Chronique|

Qui profitera le plus des prochaines baisses d’impôt?

Le gardien du Canadien Carey Price lors d'un point de presse à Montréal, le 21 octobre dernier

Le fonctionnement des tables d’impôt demeure une source de confusion chez de nombreux contribuables. Alors, voici ce que je propose : une compréhension minimale de la fiscalité pourrait faire partie des exigences afin d’obtenir son permis de conduire.


Les automobilistes seraient invités à répondre à trois petites questions fiscales sur la nouvelle plateforme SAAQclic au moment de renouveler leur permis. Par exemple : «Quelle est la différence entre le taux d’imposition moyen et le taux d’imposition marginal?». Ou encore «Combien d’impôt Pierre Karl Péladeau paie-t-il sur ses premiers 10 000 $ de revenu?». Pour faciliter l’épreuve, on proposerait un choix de réponses.

Ok, laissons faire, c’est déjà assez compliqué de même, le site de la SAAQ…



Deux messages de lecteurs me confirment que ces notions sont mal maîtrisées. Celui d’un d’entrepreneur, d’abord, dont les employés hésitent à faire des heures supplémentaires sous prétexte de vouloir éviter de passer à une autre «bracket» d’impôt. L’autre venait d’un monsieur qui s’obstine avec des amis qui, tout en se targuant de leur salaire avoisinant de 150 000 $, affirment voir la moitié de leur paie mangée par le fisc.

Ça me tentait moyennement de revenir là-dessus, de crainte d’ennuyer ceux qui savent. Jusqu’à ce que je réalise que le budget provincial approche à grands pas et que des baisses d’impôts sont attendues, soit un point de pourcentage sur les deux premiers paliers. En plus, pas plus tard qu’hier, la Chaire en fiscalité et finances publiques de l’Université de Sherbrooke (CFFP) a fait connaître quelques propositions alternatives qui nous permettent d’approfondir le sujet.

Un gâteau étagé

Il n’y a rien de sorcier ici. Nos revenus se découpent en étages, et chaque étage est soumis à un taux d’imposition qui lui est propre. Pensez à un gâteau de mariage.

La base se trouve imposée à un taux moindre, les niveaux intermédiaires à des taux un peu plus élevés, et les ponctions fiscales atteignent leur maximum sur la tranche du dessus (53,3 %, fédéral et provincial combinés). On appelle ça de la «fiscalité progressive».



Ce qui complique un peu notre histoire de pâtisserie, c’est qu’il y a deux gâteaux qui s’emboîtent, le provincial, réparti sur quatre étages, et le fédéral, qui en compte cinq. Total : un Québécois qui déclare des revenus de plus de 236 000 $ se retrouve à être imposé à neuf taux différents, de 12,5 %, à la base, à 53,3 %, au sommet.

En plus, autant au fédéral qu’au Québec, les contribuables ont droit à un crédit d’impôt personnel de base, de sorte que vous, moi et Carey Price, on ne paie pas un sou sur la première tranche de 15 000 $ de revenu.

Ce qui nous amène au concept de «taux marginal d’imposition». Ça le dit, c’est le taux qui s’applique à la «marge», sur les derniers dollars gagnés. Il renvoie donc au palier le plus élevé atteint par un particulier.

Les amis de notre lecteur qui se vantent de leur salaire de 150 000 $ affichent un taux marginal de 47,46 % (fédéral et provincial combinés). En 2023, celui-ci touche la tranche de revenu comprise entre 119 000 $ et 165 000 $. Si on calcule la ponction fiscale totale par rapport au revenu total, c’est moins du tiers d’un salaire de 150 000 $ qui se trouve revendiqué par le fisc.

Quant aux employés de l’entrepreneur qui craignent de basculer dans une autre «bracket», le fait d’atteindre un nouvel échelon n’impacte en rien les taux des paliers inférieurs et modifie à peine l’impôt moyen.

Dernier point : les tables d’impôt sont indexées chaque année au rythme de l’inflation.



Les baisses promises

Concentrons-nous sur le gâteau à quatre étages du Québec, c’est là que ça se joue.

Jusqu’à des revenus de 49 275 $, Québec prélève 15 % d’impôt. De là jusqu’à 98 450 $, le fisc vient prendre 20 %. De 98 451 $ à 119 910 $, la ponction fiscale s’élève à 24 %, puis tout ce qui dépasse est imposé à 25,75 %.

En campagne électorale, la CAQ a promis de diminuer d’un point de pourcentage le taux d’imposition sur les deux premiers paliers, ce qui les amènerait à 14 % et à 19 %. Tous les contribuables y gagnent quelque chose. Qui en profitera le plus? Selon la Chaire en fiscalité et en finances publiques de l’université de Sherbrooke (CFFP), c’est le travailleur qui déclare des émoluments de 100 500 $ par année. Pour celui-ci, l’économie annuelle s’élèverait à 814 $, contre 559 $ pour un salarié à 75 000 $.

On le sait, c’est au Québec que les particuliers paient le plus d’impôt. On sait aussi que François Legault fait une obsession des écarts qui nous séparent de l’Ontario. Pour ce qui est de la facture fiscale, la CFFP signale que c’est dans la fourchette de 20 000 $ à 85 000 $ que la différence est la plus importante entre les Québécois et les Ontariens. La proposition de la CAQ n’est pas optimale pour combler le fossé.

La CFFP avance trois solutions de rechange qui se concentrent davantage sur la classe moyenne, mais qui ne profitent pas moins à tout le monde. J’en reproduis une ici. Précisons: ce n’est pas un appui de la CFFP à une réduction d’impôt.

La plus simple, qui ne vient pas ajouter un cinquième échelon, consiste à réduire d’un point de pourcentage le premier palier comme prévu (de 15 % à 14 %), et de modifier les seuils des deux suivants. Le deuxième étage débuterait à 49 275 $ et s’arrêterait à 84 000 $ (plutôt qu’à 98 450). La CFFP suggère pour celui-ci une baisse de 2 points de pourcentage (de 20 % à 18 %). En revanche, le taux d’imposition passerait à 24 % dès 84 000 $ (et non plus à 119 010 $).

Vous vous dites alors que ce ça ne vaut plus la peine de faire plus de 84 000 $! Pas du tout. Avec ce réaménagement, c’est le contribuable gagnant 86 000 $ qui sortirait le plus avantagé avec une baisse de son fardeau fiscal de 1013 $. Celui dont les revenus s’élèvent à 75 000 $ économiserait 796 $.

Même une personne qui déclare 250 000 $ paierait 434 $ moins d’impôt.

Et Carey Price? Il ne s’en apercevrait pas.