très peu de fonctionnaires. Je m’apprête à vous amener vers un sujet plus transcendant : votre capital humain.
Je vous rassure, ça n’a rien à voir avec le discours des RH où l’étiquette «capital humain» sert avant tout à vous distinguer de la photocopieuse ou du chariot élévateur. Vous me direz que ma perspective n’est guère plus édifiante, car j’oppose «capital humain» avec «capital financier». On parle d’argent d’ici, encore.
«Opposition» n’est sans doute pas le terme le plus juste. Imaginez plutôt les deux récipients d’un sablier. Lorsqu’on commence sa carrière, on détient un faible capital financier, mais notre capital humain s’élève à son maximum. Il représente tous les gains potentiels que recèlent nos compétences, nos aptitudes, notre personnalité, notre ardeur sur un horizon de 40 à 50 ans. À mesure qu’on progresse dans la vie, notre capital humain se convertit en capital financier : on épargne, on investit, on acquiert une maison. À la retraite, le capital humain est pratiquement épuisé, mais on détient plus que jamais des actifs matériels.
Vous croyez que c’est une vue de l’esprit? L’assurance vie en constitue pourtant une bonne mesure. L’indemnité prévue dans une police d’assurance temporaire, pour peu qu’elle soit adéquate, reflète le potentiel économique d’un client à un moment donné. Les besoins d’assurance vie et invalidité sont plus grands chez les jeunes et diminuent en vieillissant, car ces produits visent à protéger le capital humain.
C’est ici que vous vous dites : «Germain, ton titre de chronique sur les fonctionnaires «poulets», c’est vraiment un piège à clics». Oui, mais pas autant que vous croyez. Continuons.
Le capital humain diffère d’une personne à l’autre, vous l’avez sans doute deviné. On peut toujours s’en offusquer, celui d’un jeune médecin en résidence reste de loin supérieur à celui d’un étudiant en histoire de l’art. Il ne varie pas seulement en fonction de son potentiel financier, mais aussi par la sécurité offerte par la filière professionnelle et l’employeur.
Le capital humain d’un acteur de télé peut se traduire en des épisodes très fructueux d’un point de vue monétaire, mais d’un autre côté, il repose sur une situation fragile ponctuée de périodes plus ou moins longues de chômage. Le même type d’instabilité menace les restaurateurs, les petits commerçants, les entrepreneurs, les contractuels en général et les personnes exerçant des métiers en déclin, à plus forte raison dans des organisations non syndiquées.
Moshe Milevsky, professeur de finance à l’Université York, à Toronto, a illustré cette réalité par une comparaison toute simple : des actions et des obligations. Il a consacré tout un livre sur la sujet, Are you a stock or a bond? Des personnes pratiquent un métier qui s’apparente à un portefeuille surpondéré en actions, c’est le cas de l’acteur et des entrepreneurs. D’autres occupent un emploi que l’on pourrait davantage comparer à un portefeuille prudent composé essentiellement d’obligations, par exemple un technicien chez Hydro-Québec.
Les employés de la fonction publique (fédérale, provinciale et municipale) reposent sur un capital humain constitué presque entièrement d’obligations. Ils jouissent d’une sécurité d’emploi en béton et peuvent compter sur un régime de retraite qui leur garantit plus ou moins 70 % de leur revenu de vie active. Pépère, quoi!
Le parallèle entre le capital humain et les actifs financiers n’est pas innocent. On doit considérer les deux dans un tout. Au moment de composer un portefeuille de placements, il faut tenir compte de sa sécurité professionnelle. On ne doit pas en conclure qu’un fonctionnaire peut miser toute son épargne dans le Bitcoin, mais que pour un profil d’investisseur équivalent, un travailleur dans un poste sécuritaire peut prendre plus de risque avec son portefeuille que son voisin qui exploite une entreprise bancale.
Un fonctionnaire reste libre d’être chicken (disons prudent) avec ses investissements. Je lui signale seulement qu’il peut se permettre un peu de fantaisie…