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C-13 fait réagir sous trois aspects en particulier. D’abord, il exige du gouvernement du Canada que celui-ci s’engage à protéger et à promouvoir le français, compte tenu du fait que cette langue est en situation minoritaire en Amérique du Nord et qu’elle est confrontée à l’usage prédominant de l’anglais. Ensuite, il renvoie à différents endroits à la Charte de la langue française (Loi 101), tout en soulignant notamment que celle-ci fait du français « la langue officielle du Québec». Enfin, certains amendements proposés vont dans le sens de l’application de la Loi 101 aux entreprises privées fédérales.

Sur le premier point, nous ne pouvons que nous réjouir du fait que les autorités fédérales reconnaissent aussi formellement et ouvertement la fragilité de la langue française dans l’espace canadien. L’objectif que constitue l’atteinte d’une égalité réelle entre le français et l’anglais au Canada ne peut être raisonnablement poursuivi que dans la mesure où le français a droit à une protection spéciale par rapport à l’anglais, voire à un statut juridique qui lui soit particulier.

À cet égard, il n’est pas inutile de rappeler que le premier ministre Pierre Eliott Trudeau avait proposé le 10 novembre 1975, dans un document intitulé Modèle de proclamation du gouverneur général, que soit insérée dans la Constitution du Canada la disposition suivante :

«Le Parlement du Canada, dans l’exercice des pouvoirs que lui confère la Constitution du Canada, et le gouvernement du Canada, dans l’exercice des pouvoirs que lui attribuent la Constitution et les lois adoptées par le Parlement du Canada, sont tenus de prendre en considération, outre, notamment, le bien-être et l’intérêt du peuple canadien, le fait que l’un des buts essentiels de la fédération canadienne est de garantir la sauvegarde et l’épanouissement de la langue française et de la culture dont elle constitue l’assise. Ni le Parlement du Canada, ni le gouvernement du Canada, dans l’exercice de leurs pouvoirs respectifs, agiront de manière à compromettre la sauvegarde et l’épanouissement de la langue française et de la culture dont elle constitue l’assise.»

De nos jours, c’est le gouvernement de Justin Trudeau qui songe à favoriser, dans une certaine mesure, la francité. Cela doit être souligné à grands traits. Toutefois, il faudra que cela dépasse la seule application de la Loi sur les langues officielles, telle que modifiée par C-13. Plus exactement, il faudra que cela se traduise dans les différents gestes et décisions du gouvernement Trudeau, dont les nominations dans les plus hautes sphères du pays et de la fonction publique fédérale.

Quant au deuxième point, soit le renvoi à la Loi 101, il appelle un certain nombre de commentaires. En effet, pareil renvoi à une loi provinciale dans une loi fédérale est peu fréquent. Il ne doit pas être fait à la légère. Toutefois, rien dans le projet de loi C-13 ne diminue les pouvoirs fédéraux, et ce, que ce soit en matière de langue ou dans une quelconque autre matière. Rien non plus n’assujettit ou ne soumet techniquement, ni théoriquement, la Loi sur les langues officielles à la Loi 101.

Bien que la Loi 101 ait été malheureusement charcutée au fil du temps par les cours de justice — dont au premier chef de la Cour suprême du Canada —, elle symbolise en soi l’affirmation du Québec dans toute sa singularité à l’intérieur du Canada. Il est bien que, grâce au projet de Loi C-13, la place de la Loi 101 dans l’ordonnancement juridique canadien soit consolidée plutôt que remise en question.

Quant à l’application de la Loi 101 aux entreprises privées fédérales, elle ne poserait pas de problèmes particuliers sur le plan juridique si elle se concrétisait, mais cela resterait néanmoins un choix politique fort important de la part des instances fédérales. Les amendements proposés à cet égard font montre d’une certaine audace et s’inscrivent dans une détermination, pour ne pas dire une ambition de donner plein effet à la Loi 101 sur le sol québécois, et ce, peu importe la nature des activités de l’entreprise en cause. Espérons simplement que cela ne compromette pas l’adoption de C-13.

D’ailleurs, soit dit en passant, nous considérons que l’application de la Loi sur les langues officielles aux entreprises privées fédérales constitue déjà une intention et une initiative louables et que la préséance de la Loi 101 en ce qui touche ces entreprises n’est pas nécessaire. Cela ne veut toutefois pas dire que pareille préséance soit inadmissible, ni quelle érafle fondamentalement les pouvoirs fédéraux.

Cela signifie tout simplement que la Loi sur les langues officielles, telle qu’elle sera, nous l’espérons, modifiée par C-13, offrira en elle-même en ce qui a trait à l’usage de la langue française dans les entreprises privées fédérales, des perspectives qui seront suffisamment positives pour que l’on n’ait pas nécessairement à recourir à la Loi 101.

Benoît Pelletier, ex-ministre, aujourd’hui avocat et professeur éminent à la Faculté de droit de l’Université d’Ottawa

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