«Je vais vous le dire bien franchement, m’a répondu Joey Chartrand. Un membre de ma famille, d’âge mineur, a été victime de viol. Et la sentence de l’agresseur, c’était vraiment une sentence bonbon. Le gars n’a même pas fait 5 mois de prison. Ça m’a dégoûté bien raide. Je trouve que le système de justice n’en fait pas assez. Mes chums m’ont appuyé, ils ont décidé de faire cela avec moi...»
Depuis quelques semaines, ces Gatinois traquent sans relâche les pédophiles sur les sites de rencontre. Leurs actions ont fait les manchettes partout au Québec. Ils se font passer pour des enfants de 14 ans afin de donner rendez-vous aux présumés pédophiles dans des endroits publics. Ils les rencontrent en personne dans le but de les filmer et de les exposer sur les médias sociaux. Leur approche fait penser aux vigilantes américains…
Jusqu’à maintenant, les «pédobusters» ont mis en ligne une vingtaine de vidéos où on les voit confronter leurs proies dans l’habitacle de leur véhicule. «Nous sommes ici pour protéger nos enfants et te donner une leçon, disent-ils à ceux qu’ils ont réussi à appâter. Certains tentent de se justifier. D’autres prennent la fuite sans demander leur reste. Les chasseurs publient ensuite les images de leurs interventions sur les médias sociaux. Souvent avec les noms complets, parfois même avec le nom de leur employeur.
Aux dernières nouvelles, leur groupe privé sur Facebook comptait près de 10 000 abonnés. Jeudi matin, ils ont mis en ligne les images de leur dernière prise. On voit un jeune homme de 23 ans les supplier de ne pas publier des images de lui. «S’il vous plait, ne faites pas ça, j’ai un bon travail, j’ai compris la leçon», l’entend-on dire. Mais ses suppliques n’émeuvent pas le groupe de chasseurs. «C’est mal ce que tu fais», le semonce l’un d’eux.
«On cherche à changer les choses, à réveiller le monde, reprend Joey Chartrand. On aimerait que les lois deviennent plus sévères envers les pédophiles. Que plus de fonds soient dédiés pour les traquer (…) Pour nous, mieux vaut prévenir que de guérir.»
J’ai visionné plusieurs vidéos des pédobusters. Ça saisit.
Les mots employés par les chasseurs sont parfois très crus. «Tu t’en viens fourrer une fille de 14 ans?», dit un chasseur à l’un des présumés pédophiles. Les images sont claires, les gens interceptés par Joey Chartrand et son groupe facilement reconnaissables par les proches, les collègues de travail…
Ne trouvez-vous pas que vous y allez fort?, ai-je demandé à M. Chartrand. Ces gens-là n’ont pas eu droit à une défense pleine et entière devant un tribunal. Vous vous exposez vous-mêmes à des poursuites en les interceptant de la sorte…
«Ma position, c’est qu’ils méritent pire que ça, réplique Joey Chartrand. Faire ça à un enfant, c’est lui ôter sa vie, briser sa joie de vivre, ses rêves… »
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Le Service de police de la Ville de Gatineau (SPVG) déconseille ce genre d’initiative. «Les citoyens ne devraient jamais se faire justice eux-mêmes», résume l’agente Andrée East, porte-parole du SPVG.
Non seulement les traqueurs de pédophiles risquent de nuire à des enquêtes policières en cours, ils s’exposent eux-mêmes à des accusations criminelles de la part des gens qu’ils montrent sur les médias sociaux.
Au Canada, la loi interdit d’identifier un individu soupçonné d’un crime à moins que des accusations aient formellement été autorisées à son endroit par le Directeur des poursuites criminelles et pénales.
«Comme ils incitent à commettre des crimes, les preuves ne pourront pas nécessairement être reçues en cour», a aussi précisé l’agence East.
Antoine Normand, président de Bluebear, et expert en matière d’extraction de données informatiques sur la criminalité, est du même avis. Les actions des chasseurs de pédophiles partent d’une bonne intention. «Mais c’est une fausse bonne idée», dit-il.
Les enquêtes policières visent des groupes de pédophiles qui travaillent en réseau, explique-t-il. Il suffit d’en effaroucher un pour que tous les autres s’empressent d’effacer les preuves accumulées sur leurs profils et leurs ordinateurs.
«Or c’est pas mal plus efficace de laisser les policiers démanteler un réseau que de faire peur à un individu qui peut en entraîner 10, 20, 30 autres à se mettre sur leur garde et à effacer de la preuve», résume M. Normand.
Les gouvernements fédéral et québécois ont intensifié la lutte à la pornographie juvénile ces dernières années. À Gatineau, le SPVG compte une équipe d’enquêteurs dédiés uniquement à ce type de crime.
«Nous avons également des spécialistes en extraction de données et une équipe d’enquêteurs dédiée aux crimes contre la personne, incluant les crimes de nature sexuelle. Nous participions également aux efforts des escouades chapeautées par la Sûreté du Québec», dit l’agente Andrée East.
«Ça ne nous arrêtera pas, persiste Joey Chartrand. Tant et aussi longtemps que le système ne changera pas, on sera là.»
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Mon avis?
Les chasseurs de cyberprédateurs me font penser aux camionneurs qui manifestaient contre les restrictions sanitaires à Ottawa.
Même bonne intention de départ, mêmes revendications légitimes, et une méthode spectaculaire de les faire valoir. Mais aussi un acharnement, un entêtement dans la méthode utilisée qui va finir par jouer contre eux.
En continuant à pourchasser les présumés pédophiles comme ils le font, au mépris des méthodes policières et sans respecter la présomption d’innocence, ils vont finir par nuire à leur propre cause.
Ils donneront l’impression que leur popularité sur les médias sociaux est plus importante que leur objectif de départ, soit d’intensifier la lutte à l’exploitation sexuelle des mineurs.
Maintenant qu’ils ont sensibilisé le public de spectaculaire façon, les pédobusters devraient porter leur combat sur la scène politique. Et laisser la police faire son travail.