Les presses de l’Imprimerie Vincent s’éteindront après 43 ans

Nicole Vincent, présidente de l'Imprimerie Vincent

Après 43 ans, une page d’histoire se tournera au tout début du printemps alors que l’Imprimerie Vincent, un fleuron local de l’Outaouais, cessera définitivement ses opérations. Pour une poignée de raisons – majoritairement l’absence de relève –, les presses de l’entreprise familiale s’éteindront.


Les portes du commerce sis dans le secteur Hull et reconnu pour une large gamme de produits, des cartes d’affaires aux dépliants en passant par les napperons, les affiches grand format, les calendriers et les bannières rétractables, fermeront pour de bon le 3 avril prochain.

Tirer le rideau sera la fin d’une époque, avoue la directrice générale Nicole Vincent, qui parle d’une décision «mûrement réfléchie».



«On est une imprimerie qui s’est démarquée avec à la fois son côté traditionnel et en parallèle son volet numérique, c’est le créneau dans lequel on s’est démarqué. [...] Le premier motif (pour la fermeture), on ne se le cachera pas, c’est justement parce qu’on n’a pas de relève, c’était planifié qu’on mettrait fin aux opérations. (Nos) enfants ont fait d’autres choix (de carrière) et a toujours respecté ça, on le savait dès le départ, même s’ils ont travaillé ici à temps partiel durant leurs études. [...] Quand on a regardé le portrait, on s’est dit: on est contents de ce qu’on a apporté, on est fier de ce qu’on a accompli. On quitte avec le sens du devoir accompli, c’est une retraite bien méritée», dit-elle.

L’entreprise gatinoise qui compte aujourd’hui 14 employés a été fondée en 1980 par Roger, le patriarche de la famille, mais la deuxième génération a malgré tout été impliquée dès le départ dans l’imprimerie, que Mme Vincent décrit comme «une deuxième famille».

Cette dernière et ses sœurs Lise et Suzanne de même que son frère Roger Jr. sont devenus actionnaires en acquérant le commerce en 2005. Son conjoint, Michel Lauriault, agissait quant à lui comme gestionnaire principal.

Explosion du prix du carton

D’autres raisons qui sont venues mettre des bâtons dans les roues de l’entreprise ont joué dans la balance pour la fermeture, notamment les problèmes d’approvisionnement des dernières années de même que, conséquemment, la montée en flèche du prix du carton et du papier après le creux de la pandémie.



«Comme tout le monde, ça nous a limité dans nos achats, on avait des quotas mensuels, ça nous a empêché de signer des contrats à long terme. On ne sait jamais quand les prix (des fournisseurs) augmentent et pour le carton, on parle d’une augmentation incroyable depuis 18 à 24 mois (de 30% à 40%)», explique Mme Vincent, spécifiant qu’on savait que la pénurie de main-d’œuvre aurait aussi d’éventuels impacts.

Parmi les grands clients du portfolio de l’entreprise se trouvait entre autres le gouvernement fédéral, le milieu scolaire (pour l’impression d’examens de fin d’année) et le Centre intégré de santé et de services sociaux de l’Outaouais (CISSSO), pour qui on a continué d’imprimer plusieurs types de formulaires quand la COVID-19 a bousculé nos vies, ce qui a permis à l’imprimerie d’être considérée essentielle et d’opérer partiellement, n’ayant jamais fermé ses portes lors des restrictions imposées par Québec en 2020 et 2021.

«Nous étions aussi l’imprimeur officiel des bulletins de vote pour les élections, que ce soit au fédéral, au provincial ou au municipal. Ça va être une énorme déception pour eux, nous étions les seuls qui acceptaient. Ce sont des délais très courts mais c’est notre force. C’était une grosse commande, j’avisais toujours les employés de ne pas prendre de vacances pendant ce temps (rires)», dit-elle.

La pandémie n’a pas pour autant été de tout repos alors qu’on a dû mettre à pied le tiers de l’équipe face aux conséquences sur le chiffre d’affaires, Mme Vincent se disant très empathique pour les nombreuses entreprises qui n’ont tout simplement pas survécu à cette crise.

«Ç'a été un passage difficile, parfois c’est le cœur qui parle, mais la tête doit raisonner. La COVID, si elle était arrivée 15 ans plus tôt, quand on a acheté, on ne serait pas ici aujourd’hui. Heureusement, on a une bonne santé financière, ça nous a permis de l’affronter haut la main», décrit-elle.

Qualifiant l’équipe «d’extraordinaire», Nicole Vincent admet que le début avril sera teinté d’un mélange d’émotions.



«Ce n’est pas compliqué, les cinq (enfants), on a été élevés dans l’imprimerie, on n’a rien de planifié (pour la retraite), notre vie a toujours été basée sur l’entreprise, j’étais ici à 7h15 tous les matins. C’est difficile pour nous de penser qu’on va mettre la clef dans la porte mais en même temps, on entre dans une nouvelle étape de vie qu’on a bien hâte de connaître. Ça va faire étrange de ne plus être ensemble, chacun empruntera son chemin», dit-elle, comptant entre autres passer plus de temps avec ses petits-enfants.

«Le jour et la nuit»

Aux dires de Mme Vincent, c’est carrément «le jour et la nuit» pour cette industrie quand on compare à il y a 43 ans.

«On a connu le négatif, l’impression à plaques. Juste au niveau du graphisme, nous étions à l’époque sur des tables lumineuses pour faire des maquettes, maintenant tout est informatisé. On a suivi la technologie, nos équipements le prouvent. Ç'a été des moments difficiles, mais on a passé à travers la transition. Ce n’était pas un choix, si tu voulais rester en vie, il fallait suivre l’évolution. On voulait être des chefs de file et je pense qu’on a réussi. À l’âge de 12 ans, j’ai vu le plomb qui était fondu pour faire une maquette avec mon père, j’ai connu époque où tous les pressiers avaient un cinq gallons d’essence aux côtés de leur presse pour laver leur rouleau», raconte la femme d’affaires.

Contrairement à certains discours, Nicole Vincent est par ailleurs optimiste pour l’avenir du papier et de l’impression malgré les technologies qui évoluent à vitesse grand V.

«Quand quelqu’un me dit que le secteur est en déclin, je réponds non, il va toujours y en avoir, je ne suis pas inquiète à ce niveau-là. J’ai parlé à d’autres imprimeurs et ils m’ont tous répété la même chose, c’est là pour rester, même si elle s’est transformée. Je ne vois pas la fin», lance-t-elle, précisant avoir toujours un agenda papier en plus d’être une fidèle abonnée à deux quotidiens dont Le Droit.

Dans une ère où le commerce électronique est en vogue et que des géants en ligne ou d’ailleurs comme Amazon et Vistaprint sont devenus des concurrents dans son domaine, Mme Vincent plaide que peu importe le secteur d’activité, le commerce d’ici «est dans (nos] veines» et se doit d’être encouragé par la population car «c’est la clé du succès».

«Oui, tu paies un peu moins cher (en achetant avec ces sites) mais quand tu reçois ton matériel, tu peux être déçu du service. Tu as ce que tu vois, ce que tu achètes. Ce n’est pas ça ici, on te fait une épreuve au début, une épreuve finale, etc. Encourager local, c’est primordial. Il y a plein d’avantages»

Si la fermeture du 3 avril est sans équivoque, l’entreprise se dit prête à tendre l’oreille à toute proposition d’achat dans les semaines à venir.