Hiver comme été, Lidiane se rend au boulot en vélo deux fois par semaine. Début février, elle se fait voler sa bicyclette hybride en plein jour, devant l’édifice où elle travaille, rue Elgin. Un larcin assez fréquent. La police d’Ottawa rapporte un millier de vélos volés chaque année, la majorité au centre-ville et dans Côte-de-Sable.
Coup de chance: Lidiane voit son vélo réapparaître sur Kijiji quelques jours plus tard. Aucun doute possible: c’est le sien. Un Marin hybride gris pâle. Sur Kijiji, le vendeur se vante d’avoir tout un lot de vélos à écouler.
Tout excitée de sa découverte, Lidiane appelle la police. J’ai retrouvé le voleur, annonce-t-elle. Allez-vous récupérer mon vélo? J’ai le numéro de série, je peux prouver qu’il m’appartient! Déception: la police ne fait… rien, constate Lidiane. Elle comprend, aux propos de l’agent, que son cas n’est pas une priorité.
La rage au cœur, Lidiane décide de récupérer elle-même son vélo. Pas que sa bécane ait tant de valeur. Mais elle y tient. Et puis maintenant qu’elle a retracé le voleur, elle ne peut tout simplement pas rester les bras croisés. «Quand on est victime d’une injustice, on a le droit de se battre pour la réparer. Je suis habituée de me battre pour obtenir des services. Au Brésil, d’où je viens, il faut se battre chaque jour…»
«Soyez prudente, on ne sait jamais à qui on a affaire», la prévient la police, à qui elle fait part de ses intentions.
Lidiane et son mari joignent donc le vendeur sur Kijiji à partir de plusieurs téléphones. Ils se font passer pour des acheteurs intéressés... Après quelques textos, la transaction est conclue. Le gars prévient Lidiane qu’il va se présenter chez elle le soir même pour lui livrer le vélo, SON vélo.
Lidiane prévient la police. Elle doit insister. Une fois, deux fois, trois fois… Venez-vous-en, le gars arrive, vous allez pouvoir l’arrêter! L’autopatrouille est arrivée juste à temps pour la livraison. Le policier a interpellé le gars au moment même où il sortait le vélo d’un camion. Lidiane a pu récupérer sa bicyclette sur le champ. Mais à sa grande surprise, le gars n’est pas arrêté. Il repart, sans être inquiété.
Le policier l’informe qu’il est relâché sous condition de ne pas approcher son domicile. Des accusations de recel pourraient être déposées contre lui. Et pourquoi pas des accusations de vol? Ah le vol, madame, c’est plus difficile à prouver. Il faudrait le prendre sur le fait, avoir un témoin, des images captées par une caméra…
Le plus frustrant?
Le lendemain, donc quelques heures après avoir été interpellé, le gars reprend son manège sur Kijiji.
Il relance même Lidiane par texto, ignorant qu’elle et son mari ont tenté de le joindre au moyen de plusieurs téléphones. Lidiane fulmine. «Incroyable comme ce gars-là n’a aucun scrupule», s’indigne-t-elle.
Entretemps, elle s’est inscrite à la page Facebook Stolen Bikes Ottawa où elle raconte sa mésaventure et publie l’annonce Kijiji du gars. Un membre reconnaît aussitôt son vélo volé. Lidiane l’invite à faire comme elle: à porter plainte à la police, à enregistrer son vélo sur 529 Garage, un site qui répertorie les vélos volés et les vélos retrouvés…
Même si elle sait désormais qu’il faut se battre pour récupérer un vélo volé.
***
L’histoire de Lidiane est intéressante à plus d’un titre.
Comme toujours, si la population a l’impression que la police ne fait rien, elle aura tendance à vouloir se faire justice elle-même. Et ce n’est pas toujours une bonne idée.
Ensuite, parce qu’à l’heure où les autorités vantent les déplacements actifs, les gens ont besoin de savoir que leur vélo sera garé en toute sécurité durant les heures de boulot.
J’ai demandé à la police d’Ottawa de m’expliquer sa stratégie face aux vols de vélo.
Et oui, bien entendu, les moyens pour faire enquête en ce domaine sont limités. Les enquêtes sur les crimes contre la personne ont la priorité sur les crimes à la propriété, explique l’agent Charles Benoit, un membre des unités de quartier.
J’ai aussi compris que les vols de vélo au centre-ville sont peut-être moins un enjeu policier qu’un enjeu social. Lidiane a compris de ses conversations avec les policiers que son voleur de vélo cherchait à financer l’achat de drogues.
Et ce serait un patron assez courant au centre-ville. Des voleurs sans le sou, parfois sans abri. On les arrête, on leur donne une date de comparution - avant de les relâcher.
Si d’aventure, le voleur est condamné, sa peine ne sera pas assez longue pour le réhabiliter. Sitôt sorti, les chances sont grandes qu’il se remette à consommer… et à voler des vélos.
Et la prévention? C’est bien, la prévention. Même si aucun système de sécurité n’est sûr à 100%. Lors des raids policiers dans les entrepôts de receleurs, m’explique l’agent Benoit, on découvre un outillage sophistiqué pour couper les cadenas, même les plus solides.
Lidiane a décidé de louer un espace sécurisé à son lieu de travail, afin d’y ranger son vélo. Mais ce fut de haute lutte, après deux semaines de démarches. «Parfois, c’est difficile de se battre tout le temps», soupire-t-elle. Oui, c’est tout à votre honneur!