Vous dormez bien?
Pour vous dire comment je peux m’énerver facilement, moi je suis fâché depuis quelques jours à cause d’une chronique financière qui ne passera pourtant pas à l’histoire, celle d’un collègue du journal Le Devoir. Des chroniques qui ne marqueront pas la postérité, j’en produis en masse, ce n’est ça pas le problème.
Seulement là, il n’est pas question d’un texte sans conséquence, il implique un choix capital de finances personnelles auquel feront face la presque totalité des Québécois, et le confrère, j’en ai bien peur, l’a joué un peu «mou».
Le sujet abordé est populaire, j’en sais quelque chose : le report des prestations du Régime de rentes du Québec (RRQ) et de la pension de la Sécurité de la vieillesse (PSV). Il en a beaucoup été question récemment en raison des consultations entourant des modifications au RRQ. C’est dans la foulée de cet exercice que le collègue a pondu un texte au titre fort avisé Rente tardive, calculs à refaire, paru mardi dans le vénérable quotidien. Il y a toujours certains calculs à faire. La chronique a figuré parmi les articles les plus lus du site du Devoir pendant deux jours.
Que dit-elle? Pour conserver le nouveau et généreux crédit d’impôt remboursable pour le soutien aux aînés (jusqu’à 4000 $ par couple, à faibles revenus), mieux vaut décaisser ses REER et demander ses prestations du RRQ et de la PSV le plus tôt possible. Ces recommandations se fondent sur l’avis d’un conseiller en sécurité financière.
L’intervention du conseiller m’apparaît tout à fait outrancière. Il y va d’affirmations où la nuance fait cruellement défaut, et malheureusement, le collègue arrive à peine rééquilibrer le message. «Différer l’imposition, ce n’est plus vrai. Reporter le versement des rentes, de la PSV et le décaissement des REER, ce n’est plus vrai», affirme le conseiller dans le journal. J’ai hurlé. Plus loin, il dit : «Il faudra prendre la rente dès 60 ans et décaisser son REER dès 60-65 ans.» Le chroniqueur a pris la peine de préciser «Pour plusieurs» avant l’ouverture des guillemets. Combien? Qui ça? Rendu là, le dommage est déjà fait, on reste sur l’impression que cette idée de repousser les rentes, c’est des racontars. C’est malheureux, car les gens qui devraient le faire sont difficiles à convaincre.
Les TEMI, encore lui
Je le rappelle, tout ça pour conserver autant que possible le crédit d’impôt remboursable pour le soutien aux aînés qui, passé un certain seuil de revenu, diminue progressivement. Cette récupération a pour effet de faire augmenter le taux effectif marginal d’imposition (TEMI) de 5 % à l’intérieur d’une certaine fourchette de revenu. L’idée de demander ses rentes au plus vite vise à réduire les revenus imposables pour le reste de ses jours afin d’atténuer l’effet des TEMI. Je répète : elle vise à diminuer ses revenus imposables pour le reste de ses jours pour conserver un crédit d’impôt qui peut disparaître le temps d’un budget provincial!
(J’explique plus en détail ce que sont les TEMI dans la chronique Faites un coup d’argent grâce aux aberrations fiscales).
À propos du report des rentes du Régime de pensions du Canada (RPC), l’équivalent du RRQ dans les autres provinces, l’Institut canadien des actuaires disait en 2020 de cette solution «one size can pretty much fit all». Elle serait bénéfique à presque tout le monde, et maintenant que le TEMI bondit de 5 %, cela viendrait soudainement changer la donne? Pas selon le même rapport qui affirmait que «les répercussions sur les transferts fiscaux étaient les mêmes dans les deux options», soit reporter ses rentes ou non.
La source du collègue semble se prononcer à l’encontre du consensus sur la question.
Les groupes qui ont défilé aux consultations du RRQ pas plus tard qu’il y deux semaines reconnaissent qu’il est plus avantageux de retarder les rentes, alors qu’ils connaissent déjà très bien l’existence du crédit trouble-fête.
Permettez que j’énumère quelques participants :
Denis Latulippe, professeur à l’École d’actuariat à Université Laval et administrateur de société, Desjardins.
Alban D’Amours, président du Comité d’experts sur l’avenir du système de retraite québécois.
René Beaudry, associé, firme Normandin Beaudry.
Bernard Morency, membre du comité d’experts sur l’avenir du système de retraite au Québec.
Luc Godbout, titulaire de la Chaire de recherche en fiscalité et en finances publiques de l’Université de Sherbrooke. Celui-là, si je me fie à son titre, il doit s’y connaître un brin en matière de TEMI.
Qu’est-ce que tout ce beau monde est venu dire? Repousser au plus tard la prise des rentes, pour des prestations substantiellement majorées à vie.
Les quatre derniers de la liste sont allés jusqu’à réclamer la possibilité de retarder jusqu’à 75 ans l’âge maximum pour demander ses rentes (actuellement à 70 ans).
Je me suis épanché sur mon ami Daniel Laverdière, un vétéran de l’industrie, un actuaire, un planificateur financier, maintenant à la retraite, mais toujours aussi tatillon. Lui aussi a sourcillé en lisant la chronique du confrère (comme les autres experts à qui je l’ai fait lire). Elle porte à confusion.
Il m’a envoyé deux petits graphiques qui démontrent que l’incidence fiscale est identique, peu importe la manière que vous décaissez votre argent. Ce que vous voyez là, ce sont des revenus imposables, qui seront affectés par les TEMI. Le retrait des REER, c’est imposable. Les rentes, c’est imposable. Mettez ça dans l’ordre que vous voulez, si vous avez à perdre le crédit d’impôt remboursable pour le soutien aux aînés, vous le perdrez.
Vous remarquerez cependant qu’en retardant l’entrée des rentes, vous profitez d’un meilleur filet de sécurité. Vous vous protégez de l’inflation (les prestations sont indexées), des mauvaises années boursières et du risque de longévité.
Un beau dessin, hein?
Pour toi, collègue.
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